Père Jacques Delfosse : deux nouvelles plaintes font ressortir de l'oubli les crimes de ce prêtre

Deux plaintes pénales pour viols sur mineurs contre Jacques Delfosse font ressortir de l'oubli les crimes de ce prêtre. […] Les deux femmes l'accusent de violences sexuelles perpétrées en 1988 et 1997, quand elles avaient 12 ans. Leurs plaintes pénales, déposées en 2023 et 2024, permettent de libérer la parole des victimes de ce prêtre que le diocèse de Lille n'hésite pas, aujourd'hui, à qualifier de « prédateur ». […] Au total, on a estimé le nombre de victimes à au minimum une cinquantaine. Le bilan pourrait être encore beaucoup plus lourd. 🡵.

Les articles de La voix du Nord

Bruno Renoul est journaliste à la rédaction de La Voix du Nord de Roubaix. Ces huit derniers mois, en plus de son travail de chef adjoint de la rédaction, il a travaillé semaine après semaine pour retracer le terrible parcours de Jacques Delfosse, prêtre pédocriminel qui a fait des dizaines de victimes 🡵.

Voici la liste des articles publiés cette semaine par La voix du Nord :

Sur les traces de Jacques Delfosse, l'un des pires pédocriminels de l'Église de France
Le récit du parcours criminel d'un prêtre prédateur, de 1964 à 2000

Claire et Pauline, les deux femmes qui brisent le mur du silence
Les deux plaignantes racontent leur calvaire et leur combat pour la justice

Le long calvaire et la lente reconstruction des victimes
Huit victimes témoignent de leur souffrance et de leur difficile résilience

« Un procès serait l'aboutissement normal de la quête des victimes »
L'interview de Me Catherine Fabre, avocate des victimes

« Ce qui m'a frappé c'est la permanence de la douleur des victimes »
Dans les coulisses de notre enquête sur le prêtre pédocriminel Jacques Delfosse

Comment l'Église catholique a laissé le champ libre au prêtre prédateur
Mutations, silences, complicités : les défaillances de la hiérarchie ecclésiastique

Podcast. Sur les traces d'un prêtre prédateur sexuel que l'Église n'a pas arrêté
Dans Hors-Texte, notre journaliste Bruno Renoul raconte cette enquête glaçante

Le procureur de Lille invite toutes les victimes à déposer plainte
Des enquêtes seront menées même en cas de prescription

« J'ai payé, qu'on me foute la paix » : rencontre avec Jacques Delfosse
Le face-à-face glaçant avec le prédateur, 88 ans, toujours sans remords

« Les victimes du prêtre ont subi le même traumatisme que les victimes du Bataclan »
Interview d'une psychologue spécialiste des traumatismes

Parcours de Jacques Delfosse

  • 1937 Naissance 🡵
  • Entré au séminaire à 19 ans 🡵
  • Il interrompt le séminaire pour accomplir son service militaire. Pendant deux ans, il participe à la guerre d'Algérie, qui semble le marquer durablement 🡵
  • 1964 Ordonné prêtre 🡵
  • 1966 Première agression connue 🡵 (victime reconnu par l'INIRR 🡵)
  • 1969-1974 A Lille, il devient aumônier de l'Institution Saint-Pierre 🡵
  • 1974-1988 A Roubaix, à l'aumônerie du quartier des Trois-Ponts 🡵
  • 1988-1993 À la suite d'alertes de parents, Jacques Delfosse est muté à l'aumônerie étudiante de Villeneuve-d'Ascq par Mgr Jean Vilnet 🡵
  • 1993-1995 muté à Paris 🡵
  • 1995-2000 A Nogent-sur-Marne (diocèse de Créteil) 🡵.
    • Le diocèse de Lille affirme que dès 1995, Jacques Delfosse est censé vendre sa résidence secondaire, et arrêter tout ministère auprès de mineurs. A Nogent, Jacques Delfosse a été aumônier de groupes de scouts et des établissements scolaires du secteur 🡵
    • 1998 Une première victime porte plainte. Dans son sillage, une autre femme porte plainte 🡵
  • 2000 Mis en examen pour viols sur mineurs et relevé de son poste de curé de Nogent sur Marne 🡵
  • 2000-2007 Dans l'attente de son procès, il est envoyé à Dunkerque et le diocèse de Lille le suspend de tout ministère 🡵
  • 2007 Jugé et condamné aux assises du Val-de-Marne pour deux viols sur mineurs. Quinze victimes de faits prescrits participent à l'audience comme témoins 🡵. L'enquête qui avait abouti à ce procès avait permis d'identifier 37 victimes, mais seules deux d'entre elles étaient concernées par des faits non prescrits 🡵. Il est condamné à cinq ans de prison dont six mois ferme 🡵
  • 2008 À sa sortie de prison, l'aumônier s'exile dans une petite ville de l'Essonne (diocèse d'Evry) 🡵. Il est interdit de tout ministère par l'Église 🡵
  • 2010 Sa sanction canonique est confirmée à la suite de son appel 🡵. Il parvient tout de même à se faire confier des responsabilités dans sa paroisse 🡵
  • 2013 Des paroissiens découvrent le passé du prêtre à l'occasion de la diffusion d'un reportage sur France 2 🡵
  • Après 2013, Jacques Delfosse, persona non grata dans sa commune, offre ses services à d'autres prêtres du diocèse d'Évry. Une autre paroisse continue ainsi à faire appel à lui, pour des messes, des mariages, des baptêmes jusqu'en 2018 🡵
  • 2017 Un enfant devenu prêtre écrit un mail à Jacques Delfosse, qui en retour, reconnaît avoir abusé de lui. « Bien sûr, je me souviens et ces erreurs passées me hantent jour et nuit. Je te demande pardon pour le mal que j'ai pu te faire. Je suis encore prêtre, à la retraite maintenant » 🡵
  • 2023 et 2024 Saisis de deux plaintes, les parquets d'Évry et de Lille ont ouvert deux enquêtes distinctes 🡵
  • 2025 Mgr Laurent Le Boulc'h demande début 2025 au Vatican la perte de l'état clérical de Jacques Delfosse. La demande est acceptée le 30 septembre 2025.

Tout son ministère au contact des jeunes

Dès son ordination, il est présenté comme étant « bien connu dans les paroisses Saint-Maclou et Saint-Paul, où il se dévoua dans les œuvres de vacances des jeunes ».

  • 1966 colonie de vacances organisée dans le Jura 🡵
  • 1978-1988 A Roubaix, son aumônerie était pleine 🡵
    • Camps d'hiver à Mijoux, dans le Jura 🡵
    • L'été, camps de trois semaines sous tente, à Sainte-Ilpize en Haute-Loire, puis à Labatie-d'Andaure en Ardèche 🡵
    • 1979 Il achète une ferme en Ardèche à Gourgouras (commune de saint Julien d'Intres) où il organise un séjour à la Toussaint, à Pâques ou en août à Gourgouras avec quelques enfants trivés sur le volet 🡵
  • 1988 À la suite d'alertes de parents, Jacques Delfosse est muté à l'aumônerie étudiante de Villeneuve-d'Ascq. Il stoppe les camps d'été et d'hiver, mais continue d'inviter des dizaines d'adolescents à chaque période de vacances à Gourgouras 🡵
  • 1998 À la suite d'une première plainte déposée contre lui, Jacques Delfosse est contraint par l'évêque de Lille de vendre Gourgouras 🡵. Mais il rachète, sans le dire à ses supérieurs un chalet à Pelvoux près de Puy-Saint-Vincent, dans les Alpes, où il continuera à recevoir des jeunes jusqu'à la vente du chalet en 2007 🡵

Le stratagème de l'infirmier, doublé d'une forme de soumission chimique

Toutes les victimes racontent le même scénario, qui corrobore celui entrevu dans les années 1970. Que ce soit à Gourgouras ou dans les autres camps, au moindre signe de fièvre ou de fatigue, les jeunes sont envoyés à l'infirmerie. Les agressions sexuelles ou les viols y sont quasiment systématiques. Au préalable, le prêtre prend soin de donner un cachet aux enfants pour les engourdir. Des anxiolytiques ou des calmants, qu'il s'autoprescrit grâce à un carnet d'ordonnances vierges qu'un médecin roubaisien lui a confié, pensant qu'il servirait à acheter de l'aspirine ou des pansements.

[…]

L'aumônier trouve en parallèle un autre moyen d'abuser de ses victimes. Il part en voiture quelques jours avant le début de ces séjours, avec un à quatre adolescents à qui il accorde le privilège d'être choisis. Sur le chemin, le prêtre leur offre de bons restaurants, et s'arrête dans des hôtels où il s'arrange pour partager une chambre avec la proie qu'il a choisie. Là encore, il lui administre un cachet avant de l'agresser pendant la nuit. « Ça nous angoissait à chaque fois, on ne savait jamais lequel serait choisi », raconte Bruno, qui a été victime d'agressions sexuelles lors de plusieurs de ces virées.

La Voix du Nord

Les témoins de cette période parlent de l'alcool que Jacques Delfosse s'autorise à faire goûter aux enfants. De ses discours sur la pudeur qu'il ne conviendrait pas d'avoir. Des douches collectives, où tout le monde est mélangé, filles et garçons, adultes et adolescents. Et du regard voyeur de l'aumônier.

La Voix du Nord

Un profil manipulateur ?

Il dit ne ressentir « aucune culpabilité » puisqu'il a « demandé pardon », et que « le pardon efface l'acte qu'on a commis » 🡵

Le journaliste a finalement pu s'entretenir avec le prêtre 45 minutes durant. Qu'a-t-il ressenti face à lui ? « Dans sa manière de s'exprimer, de ne pas se souvenir de détails gênants mais de détailler très précisément de choses anodines, j'ai senti son côté manipulateur, l'emprise qu'il pouvait avoir. J'ai senti qu'il était dans un repentir qui est juste de façade : il présente ses excuses parce qu'il sait qu'il faut le faire, mais on sent que ce n'est pas du tout sincère ». La fin de de l'entretien a de quoi choquer : « J'ai coupé court quand il a commencé à avoir un discours sur la beauté des corps nus très dérangeant, et évoquant les discours qu'il avait auprès des enfants pour les « préparer » d'une certaine façon, comme me l'ont expliqué plusieurs des victimes. Puis il s'est mis à évoquer de la perfection des corps à 12-13 ans. A ce moment là, je me suis levé et je suis parti. J'en suis ressorti avec la conviction qu'il n'avait pris conscience de rien. »

La Voix du Nord

Des évêques mis en cause

Avocate au barreau de Paris, Catherine Fabre représente Pauline* et Claire, deux victimes du prêtre Jacques Delfosse, qui ont porté plainte récemment contre lui.

Il semble que les plaintes visent aussi l'Église catholique, qu'est-ce que les victimes lui reprochent ?

[Catherine Fabre] Ce n'est pas l'Église en tant que telle qui est visée, mais les personnes qui étaient en charge du prêtre et qui l'ont abrité, lui ont donné une respectabilité, lui ont donné accès à des enfants. L'idée, c'est de chercher à savoir qui savait quoi, qui a une responsabilité là-dedans, qui a laissé faire le prédateur en connaissance de cause, ou qui l'a déplacé ailleurs, ce qui lui a permis de poursuivre des activités criminelles.

La Voix du Nord

Mgr Jean Vilnet, décédé en 2013, est informé à plusieurs reprises des agissements du prêtre. Dès 1988, après des années d'incrédulité, une délégation de parents vient officiellement l'alerter. En réponse, le patron du diocèse de Lille mute Jacques Delfosse à quelques kilomètres de là, à la paroisse d'Ascq et à l'aumônerie des étudiants de Villeneuve-d'Ascq 🡵. Mgr Jean Vilnet maintient donc le père Delfosse au contact de jeunes, tout en le laissant poursuivre l'organisation de séjours en Ardèche où se déroulent nombre d'agressions.

En 1993, Mgr Jean Vilnet envoie le père Delfosse à Paris, sans aucune mesure disciplinaire 🡵.

En 1995, le père Delfosse devient curé à Nogent-sur-Marne. Le diocèse de Lille affirme qu'il devait cesser tout ministère auprès des mineurs, mais il continue à encadrer des scouts et scolaires 🡵, preuve d'absence de contrôle par Mgr Michel Santier, évêque de Créteil (lui-même depuis mis en cause en raison de « strip-confessions »).

À sa sortie de prison, le père Delfosse est accueilli par Mgr Michel Dubost dans une petite ville de l'Essonne (diocèse d'Evry) 🡵. Il est interdit de tout ministère par l'Église 🡵, mais ne respecte pas cette interdiction 🡵. Mgr Michel Dubost se justifie en ces termes : « J'ai travaillé en prison. Si on assomme ceux qui en sortent de leur condamnation, on ne les aide pas non plus à s'en sortir… » 🡵

Ce sera finalement Mgr Michel Pansard, nouvel évêque d'Évry, qui imposera en 2018 au père Delfosse de cesser tout ministère public 🡵.

Où les victimes peuvent-elles se manifester ?

Le procureur de la République de Lille, Samuel Finielz, a invité jeudi 27 novembre 2025 les victimes à se faire connaître en déposant plainte, indiquant que des enquêtes seraient menées même en cas de prescription 🡵 🡵.

Si vous vous reconnaissez dans le récit du parcours de Jacques Delfosse, que vous pensez avoir été victime de ce prêtre, et que vous souhaitez vous manifester pour apporter votre témoignage, plusieurs possibilités s'offrent à vous :

La Voix du Nord

Communiqué de l'Archevêque de Lille

Communiqué de l'Archevêque de Lille

La lecture de l'article paru dans la Voix du Nord au sujet de Jacques Delfosse a suscité en moi une grande tristesse et consternation.
Je veux exprimer d'abord ma profonde compassion à toutes les personnes qui ont été agressées par l'abbé durant son ministère et qui portent le poids de cette souffrance au quotidien. Qu'elles trouvent dans l'Église de Lille le soutien de l'écoute, de l'accompagnement et de la prière.

Je m'unis aussi à la grande peine de celles et ceux qui ont connu Jacques Delfosse comme aumônier, vicaire ou curé, et dont l'estime et la confiance ont été trahies.

Ce terrible drame nous met, une fois de plus, en garde contre le cynisme de la perversion, le manque de discernement dans l'adulation, la complicité du silence et les déficiences dans le suivi. Il nous appelle à tout faire pour que la justice civile et canonique soit pleinement rendue et que la bientraitance soit le maître mot de nos pratiques ecclésiales. La justice canonique du Saint-Siège a prononcé la fin de l'état clérical de Jacques Delfosse, et le diocèse de Lille, avec toute l'Église catholique en France, s'est engagé dans des transformations qui rendent la maison plus juste et plus sûre.

Je rends hommage à tous les prêtres qui avec humilité sont d'authentiques pasteurs de l'Évangile.

Monseigneur Laurent Le Boulc'h
Archevêque de Lille


Monsieur Jacques Delfosse a été ordonné prêtre en 1967 et suspendu de toute activité pastorale en 2000. Il a notamment exercé son ministère à Villeneuve d'Ascq et à Roubaix, en qualité d'aumônier de l'enseignement public. Jugé et condamné par la cour d'assises du Val-de-Marne, il a ensuite été envoyé, après avoir purgé sa peine, dans le diocèse de Créteil, puis dans le diocèse d'Évry, où il réside encore aujourd'hui.

Les faits :

Des plaintes ont été déposées auprès du procureur de la République en 2000. Sur les 37 victimes identifiées à l'époque, seules deux affaires n'étaient pas prescrites. Jacques Delfosse a été mis en examen et condamné en 2007 à 5 ans de prison, dont 6 mois ferme, par la cour d'Assises du Val-de-Marne. Le 27 septembre 2007, Jacques Delfosse sort de prison. En 2008, il est suspendu de toute activité pastorale et part dans le diocèse de Créteil. En 2010, Mgr Ulrich, alors archevêque de Lille, lui interdit officiellement tout ministère. En 2018, Jacques Delfosse est interdit de toute célébration publique. Entre 2019 et 2021, quatre nouveaux signalements ont été portés à la connaissance du diocèse de Lille et transmis au procureur de la République en 2022, pour des faits de viols aggravés et agressions sexuelles sur mineurs commis entre 1980 et fin des années 1990. En 2025, Mgr Le Boulc'h a demandé à Rome le renvoi à l'état laïc, confirmé par le pape Léon XIV le 30 septembre dernier

Accueil des victimes d'abus dans le diocèse de Lille

Dans la lutte contre les abus, le diocèse de Lille, agit pour que notre Église soit une maison accueillante et sûre pour tous.

Écouter

  • Une cellule d'accueil et d'écoute a été mise en place dans le diocèse. Composée de 3 femmes laïques et d'un diacre, elle a pour objectif d'être à l'écoute des victimes et de les accompagner. Une adresse mail dédiée existe : ecoute.victimes@lille.catholique.fr.
  • Des groupes de paroles, dans le diocèse de Lille, animés par un psychologue-clinicien sont proposés régulièrement par le diocèse.
  • Des cellules d'écoutes nationales existent également pour recueillir la parole des victimes et les accompagner (CEF, conférence des religieux et religieuses de France, France-Victimes, INIRR (Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation), et la CRR (commission Reconnaissance et Réparation).

Accompagner Depuis 2016, le diocèse de Lille a établi une convention avec l'URSAVS (Unité régionale de soins aux auteurs de violence sexuelle) du CHU de Lille, pour le suivi psychologique des personnes victimes ainsi que des auteurs d'agressions sexuelles.

Agir

Depuis mars 2022, un protocole a été établi entre les procureurs et les évêques de la région, afin de mieux combattre les infractions commises au sein de l'Église.

Si vous pensez avoir été victime de violences de la part de Jacques Delfosse, nous vous invitons à prendre contact avec la cellule d'écoute du diocèse de Lille (ecoute.victimes@lille.catholique.fr – 06 85 07 30 90) et à déposer plainte auprès de la police nationale ou de la gendarmerie de votre secteur.

Diocèse de Lille

Informations complémentaires