Document officiel du Collectif Voix Libérées

Préambule

Plusieurs participant·es du collectif à la rencontre du 4 octobre 2025 entre la Conférence des évêques de France (CEF) et les collectifs de victimes ont signalé que le compte rendu officiel diffusé par la CEF ne reflète pas fidèlement la teneur complète des échanges.

Certains points soulevés par les personnes victimes n'y figurent pas, tandis que d'autres passages relatés n'ont pas été vécus comme tels

Le Collectif Voix Libérées, tout en reconnaissant la valeur de ce temps de rencontre, souhaite donc proposer ici une lecture critique, à partir de son expérience directe et de l'analyse des deux documents diffusés.

Analyse critique du Collectif Voix Libérées

1. Un écart toujours profond entre discours et réalité

Malgré une volonté affichée d'avancer, la CEF reste dans une logique de communication descendante.

Les outils sont présentés comme des réponses suffisantes, alors qu'ils demeurent très inégalement appliqués et peu évalués.

La parole des victimes, bien que sollicitée, n'est pas intégrée dans la gouvernance réelle de ces dispositifs.

2. Une approche technocratique qui ne transforme pas la culture ecclésiale

L'empilement de fiches, de plans et de chartes traduit une culture du contrôle administratif, sans réelle remise en question du rapport d'autorité et de pouvoir clérical.

La prévention ne peut se réduire à la conformité : elle doit être le fruit d'un travail spirituel, institutionnel et anthropologique sur les causes systémiques de la violence.

3. L'invisibilité persistante des majeurs victimes

Alors que la majorité des nouveaux signalements concernent des adultes en situation d'emprise spirituelle ou pastorale, la CEF renvoie leur prise en charge à plus tard.

Cette lenteur entretient un déni structurel et empêche la reconnaissance du caractère systémique des abus dans l'Église, qu'ils concernent des mineurs ou des adultes.

4. Une formation du clergé encore insuffisante

Quelques initiatives locales (Nantes, Mission de France) sont positives, mais isolées.

Le Collectif regrette qu'il n'existe aucune directive nationale contraignante obligeant les séminaires à entendre le témoignage direct de victimes et à engager une supervision psychologique obligatoire.

La prévention passe par un travail sur la vie affective, la maturité relationnelle et la question du pouvoir.

5. Absence d'évaluation indépendante et de budget national

L'absence de moyens centralisés traduit une volonté de laisser chaque diocèse « faire à sa manière », créant des inégalités territoriales majeures.

Sans évaluation externe ni transparence budgétaire, il est impossible de mesurer l'efficacité des dispositifs annoncés.

6. Des mots qui blessent encore

Le maintien du terme « pédophilie » révèle la difficulté de l'Église à nommer le crime.

La « pastorale des personnes victimes » reste pensée comme une pastorale de consolation plutôt que comme un levier de réforme ecclésiale.

Le Collectif rappelle que rien ne pourra se reconstruire sans la vérité des mots et la reconnaissance du crime comme atteinte à la dignité humaine et à la foi.

7. Des signes d'ouverture à encourager

La présence du cardinal Aveline, la volonté de mieux articuler prévention et mémoire, ou encore la perspective d'un observatoire mixte Église/État constituent des signaux encourageants.

Mais ils devront s'accompagner d’actes concrets, vérifiables et évalués dans le temps.

Recommandations du Collectif Voix Libérées

  1. Création d'un Observatoire national indépendant associant victimes, Église et représentants de l'État, chargé de suivre l'application réelle des politiques de prévention et de réparation.
  2. Évaluation annuelle publique des dispositifs de formation et d'écoute, réalisée par un organisme extérieur.
  3. Intégration obligatoire de personnes victimes dans la formation initiale et continue des prêtres, séminaristes, éducateurs et responsables diocésains.
  4. Reconnaissance du caractère systémique des abus commis sur personnes majeures, avec un dispositif spécifique de reconnaissance et de réparation.
  5. Adoption du terme « pédocriminalité » dans tous les textes officiels et sur les sites institutionnels.
  6. Création d'un fonds national unique et pérenne, indépendant des budgets diocésains, pour financer la prévention, la formation et la mémoire.
  7. Concertation obligatoire avec les collectifs de victimes avant toute réforme de l'INIRR, de la CRR ou des dispositifs d'accompagnement.
  8. Politique de mémoire et d'accès aux archives, avec plaques, cérémonies et transmission historique dans les établissements concernés.

Conclusion

Le Collectif Voix Libérées prend acte des efforts engagés par la CEF pour structurer la prévention, mais constate que l'essentiel reste à faire : le passage de la conformité à la conversion, de la gestion à la justice, du discours à la transformation.

Tant que la voix des victimes ne sera pas placée au cœur de la gouvernance, la prévention demeurera inachevée.

Notre espérance est qu'un jour, l'Église devienne un espace sûr, où la mémoire des blessures fonde une véritable culture de vérité et de réparation.

Collectif Voix Libérées – Octobre 2025
Pour que nos voix, longtemps réduites au silence, deviennent semence de justice et de transformation.

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