Messe « pour le repos de l'âme de Philippe Pétain et des victimes de toutes les guerres »

Surnommé « vainqueur » de la bataille de Verdun en 1916, Philippe Pétain prit en 1940 la tête du régime de Vichy qui collabora avec l'Allemagne nazie. Il a été frappé d'indignité nationale en 1945 et condamné à mort, une peine commuée en prison à vie 🡵.

Résumé de la situation

Tous les ans depuis 1951, année de la mort de Philippe Pétain, l'Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain (ADML) fait dire une messe pour le repos de l'âme de l'ancien héros militaire de la Première Guerre mondiale, qui avait ensuite engagé la France dans la collaboration avec l'Allemagne nazie 🡵.

Cette messe était traditionnellement célébrée à l'ossuaire de Douaumont (Meuse), site funéraire et mémoriel de la Première Guerre mondiale. Mais en 2024, l'ADMP s'était vu refuser la possibilité que cette célébration ait lieu dans la chapelle de ce monument. La messe avait donc été célébrée, avec l'accord de l'évêque de Verdun de l'époque, Mgr Gusching, dans une chapelle privée de Verdun. En 2025, Mgr Philippe Ballot, administrateur apostolique du diocèse, avait finalement proposé qu'elle soit célébrée en l'église Saint-Jean-Baptiste de Verdun et demandé au curé de la paroisse de présider la célébration.

La Croix

Alerté, le maire de Verdun, Samuel Hazard (divers gauche), a émis un arrêté daté du 10 novembre 2025 interdisant cette messe « en raison de risques graves de troubles à l'ordre public » 🡵.

L'ADMP avait saisi le tribunal administratif de Nancy, qui avait rendu une décision contraire à celle du maire. Le juge des référés avait estimé que cette cérémonie, « compte tenu de sa date et du lieu dans lequel elle était organisée, n'était pas, en elle-même, de nature à susciter des troubles à l'ordre public ». Le juge administratif avait également considéré que le maire de Verdun n'avait pas légalement le droit d'interdire cette messe car, en vertu du principe de séparation des Églises et de l'État, l'autorité publique ne peut intervenir dans une cérémonie religieuse se déroulant dans une église que pour des raisons de sécurité matérielle, et non pour des motifs liés au contenu idéologique de la célébration.

La Croix

La célébration a donc eu lieu le 15 novembre. A la sortie de la messe, Jacques Boncompain, le président de l'ADMP, a déclaré que Philippe Pétain avait été « le premier résistant de France » 🡵.

Le préfet de la Meuse, Xavier Delarue, avait saisi la justice, déposant un article 40 auprès de la procureure de la République, signalant que l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (ADMP) avait tenté d'organiser « une réunion politique » ayant pour but « la réhabilitation de Philippe Pétain » en instrumentalisant l'Église. Une enquête ouverte contre le président de l'association Jacques Boncompain et contre X, pour contestation publique de l'existence de crime contre l'humanité commis durant la Seconde Guerre mondiale. Les propos sans équivoque tenus par l'organisateur de la messe à l'issue de l'office sont notamment visés dans le cadre élargi de l'enquête diligentée.

L'Est Républicain

Peut-on prier pour Philippe Pétain ?

« Prier pour le repos d'un défunt est de l'ordre de ce qui est naturel chez les catholiques, quelle que soit la personne, estime pour sa part Martin Dumont, historien du catholicisme contemporain. Il y a néanmoins une prudence pastorale à observer. Ce qui dérange, c'est que cette messe soit présentée comme un hommage. C'est normal que cela choque. » De fait, la portée politique de l'association, le choix d'une église du centre-ville de Verdun plutôt que dans une chapelle privée plus éloignée, et la publicité qui a entouré l'événement ont décuplé les répercussions de celui-ci.

La Croix

Le fond du problème

En autorisant la tenue de cette célébration dans cette forme, et connaissant l'identité des organisateurs, l'Église a sans aucun doute fait preuve de naïveté. Elle a pris le risque d'une instrumentalisation, et a perdu. Ainsi la célébration aurait dû avoir lieu dans un lieu clos, et son organisation être conditionnée par l'évêque à une exigence de n'en faire aucune publicité.

Car les membres de l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain ont évidemment profité de la célébration et de la polémique pour tenir, sur le parvis de l'église, des propos révisionnistes immédiatement visés par plusieurs plaintes. En 1951 comme aujourd'hui, ce n'est pas l'attitude de l'Église qui interroge le plus, mais plutôt de ceux qui sont prêts à tout pour instrumentaliser la religion en la transformant en ce qu'elle n'est pas : un argument politique.

La Croix

Mgr Ballot mis en cause

La responsabilité de monseigneur Ballot dans cette affaire dépasse largement la simple autorisation administrative. Par son choix d'autoriser la messe pour Pétain dans une église à Verdun, il a manqué à son devoir moral et historique, validant une initiative qui ne pouvait que attiser la confusion mémorielle et offrir une tribune aux discours les plus négationnistes et antisémites.

Malgré les mises en garde du maire, les protestations des familles et l'indignation de la société civile, l'archevêque de Metz s'est réfugié derrière une neutralité liturgique, laissant la porte ouverte à la réhabilitation symbolique d'un homme dont les actes ont gravement déshonoré la France et ont infligé d'innombrables souffrances aux victimes du régime de Vichy.

Ce geste, loin d'apaiser ou d'éclairer, a jeté l'institution ecclésiale dans une crise de légitimité et souligne à quel point une absence de discernement peut nourrir la banalisation du négationnisme et de la haine.

Tribune de Marc Knobel, Libération

Communiqué de Mgr Ballot

COMMUNIQUÉ
de Mgr Philippe Ballot, Administrateur Apostolique du diocèse de Verdun

Quelques jours après ma nomination comme Administrateur apostolique du diocèse de Verdun, j'ai été saisi d'une demande d'autorisation de célébrer une messe pour le repos de l'âme de Philippe Pétain et des victimes de toutes les guerres, le samedi 15 novembre.

Cette célébration aurait lieu dans l'église Saint-Jean-Baptiste à Verdun, dont j'ai sollicité le curé pour la présidence. Ce dernier, l'abbé Gauthier Luquin, a donc obéi à ma demande.

Pour l'Église, toute personne peut demander à un prêtre de célébrer une messe à l'intention d'une personne défunte, quelle que soit sa vie passée. Cette intention est portée dans la prière au cours de la messe, sans pour autant être un hommage. En acceptant l'intention de messe, le prêtre s'engage à la célébrer comme un service spirituel, cela n'est pas le reflet de son jugement personnel.

Monsieur le Maire de Verdun, après s'être exprimé sur les réseaux sociaux, sans m'avoir contacté auparavant, a émis un arrêté daté du 10 novembre 2025 interdisant cette messe « en raison de risques graves de troubles à l'ordre public ». J'en prends acte.

Dans une lettre datée du 12 novembre 2025, qu'il m'a adressée et qu'il a publiée également sur les réseaux sociaux le même jour, Monsieur le Maire de Verdun me précise « qu'il apparaît nécessaire d'annuler cette célébration » s'en remettant à mon « autorité spirituelle ».

Cette messe étant interdite, son annulation n'a pas d'objet.

Dans mon homélie du 11 novembre 2025, en la cathédrale de Verdun, j'ai rappelé que parmi les combattants de la guerre de 1914-1918, « il y avait des séminaristes, des religieux et des prêtres. Ils priaient pour tous, souhaitant bien sûr la victoire de la France, et priant aussi pour leurs ennemis, ceux qu'ils n'aimaient pas. Oui, on peut toujours, on doit toujours, prier pour tout homme, et quand il est décédé encore plus, en s'en remettant à Dieu dont la toute-puissance est d'être Amour ».

Cela explique clairement la place de la prière pour les défunts au cours d'une messe, dans l'Église catholique.

Le 13 novembre 2025

Mgr Philippe BALLOT
Administrateur Apostolique du diocèse de Verdun

Diocèse de Verdun

Dans les archives : La Croix, 24.07.1951

L'émotion qu'a suscitée en ces derniers temps la perspective de sa mort nous fait penser que des messes seront demandées pour le repos de son âme. Nous ne pouvons que louer cette initiative qui est bien dans la tradition chrétienne et française. Mais nous désirons que ces messes, loin de donner lieu à des manifestations politiques, gardent partout la dignité qui convient à des cérémonies religieuses et le recueillement qu'exige la prière pour les défunts.

Communiqué des cardinaux français

Le maréchal Pétain vient de mourir, après avoir été, par un fait unique dans les annales de notre histoire, prisonnier pendant plus de cinq ans, jusqu'à l'âge de 95 ans, au fort de l'île d'Yeu. Devant la tombe d'un vieillard qui a connu tant de gloire et tant d'humiliation, nous pensons qu'il convient de ne prononcer que des paroles de paix.

Peu de destinées furent plus tragiques que la sienne. Parmi les chefs militaires qui se sont illustrés durant la première guerre mondiale, il reste dans le souvenir de ses anciens soldats l'un des plus grands. C'est ce qui lui valut en 1940 le périlleux honneur d'être porté par une opinion publique en détresse, malgré ses 84 ans, à la suprême magistrature de l'État, et d'avoir à prendre, en face de l'invasion et de l'occupation ennemies, les plus graves responsabilités. Ses actes ont été dès lors ardemment discutés. Lui, pourtant, a toujours protesté de la droiture de ses intentions et a déclaré s'en remettre au jugement impartial de l'histoire. C'est elle, en effet, qui le jugera après Dieu.

L'émotion qu'a suscitée en ces derniers temps la perspective de sa mort nous fait penser que des messes seront demandées pour le repos de son âme. Nous ne pouvons que louer cette initiative qui est bien dans la tradition chrétienne et française. Mais nous désirons que ces messes, loin de donner lieu à des manifestations politiques, gardent partout la dignité qui convient à des cérémonies religieuses et le recueillement qu'exige la prière pour les défunts.

+ ACHILLE, card. LIÉNART, évêque de Lille.
+ PIERRE-MARIE, card. GERLIER, archev. de Lyon.
+ JULES-GÉRAUD, card. SALIÈGE, archev. de Toulouse.
+ CLÉMENT, card. ROQUES, archev. de Rennes.

La Croix, 24.07.1951

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