L'emprise sectaire : un article de Jean-Pierre Jougla dans la revue Etudes
Les victimes sont trop souvent impuissantes à mettre des mots pour comprendre ce qui leur est arrivé. Pourtant aucun des abus, aucun des viols, de femmes, d'hommes ou d'enfants, aucune atteinte aux biens ou à la personne, n'aurait été possible sans une mise en état d'assujettissement car ils ont été commis à l'insu de la victime 🡵.
Les huit étapes du processus [de l'emprise sectaire]
- La rencontre. La première étape de l'emprise qui met la victime dans un état de faiblesse ouvrant à son assujettissement par le prédateur est la rencontre confiante. L'homme ou la femme d'Église, ou qui s'en revendique, constitue cette rencontre de confiance qui endort toute méfiance, le religieux bénéficiant d'un a priori favorable.
- La mise en place de la séduction. C'est ici que l'on peut parler d'abus spirituel avec le discours narcissisant habituellement rencontré qui fait accéder celui qui l'écoute à un niveau d'élu et, par le biais du love bombing2, l'intègre dans une nouvelle famille.
- L'isolement progressif. L'isolement de la future victime se met en place sous des prétextes de purification, de protection des mauvaises influences extérieures… Ainsi l'élu sera mis à l'abri du regard critique que ses proches pourraient porter sur l'abuseur.
- L'affaiblissement systématique, physique et psychique. La quatrième étape que permet le stade précédent de la coupure va consister à affaiblir de façon systématique sur le plan psychique et sur le plan physique. L'emploi du temps ne laisse aucun temps libre. Les travaux s'enchaînent. Les privations de sommeil ou de nourriture (sous prétexte d'ascèse ou de pauvreté) aggravent la situation et rendent impossible tout esprit critique.
- La mise en place de l'emprise par des techniques spécifiques. L'étape suivante permet d'instiller l'enseignement particulier du groupement d'adhésion à partir d'interprétations fantaisistes de la doctrine ecclésiale et à partir de techniques spécifiques souvent empruntées au domaine de la psychologie plus ou moins dévoyée (prières de guérison ou de délivrance, agapê-thérapies, etc.). […]
- La mise en place de la culpabilité liée au doute. À ce stade, lorsque la victime aura assimilé les paradigmes de changement instillés par l'abuseur (elle se croit complice de l'infestation démoniaque, par exemple), elle sera inscrite dans une culpabilité liée au doute qui pourra naître en elle par rapport à l'enseignement qui lui est délivré. Elle perdra tout esprit critique et ne pourra plus s'autoriser à remettre en question la « vérité » de son mentor. L'autonomie de pensée disparaît ! Quand l'adepte se sent coupable de douter et de penser, il est devenu adepte.
- La mise en place du prosélytisme. L'adepte manipulé devient à son tour manipulateur.
- La mise en place de « rappels ». Les rites, les bilans journaliers (dévoilement régulier du for interne au conducteur dangereux), les menaces et les annonces de dangers imminents sont autant de rappels qui renforcent l'emprise et qui induisent une sorte d'auto-allumage, à tel point que, même une fois sorti, l'adepte peut rester sous l'emprise du groupe. Ce n'est pas parce que l'adepte est sorti de la secte que la secte est sortie de lui.