Véronique Margron : "L'impunité des agresseurs demeure dans l'Église"

Très belle interview de Sœur Véronique Margron dans le Point. A lire dans son intégralité pour garder un regard d'espérance, car même s'il reste tant à faire, Véronique Margron pointe également des progrès accomplis.

[Véronique Margron] Nous ne sommes pas au bout de nos peines sur ces sujets, et surtout, toutes les victimes ne parleront pas. De plus, l'impunité des agresseurs demeure. Ce n'est pas parce qu'un certain nombre d'affaires sont révélées que les agresseurs d'aujourd'hui ne se sentent pas dans la même impunité qu'avant.

Vous avez été parmi les premiers à caractériser la crise des abus comme « systémique ». Est-ce toujours le cas ?

[Véronique Margron] Oui. Ce n'est pas parce qu'une partie de l'Église le reconnaît ou en prend conscience que ces comportements vont changer rapidement. Le rapport au secret, le rapport au silence, le cléricalisme dénoncé par le pape François, tout cela constitue un mode de gouvernance qui ne changera pas en un an, ni en deux, ni en cinq, peut-être en dix ou vingt ans, mais pas plus vite. Le caractère systémique est toujours présent, même s'il se déplace un peu, et nous pouvons espérer que certains éléments deviennent moins puissants qu'avant, en particulier la tentation de passer sous silence ou la tendance à minimiser les faits. Mais ce n'est pas certain. De plus, l'Église catholique est à la fois une institution très verticale et comme morcelée. Le pape peut décider, cela ne signifie pas pour autant qu'aussitôt des décisions concrètes seront prises dans tel ou tel diocèse de France, de Colombie, du Burkina Faso ou de Cuba. Pas du tout. Chaque évêque est quasi souverain chez lui : la présidence des évêques de France peut se prononcer, voter même ; heureusement elle a le courage de le faire. Mais cela n'a pas d'autorité hiérarchique sur chaque évêque.

Nos aveuglements restent bien puissants… et c'est un drame.

On le voit actuellement avec le cas du père Spina à Toulouse , promu par l'archevêque alors qu'il avait été condamné pour viol sur mineur, qui a finalement démissionné sous la pression… Que ressentez-vous ?

[Véronique Margron] Je ressens à la fois de la honte et un immense découragement. Comment est-il possible qu'en 2025, dans l'Église en France, avec tout ce que nous savons, de telles décisions soient encore prises ? Il n'y a pas seulement Toulouse. À Angers, un prêtre condamné pour détention d'images pédopornographiques avait pu exercer des charges diocésaines avant que l'évêque, lui aussi, renonce, et je peux craindre que nous puissions découvrir d'autres situations équivalentes, aussi inquiétantes et douloureuses, dans d'autres diocèses. La question n'est pas que ces hommes n'aient pas de projet, ne puissent être réinsérés. Mais commettre des crimes, des atteintes de cette nature à la dignité, à l'intégrité, à la vie et à l'avenir de personnes vulnérables, ne rend pas possible, selon moi, d'exercer une fonction à dimension symbolique. Autrement dit une charge ou une mission qui relèvent, d'une manière ou d'une autre, d'une autorité spirituelle. C'est cela qui n'est pas tolérable, et non le fait que des coupables puissent se réinsérer dans la société. Nous savons combien les prêtres et religieux agresseurs se sont servis de cette aura spirituelle pour commettre leurs méfaits. C'est peut-être cela dont nous ne mesurons pas encore la portée, les conséquences délétères pour les victimes et pour le peuple de Dieu. Nos aveuglements restent bien puissants… et c'est un drame.

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De nombreuses associations de victimes dénoncent une omerta persistante au sommet de l'Église, y compris en France. Partagez-vous ce jugement ?

[Véronique Margron] Qui pourrait oser prétendre qu'il n'y a plus d'omerta ? On euphémise et on minimise des faits. Depuis Benoît XVI, puis François, le Saint-Siège porte une politique de tolérance zéro. Cependant il existe un écart entre ces déclarations, que beaucoup peuvent approuver, et certaines réalités. Je pense par exemple au cas de Marko Rupnik, ce père ex-jésuite accusé d'agressions par des dizaines de femmes. Un procès a été engagé par le Saint-Siège contre lui, au printemps 2025, après de longs mois d'enquête. Mais pour le moment nous ne savons rien de plus. En juin 2023, il a été renvoyé de la Compagnie de Jésus mais est resté prêtre et jusqu'à maintenant toujours protégé. Au-delà des lenteurs de la justice canonique, cela rappelle que, bien tristement, l'Église est comme les autres institutions : sans la pression des médias, des associations de victimes, du peuple de Dieu, les moeurs ne changent pas.

Le Point