Abbé pierre : la possibilité de détournements importants de fonds et d'abus sur mineurs à l'étranger

L'abbé Pierre, l'apôtre des pauvres qui « confondait l'argent d'Emmaüs avec le sien »

Dans le premier volet de cette enquête 🡵, on découvre que l'abbé Pierre, derrière une image de miséreux qu'il cultivait, gérait de manière tout à fait opaque des sommes d'argent importantes dont l'affectation reste encore partiellement inconnue.

Il jouera toute sa vie de cette image de fauché chronique vêtu d'une soutane élimée et d'une veste canadienne de prêtre ouvrier avec de gros godillots aux pieds. Quant à son incontournable pèlerine noire donnée lors de l'hiver 1954 par un pompier de Paris, le lieutenant-colonel Sarniguet, il en avait arraché les broderies et la doublure en soie. Même ses proches s'inquiétaient de cette obsession à s'habiller en crève-la-faim, comme le relate l'essayiste Pierre Lunel dans une scène extraite de son ouvrage Il nous a tant aimés (Albin Michel, 2009) : « L'abbé s'était mis en colère en voyant qu'on lui avait raccommodé son pull. Qui m'a fait ça ?, s'était-il écrié avant de se mettre à le découdre aussitôt. M¹ᵉ Coutaz [sa fidèle secrétaire] avait fini par s'énerver: « Allez-y, mais allez-y donc ! Surtout arracher les poches, ça fera plus pauvre ! » » Qui pense à s'interroger sur les ressources d'un homme en guenilles ?

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Dans leur livre Abbé Pierre. La fabrique d'un saint (Allary éditions, 416 pages, 22,90 euros), paru en avril, les grands reporters Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin rapportent les propos d'une ancienne secrétaire d'Emmaüs international, Brigitte Mary. Cette dernière fait état d'une décision prise au début des années 1970 pour que les bénéfices des camps internationaux soient répartis en quatre parts égales dont l'une pour le prêtre, sans qu'il ait à rendre compte de l'utilisation des fonds dévolus. 5 %? 25 %? « Visiblement, une partie de l'argent généré sur les chantiers était mise à la disposition de l'abbé Pierre pour ses œuvres de charité, admet Adrien Chaboche. Déterminer quelle structure le faisait et quelle somme était donnée représente un énorme travail de recherche, Emmaüs étant loin d'être un tout unique, comme vous le savez », poursuit-il, réitérant sa volonté « que toute cette vérité éclate ».

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Nous y avons recensé pas moins de 13 comptes au nom de l'abbé Pierre domiciliés dans plusieurs établissements différents. Il serait fastidieux d'en donner la liste, mais citons le fameux CCP 4 537 20 E-Paris – celui de l'appel de 1954 – toujours utilisé en 1996 ! Et un livret épargne à la Banque française de crédit coopératif qui, avant d'être clôturé le 19 septembre 2001, affichait un crédit de 134 128 francs (30 172 euros). Sans oublier un petit portefeuille d'actions (dont des actions de France Télécom) ainsi qu'une assurance-vie lui procurant des plus-values.

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Souvent pris de bougeotte, l'ecclésiastique a vécu dans nombre d'endroits, ce qui peut expliquer la multiplication de ses agences bancaires, mais au vu de ses relevés de compte, on comprend qu'il jongle avec l'argent, un virement interne par ici, un autre par là, dont les montants atteignent parfois des dizaines de milliers de francs. Là encore, il brouille les pistes.

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L'autre vie de l'abbé Pierre, entre sexe, emprise et trahisons

Et si l'Abbé Pierre avait pu profiter de ses très nombreux voyages pour faire des victimes à l'étranger, et en particulier des mineurs ? C'est cette possibilité qui est explorée dans le second volet de cette enquête 🡵.

Si les témoignages de personnes mineures au moment de leur agression en France ont pu trouver leur chemin jusqu'au cabinet Egaé, il reste un angle mort dont les chercheurs ont du mal à saisir l'étendue : que s'est-il passé dans les pays étrangers visités par Henri Grouès ? Solidement déployée à l'international, l'organisation Emmaüs a permis à l'abbé Pierre de voyager. Beaucoup ! Venezuela, Bolivie, Chili, États-Unis, Suisse, mais aussi des pays d'Afrique ou encore d'Asie… le prêtre a sillonné la planète.

A Roubaix, aux Archives nationales du monde du travail, Le Monde a pu consulter les passeports de l'idole déchue des Français, noircis des tampons de dizaines de pays dans lesquels il s'est rendu. Mais comment identifier aujourd'hui des proies potentielles dans certains de ces pays où la parole sur les violences sexuelles est très difficile à recueillir ? Une Marocaine de 18 ans fait partie des victimes du prêtre, a recensé le cabinet Egaé. Des clichés instantanés réalisés par l'abbé Pierre avec un Polaroid – il ne se déplaçait jamais sans ce précieux appareil – font pourtant craindre le pire. Ils montrent notamment l'ecclésiastique entouré de jeunes adolescents des deux sexes en Afrique ou en Asie. Or, plusieurs victimes ont raconté au cabinet Egaé qu'elles avaient été prises en photo par le prêtre après leur agression.

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