Le fonctionnement du TPCN

Vous trouverez ci-dessous la transcription intégrale de cette interview diffusée le 14 octobre 2025, à réécouter sur le site Internet de RCF Alsace 🡵.

Bonjour à toutes, bonjour à tous,
Très discrète habituellement, l'instance juridique de l'Église catholique, le Tribunal pénal canonique national a publié un communiqué concernant Monseigneur Gilles Rettinger, évêque auxiliaire émérite de Strasbourg. Une déclaration qui se veut apporter des précisions suite à une publication de ce dernier par voie de presse. En effet, un article publié aux Dernières Nouvelles d'Alsace, paru le 5 septembre, expliquait que Monseigneur Rettinger était toujours actif en tant que prêtre, alors qu'il fait l'objet d'une enquête canonique pour ne pas avoir dénoncé une tentative de viol par un ancien supérieur de son ordre, les Missions étrangères de Paris. En début de mois, l'accusé ayant démissionné en 2024 a démenti cette information dans un droit de réponse stipulant ne faire l'objet d'aucune enquête. Pourtant, le Tribunal Pénal Canonique National, qui juge tous les délits dans le droit de l'Église, est catégorique : une enquête canonique est bien en cours à l'encontre de Monseigneur Rettinger. Pour en discuter et surtout pour y voir plus clair dans le fonctionnement de la justice catholique, nous recevons le père Gonçalves, promoteur de justice du Tribunal pénal canonique national.

Bonjour Père Gonçalves. On l'a dit, le TPCN a réagi dans un communiqué publié le 3 octobre, soit deux jours après le droit de réponse de Père Rettinger. Pourquoi le tribunal a choisi de publier un communiqué sur cette affaire ? D'autant plus que vous en publiez assez peu. Cinq communiqués en tout et le précédent date d'octobre 2024.

Tout simplement, il s'agit d'une question de juste information. Comme vous l'aurez remarqué, le tribunal ne contredit pas. Après, les motivations par lesquelles ceci a été fait restent propres à la cause en cours. Donc je n'en dirai pas plus.

Justement, parlons de la procédure. Il semble qu'au tribunal les signalements se font d'abord auprès de vous, c'est ça ?

Toute personne qui pense qu'un délit a été commis dans l'Église peut faire un signalement auprès de l'ordinaire, donc un supérieur religieux, un évêque, ou il peut aussi faire un signalement auprès du TPCN. Donc de fait, il y a un certain nombre de signalements qui arrivent. Notre rôle dans un premier temps, c'est d'écouter les personnes. Et puis de qualifier les faits et la crédibilité des personnes. Et puis, comme le tribunal n'agit jamais de façon autonome de ce point de vue-là, ces signalements, on les transmet à l'autorité qui est compétente. Par exemple, quand il s'agit d'un religieux qui appartient à une congrégation de droit pontifical, on s'adresse au supérieur majeur. Quand c'est un prêtre diocésain, on s'adresse à son évêque. Quand c'est les personnes qui relèvent de la juridiction du pontife romain, on envoie les choses au dicastère. Et à ce stade, quand on reçoit un signalement, on n'examine pas le fond des choses. On transmet simplement une information. On n'est même pas dans un stade vraiment d'enquête : c'est simplement la transmission d'un signalement, ce qui est encore en dessous d'une enquête.

Vous nous parlez de signalements qui sont ensuite dédiés aux autorités compétentes. Le communiqué explique que les signalements ont été transmis au dicastère des évêques qui est compétent en la matière. Le dossier est en cours de traitement. Pourquoi les évêques ne sont ils pas jugés directement par le tribunal ?

Parce que le droit de l'Église estime qu'en matière pénale, et simplement en matière pénale, les évêques relèvent directement de la juridiction du pontife romain. L'évêque qui est en communion avec le pontife romain et avec ses autres frères évêques dans la communion de l'Église appartient à un même collège qui est le collège des évêques. Dans l'Église, l'évêque est celui qui possède à la fois l'ensemble de la juridiction et de tout ce qui concerne la consécration épiscopale. Il est successeur d'apôtres, donc l'évêque est une forme de clé de voûte dans l'institution. Et donc, évidemment, eu égard à sa dignité, à ses fonctions, à sa consécration, eu égard aussi au fait qu'une mise en cause n'affecte pas simplement la personne, mais affecte un fonctionnement institutionnel — notamment quand il est à la tête ou au service d'un diocèse — eu égard à tout cela, c'est le pontife romain qui est le seul juge des évêques en matière pénale. Alors, le pape ne rend pas la justice lui-même quand un évêque est mis en cause. Généralement, il demande à un dicastère ou à un tribunal apostolique de traiter le cas. Mais il peut arriver que parmi les personnes à qui on confie le soin d'un traitement d'évêque, on demande au tribunal de juger un évêque. C'est-à-dire que nous ne sommes pas naturellement compétents pour le faire. Mais le Saint Siège peut nous demander de le faire en son nom.

Dans le cas où le signalement ne concerne pas un évêque, quelle est la procédure après avoir été signalée ?

Une fois que le signalement est fait quand il est fait à notre tribunal, la première chose qu'on fait toujours, c'est qu'on vérifie la crédibilité à la fois des personnes — autant qu'on puisse le faire — et la crédibilité des faits. Quelques fois malheureusement le temps aidant, c'est très difficile pour les gens de se rendre compte exactement de ce qui s'est passé, donc il faut être extrêmement prudent. Et après, généralement, on transmet à l'évêque le signalement. Et notre rôle, c'est de nous tenir à côté de l'évêque pour le conseiller utilement, c'est-à-dire : est-ce qu'il faut ouvrir une enquête préliminaire ? Si oui, à qui peut-on la confier ? Et puis l'enquête préliminaire lorsqu'elle est achevée, lorsque les faits ne dépendent pas du Saint Siège, mais sont encore de la compétence de l'évêque, nous donnons un avis à l'évêque sur l'enquête préliminaire pour l'aider à prendre les décisions nécessaires en termes de procédure. Est-ce qu'ils font un procès ? quel type de procès ? et cetera. C'est seulement s'il y a procès que nous rentrons dans une phase plus contentieuse et que dans ces cas-là, on dépose ce qu'on appelle un libelle, c'est-à-dire un acte d'accusation que reçoit le président du tribunal et pour lequel il constitue ce que nous on appelle « un tour » avec différentes personnes qui auront à juger de l'affaire qui est soumise à leur discernement.

Est ce que c'est à partir du moment où il y a un procès qu'une personne accusée est mise au courant de cette enquête canonique à son encontre ?

Il y a deux cas de figure, votre question est tout à fait pertinente. Si les faits concernent des actes qui sont de la compétence de ce qu'on appelle le dicastère pour la doctrine de la foi, notamment pour les faits qui concernent les attentats contre les personnes mineures, la personne qui est soupçonnée est informée à ce stade-là de la procédure, c'est-à-dire au stade de l'enquête préliminaire qui suit le signalement. Mais il peut arriver que dans certaines enquêtes préliminaires, si elles ne relèvent pas de ce cas de délits réservé au dicastère, la personne qui en fait l'objet n'est pas informée. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les enquêtes préliminaires doivent être entourées d'une certaine discrétion pour ne pas nuire à la bonne réputation des personnes et surtout pour ne pas inquiéter une personne alors qu'a priori pour l'instant, il n'y a pas la matière pour qu'elle le soit.

Le TPCN a été institué en 2023 sur recommandation de la CIASE, la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l'Église. Il est rare que le tribunal s'exprime par communiqué. On l'a dit, le tout premier concernait l'enquête préliminaire au sujet de quelques membres des missions étrangères de Paris, l'ordre auquel appartient justement Monseigneur Rettinger. S'agissait-il du premier dossier confié au tribunal ?

Alors plusieurs choses dans ce que vous dites. La première, c'est que le TPCN est rentré en activité non en 2023, mais le 5 décembre 2022. Et la deuxième chose, c'est que la CIASE avait dit que ce serait bien qu'il y en ait un, mais les évêques l'avaient décidé en 2021. Il y a une forme de convergence, mais la volonté des évêques de constituer ce tribunal est antérieure à la CIASE. Après la deuxième chose, c'est que on ne divulgue pas l'ordre des dossiers quand ils arrivent et de quel dossier il s'agit, ou s'il s'agit d'un dossier de signalement, d'une enquête préliminaire, d'un procès initié. Ce qu'il faut comprendre, c'est que la sentence, c'est l'évêque diocésain qui va décider, selon les cas, s'il convient ou non de la rendre publique. Il y a des moments où, par exemple, une personne est condamnée, mais les victimes ne veulent certainement pas qu'il y ait de communication. A l'inverse, par exemple, l'archevêque de Tours, dans une affaire d'un prêtre concernant son diocèse, avait souhaité que la sentence du tribunal soit largement diffusée. Donc la question de la communication des actes, c'est dans les mains et c'est la responsabilité des ordinaires parce que nous rendons la justice, mais nous n'exécutons pas les décisions. L'exécution est toujours dans les mains des ordinaires.

Combien d'enquêtes le tribunal mène t-il par par an ?

Là encore, c'est une question de qualification, c'est pourquoi on hésite toujours beaucoup à donner des chiffres. Pourquoi ? Parce qu'une même affaire peut comporter plusieurs enquêtes. Par exemple, on peut avoir un signalement sur une personne, mais il y a huit personnes qui disent avoir été victimes de la même personne. Donc est-ce que c'est une enquête ou est-ce que c'est huit enquêtes, vous voyez ? Or ces cas-là ne sont pas du tout marginaux. Tout ce que je peux vous dire c'est que nous ne manquons pas de travail. On aimerait être au chômage, vous voyez ! Il y a des gens qui aimeraient l'être c'est rare, mais nous on aimerait avoir le chômage, mais c'est pas le cas ! Je crois que ce tribunal répond à une réelle conviction initiale des évêques de pouvoir les aider à ce qu'une justice dans l'Église soit mieux rendue et ce tribunal travaille d'arrache-pied, ça c'est évident.

Mais vous auriez une fourchette à nous donner ?

Encore une fois, c'est assez compliqué à donner. Et puis aussi parce qu'on rend des comptes une fois par an à la fois au tribunal suprême de la signature apostolique qui fait office de ministère de la justice et puis aux évêques évidemment, puisque nous sommes le tribunal de la conférence des évêques. Par mois, il nous arrive entre sept et 13 signalements de faits qui nous demandent d'intervenir.

J'imagine que c'est tout aussi variable : combien de temps met à être traité un signalement ?

Il y a des affaires qui peuvent être résolues en quelques mois et il y en a qui déjà ont demandé plus de 18 mois. En matière pénale, c'est difficile de limiter les gens en leur disant « vous n'allez pas nous présenter trop de témoins pour que ça ne perde pas trop de temps ». Donc en fait, il peut y avoir des affaires où il y a énormément d'auditions à réaliser, beaucoup de gens à recevoir à écouter. Tout dépend aussi du positionnement de la personne mise en cause. Il y a des gens qui disent « c'est vrai, ça je l'ai commis, je le reconnais ». Donc évidemment, les procédures sont plus légères lorsque la personne reconnaît les faits. Et encore, même quand elle reconnaît les faits, il faut quand même pouvoir les établir avec véracité pour qu'à la personne elle-même, on rende la justice auquel elle a droit, c'est-à-dire non pas simplement comme elle perçoit les faits, mais comme ils ne se sont réellement passés. En droit canonique, ça reste des délais tout à fait raisonnables aujourd'hui. C'est toujours trop long tant pour la personne qui attend la justice que pour la personne qui est un peu suspendue de ses activités en attendant qu'une décision soit rendue. On sait très bien que c'est toujours trop long. Il y a autant d'affaires que de cas et de personnalités donc je ne peux que vous donner des fourchettes de ce point de vue là.

Le tribunal compte 10 juges. Alors comment se passent les jugements ? Les 10 juges ne jugent pas en même temps.

Tout va dépendre de la catégorie d'affaire, c'est-à-dire qu'il y a des affaires qui ont un juge unique. Et il n'y a des tribunaux collégiaux, c'est-à-dire où il y a au moins 3 juges qui sont réunis, si la peine encourue est le renvoi de l'état clérical ou l'excommunication, qui passent pour la peine expiatoire et la peine médicinale la plus importante. Dans tous les autres cas de figure, on peut toujours décider qu'il y ait un juge unique qui peut s'entourer de deux assesseurs. C'est le rôle du président du tribunal de constituer ce qu'on appelle des tours. Au fur et à mesure qu'une affaire vient, dans l'ordre d'arrivée, les juges prennent leur tour pour juger les affaires. Tous les juges n'ont pas la même disponibilité en temps et toutes les compétences. Donc il y a des juges qui sont plus disposés à pouvoir mener des instructions. Et puis il y a des juges qui rendent le service de ce qu'on appelle juge du tour. Ils vont donc former le collège et ils donneront une appréciation puisque quand un tribunal est collégial, chaque juge a une voix. Donc par exemple, avec 3 juges, la majorité est à deux voix, donc il faut au moins que deux juges soient d'accord sur une sentence. Il y a un juge qui va remplir le travail de l'instruction du dossier, qu'on appelle un juge ponant. Et puis une fois que ce travail d'instruction est fait, les juges se réunissent. On a reçu précédemment les remarques du promoteur de justice et les plaidoiries des différents avocats présents. Je dis différents avocats parce qu'il peut y avoir l'accusé, mais il peut y avoir aussi les victimes qui se constituent en tierce partie. Ça, c'est c'est quelque chose qu'on ignore par trop je trouve c'est que et des fois on colporte l'inverse. Mais dans l'Église, toute personne qui estime qu'elle a été lésée par le comportement de la personne mis en cause a le droit de demander réparation et de s'adjoindre à la procédure en cours. C'est prévu au canon 1729, la personne est constituée comme ce qu'on appelle une tierce partie et c'est l'équivalent de la constitution de partie civile dans nos procédures. Donc il peut y avoir plusieurs avocats, l'un défendant évidemment les intérêts de la personne mise en cause et les autres les intérêts de demande de réparation de la part des personnes qui estiment avoir été victimes du comportement du mis en cause.

Enfin, une autre affaire également révélée dans la presse, chez Mediapart cette fois, touche le diocèse de Strasbourg. Le chanoine Hubert Schmidt a été récemment nommé vicaire général alors qu'il a été visé par une plainte civile pour agression sexuelle. Les faits auraient eu lieu en 1993. L'affaire a donc été classée sans suite pour prescription. Cependant, la prescription n'est pas reconnue par votre tribunal. Pourquoi ?

Ce n'est pas que la prescription n'est pas reconnue. La prescription existe même pour les délits contre les mineurs. Mais lorsqu'un mineur est la personne potentiellement victime, il appartient à la compétence du dicastère de la doctrine de la foi de lever éventuellement cette prescription. La prescription existe, mais elle n'est pas systématiquement acquise.

Sous quel critère elle peut être levée ?

Le critère peut être la violence des faits. Parce que dans l'Église, un délit contre le sixième commandement, ça peut être une main mal posée, mais ça peut être aussi des actes plus violents. Donc tout va dépendre de la nature de l'acte qui est posé, de sa récurrence, de ses conséquences pour la personne, du fait qu'il soit isolé ou qu'il touche plusieurs personnes. Il y a un discernement qui s'opère à partir de ces critères, discernement qui est nourri de l'avis des juristes qui ont instruit le dossier.

Merci Père Gonçalves d'avoir accepté notre invitation sur RCF.

Je vous en prie. Merci du temps consacré qui j'espère, permet de mieux comprendre le fonctionnement de ce tribunal. Merci beaucoup.

Je rappelle que vous êtes promoteur de justice au tribunal pénal canonique national.