Violences sexuelles dans l'Église : et maintenant ?
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<< Semaine du 22 au 28 septembre 2025
Violences sexuelles dans l'Église : et maintenant ?
Un interview du père Pierre Vignon.
Certains estiment que l'Église a suffisamment parlé des abus sexuels et qu'il faudrait maintenant passer à autre chose. Que leur répondez-vous ?
Il faut faire la différence entre le diagnostic d'une maladie systémique et sa guérison. Certains ont tendance à croire que, du moment que le nom du mal a été prononcé, il ne serait plus nécessaire d'en parler. Ça suffit, nous disent-ils, avec le reproche à peine tu que, si on en parle, c'est qu'on aime ça ! Or le mal existe et chaque jour apporte son lot de tristes révélations, je suis bien placé pour le savoir. Les victimes se heurtent à ce mur dans certains diocèses, face aux communautés dites nouvelles et à certaines congrégations religieuses. On a appris ces dernières semaines, par exemple, ce qui est devenu l'affaire Kérimel à Toulouse avec la nomination d'un prêtre repris de justice comme chancelier du diocèse. Suite à ça, plusieurs diocèses ont dû faire le ménage, mais d'autres, toujours pas.
Les évêques invoquent souvent le casier judiciaire vide pour se disculper. Qu'en pensez-vous ?
Je constate avec tristesse que la belle notion de virginité, qui implique le don total de sa vie, est souvent réduite à une question de casier. Mais passons, car ce que vous dites soulève la difficile question de l'abus par emprise spirituelle : c'est là la racine de tout. Le Pape François l'avait très bien exprimé dans sa Lettre au Peuple de Dieu d'août 2018 en désignant le cléricalisme comme la source des abus : « Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd'hui. Dire non aux abus, c'est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme. » Je reconnais que ça n'est pas facile à caractériser formellement mais le corps des évêques, et le corps des prêtres également, doit battre sa coulpe, prendre conscience de tout ce qui peut conduire à l'emprise cléricale et prendre la résolution de soigneusement l'éviter. C'est un chemin de conversion. Nous nous en trouverons mieux et les fidèles aussi. C'est le sens de la conversion synodale à laquelle nous invite le Pape Léon à la suite du Pape François. Or je constate que nombre d'évêchés et de Curies générales de Congrégations religieuses et de Communautés nouvelles fonctionnent encore sur le mode de la courtisanerie monarchique : c'est une des plaies dont la Sainte Église aura beaucoup de mal à guérir. Il suffit de lire les communiqués d'auto-justification publiés en langue de buis après chaque nouvelle révélation d'affaire.
Concrètement, qu'attendez-vous ?
Que la situation créée par la crise des abuseurs soit prise à bras-le-corps et non traitée du bout des doigts et du bout des lèvres. Ce qui fait beaucoup souffrir les victimes, - toutes le reconnaissent -, c'est le refus d'endosser les responsabilités et d'en tirer les conséquences de la part des responsables. À la souffrance de l'abus s'ajoute celle du déni. C'est insupportable. La montagne des abus barre la vallée de l'évangélisation qui est la mission normale de l'Église. Tant qu'on ne s'attaquera pas à cette montagne et qu'on cherchera à la contourner, personne ne pourra de façon crédible évangéliser. Cela commence au Séminaire où tout doit être fait pour former des futurs prêtres et diacres qui aient sérieusement renoncé à ce que Freud appelait la Bemächtigungstrieb, la pulsion d'emprise. Elle existe partout et chez tout le monde mais, dans l'épiscopat et dans le clergé, elle est un cancer à éradiquer.