Nomination de l'Abbé Spina : les réactions de réprobation se poursuivent

Rarement la décision d'un évêque aura été aussi commentée et critiquée, y compris à l'étranger (Belgique 🡵, Finlande 🡵, Suisse 🡵,…). Ci-dessous, vous trouverez une sélection de réactions, parmi toutes celles publiées cette semaine.

Marie, victime d'un autre prêtre

Lettre ouverte à Monseigneur de Kerimel

Monseigneur,

Je n'ai pas les mots…
Non, je n'ai pas de mots à la mesure de la colère, la tristesse, la souffrance et de l'écœurement qui me traversent depuis plusieurs jours suite à la décision que vous avez prononcée de nommer l'abbé Spina au poste de chancelier de votre diocèse.

J'ai honte avec vous et pour vous Monseigneur ; cette décision est une offense indicible pour beaucoup de fidèles, un affront ineffable pour de nombreuses victimes de violences sexuelles dans l'Église.

Vous pensez servir la miséricorde… ; au contraire, vous la détournez et la pervertissez du point de vue d'une victime, que je suis aussi.

Le prêtre qui m'a violée adulte me disait: « le passé appartient à la miséricorde du Seigneur » ! J'entends cette phrase résonner dans vos mots que je ne peux que vomir… ils vous rendent selon moi, complice de trahison.

Dans votre communiqué, vous exhortez les victimes à « aller de l'avant pour se reconstruire » ! Comprenez qu'être le témoin de cette circonstance balaye en un instant chacun de mes efforts de persévérance, d'espérance et de confiance que je rechoisis un à un, pas à pas, jour après jour pour me relever et avancer. En outre, vous me donnez personnellement une énième insoutenable envie de quitter cette institution alors que je me bats de toutes mes forces pour rester fidèle aux promesses de mon baptême…

Aussi, par votre décision, se réveille le traumatisme d'avoir été trompée et trahie par un évêque qui a préféré servir avant tout les intérêts du prêtre qui m'a violée, plutôt que ceux de celle qu'il était censé protéger et secourir.

Je n'ai pas de mots…, sinon ceux d'implorer pour vous la miséricorde du peuple de Dieu et de toutes les victimes en son sein, qui gronde et qui pleure devant l'absurdité et l'invraisemblance de votre insaisissable décision.

Enfin, j'ai la certitude que ce n'est pas seulement les fidèles et les victimes que vous avez offensés en agissant ainsi, mais c'est aussi le Christ avant tout et tout autant que nous.

Cordialement,

Marie

Margot Ferreira

« Quand l'Église trahit ce qu'elle annonce, elle ne s'affaiblit pas seulement aux yeux du monde. Elle perd aussi ceux qui, de l'intérieur, y ont cru avec force et loyauté ».

Margot FERREIRA
Responsable d'équipe MEJ – Diocèse de Toulouse
Ancienne Responsable Pédagogie / Formation – Centre national du MEJ France

Toulouse, le 30 Juin 2025

À l'attention de Monseigneur Guy de Kerimel, Archevêque de Toulouse et Son Éminence le cardinal Jean-Marc Aveline, Président de la Conférence des Évêques de France

Objet : Réaction à la nomination de l'abbé Dominique Spina au poste de chancelier du diocèse de Toulouse

Monseigneur, Son Éminence,

C'est avec une révolte profonde et une immense déception que je vous adresse cette lettre. La nomination en juin 2025 de l'abbé Dominique Spina au poste de chancelier du diocèse de Toulouse constitue une décision gravissime, indéfendable, et indigne de l'Église de France en 2025.

L'abbé Spina a été condamné en 2006 à cinq ans de prison, dont un avec sursis, pour le viol d'un adolescent de 16 ans, des faits commis en 1993. Il ne s'agit pas d'un soupçon, mais d'un crime reconnu, jugé, sanctionné. Aujourd'hui, cet homme se voit confier une fonction centrale dans l'organigramme du diocèse : celle de chancelier. Cette charge n'est pas une simple tâche administrative. Le chancelier est le gardien des actes juridiques de l'évêque ; il intervient dans les nominations, la validation des actes canoniques, l'archivage des décisions. Il agit souvent en délégation directe de l'autorité épiscopale. Ce n'est donc pas un poste discret ou périphérique, mais une position de confiance, d'influence et de pouvoir au cœur même de la gouvernance diocésaine.

Le seul fait que ce crime ait été commis devrait suffire à écarter toute possibilité d'une telle nomination. Pourtant, vous le placez aujourd'hui dans une position de responsabilité que son passé aurait dû définitivement lui interdire. Ce choix heurte profondément la conscience ecclésiale et s'apparente à une trahison de la confiance que l'Église tente de reconstruire.

Ce prêtre n'a jamais été démis de ses fonctions depuis sa condamnation. Il a continué d'exercer son ministère, a été curé d'ensemble paroissial, et a participé à la pastorale, plus ou moins ouvertement, tout en demeurant intégré au diocèse, puis nommé vice-chancelier, avant d'être promu chancelier. Ce n'est ni un oubli, ni une étape transitoire. C'est une trajectoire assumée, et elle est déconcertante. Cet enchaînement n'a aucun sens moral ni institutionnel. C'est l'incarnation même d'une rupture profonde entre les actes posés par l'Église et les principes qu'elle affirme vouloir porter.

Je suis engagée depuis de nombreuses années au sein de l'Église. J'ai accompagné des équipes de jeunes dans le diocèse de Toulouse, participé à la formation de responsables d'animation au niveau national, et contribué à mettre en place, au sein du Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ), une formation obligatoire à la prévention des violences sexuelles sur mineurs à destination des adultes encadrants/ accompagnants/animants. J'ai œuvré de concert avec la Conférence des Évêques de France pour que la culture du silence et de l'aveuglement prenne fin. J'ai agi, avec d'autres, pour faire de l'Église un lieu réellement sûr, respectueux et digne de la confiance des enfants et des familles.

Et aujourd'hui, vous venez anéantir tous ces efforts. Vous piétinez le travail de centaines d'éducateurs, d'animateurs, de laïcs, de prêtres responsables, qui ont porté cette exigence de vigilance et de vérité. Vous brisez la confiance patiemment reconstruite. Vous donnez à voir une Église incohérente, aveugle, sourde à ses propres engagements.

Nous avons tous vu les dégâts causés par des décennies d'inaction, de dissimulation, de protection du clergé au détriment des victimes. Le rapport Sauvé, les témoignages accablants, les larmes, les vies brisées… Comment, après cela, dans ce contexte, est-il encore possible de promouvoir un homme reconnu coupable d'avoir détruit un adolescent ? Comment peut-on parler encore de priorité donnée à la protection des plus faibles, quand vos actes les nient de façon aussi frontale ?

L'Église ne peut plus perpétuer une culture de réhabilitation institutionnelle des abuseurs sous couvert de miséricorde. Il ne s'agit pas de nier la possibilité du pardon spirituel. Il s'agit d'assumer pleinement que certaines fautes disqualifient définitivement tout accès à une fonction d'autorité ou de représentation. Il est inadmissible, en 2025, de devoir encore le rappeler.

Cette décision n'est pas seulement une erreur. Elle constitue un manquement grave à votre devoir moral et pastoral, une atteinte directe à la crédibilité de l'Église, et une violence supplémentaire faite aux victimes et à celles et ceux qui les accompagnent. Elle est aussi une insulte à la conscience collective qui, lentement mais fermement, a exigé des comptes, de la transparence, de la justice. Elle trahit votre rôle fondamental de pasteurs, garants de la protection des plus vulnérables.

En tant que croyante, fidèle et engagée pour notre Église, les enfants et leurs familles, je me refuse à servir une institution qui agit ainsi.

Je vous informe que cette lettre sera rendue publique. Il est temps que la parole des fidèles engagés, lucides, exigeants et blessés, soit entendue. C'est cette fidélité qui me pousse à m'exprimer aujourd'hui. Car cette nomination ne peut pas, ne doit pas, être regardée comme un simple choix administratif. Elle engage bien plus que cela. Elle soulève une question de cohérence morale, ecclésiale et spirituelle.

Je ne cherche pas à juger la personne de Dominique Spina. Je crois à la miséricorde. Je crois aussi à la conversion. Mais je crois encore plus fermement que certaines fonctions doivent rester incompatibles avec certains passés. Non par vengeance, mais par responsabilité. Par fidélité à ceux qui ont été blessés. Par respect pour les jeunes que nous accompagnons. Par souci de justice et de vérité.

Lors de son procès, des experts psychiatres ont mis en évidence un risque de récidive, des traits de personnalité inquiétants — paranoïa, narcissisme, perversion — ainsi qu'une absence totale de culpabilité. Ces constats, loin d'être anodins, ne peuvent être balayés d'un revers de main sous prétexte qu'aucun acte n'aurait été commis depuis. La gravité reste entière. Et ce passé, documenté, aurait dû suffire à écarter toute prise de fonction à caractère institutionnel.

Cette nomination fait violence à celles et ceux qui, comme moi, ont cru — et croient encore — que l'Église pouvait réellement changer. Elle blesse profondément les victimes qui espéraient être enfin prises au sérieux. Elle déstabilise les éducateurs, les prêtres engagés dans la prévention, les parents, les jeunes euxmêmes.

Je n'écris pas pour créer une polémique. J'écris parce que je ne peux pas rester silencieuse. Parce que ce choix est grave. Il ne s'agit plus de l'image de l'Église, mais de sa conscience. De sa parole. De sa crédibilité.

En tant que responsable de jeunes mineurs au sein de notre diocèse, je me sens aujourd'hui profondément honteuse et totalement décrédibilisée suite à cette décision. Comment l'expliquer à mes jeunes, à leurs parents, à mes équipes ? Comment continuer à transmettre les valeurs de vigilance, de justice, de respect inconditionnel, si l'Église elle-même donne le contre-exemple au sommet de sa gouvernance ?

Je n'abandonnerai pas mon engagement. Mais je ne peux plus faire semblant. Et je ne peux plus défendre ce qui me semble indéfendable.

Je ne sais pas comment l'Église espère encore rassembler, appeler, toucher de nouveaux visages si elle persiste à poser de tels actes. Comment prétendre susciter des vocations, de l'engagement, une adhésion sincère, quand les signaux donnés sont ceux de l'oubli, du silence, de la négation des blessures ?

Ce que vous avez décidé est grave. Et les conséquences, bien au-delà du diocèse de Toulouse, seront durables. Il ne suffira pas d'un communiqué pour réparer cela. Il faudra de l'humilité, de la vérité, et surtout, des choix à la hauteur des promesses que l'Église a faites à ses fidèles.

Quand l'Église trahit ce qu'elle annonce, elle ne s'affaiblit pas seulement aux yeux du monde. Elle perd aussi ceux qui, de l'intérieur, y ont cru avec force et loyauté.

Veuillez recevoir, Monseigneur, Son Éminence, l'expression ferme de mon engagement et de ma détermination pour une Église fidèle à l'Évangile et digne de la confiance des enfants qui lui sont confiés.

Margot FERREIRA

Compte LinkedIn de Margot Ferreira

Isabelle Chartier-Siben

Il y a une différence notable entre mener une vie équilibrée de prière, de travail et de pénitence, entouré de frères et de sœurs informés, et accéder à une responsabilité importante dans l'Église.

[…]

Pour accompagner des agresseurs sexuels, je sais que ces personnes ont pu subir des violences dans leur enfance, être manipulés par de grands pervers, prêtres le plus souvent, être habités de pulsions incontrôlables ; mais je constate aussi que, lorsque ces personnes ont fait un vrai chemin de vérité dans la prise de conscience du mal qui les habite et des dommages causés à leurs victimes, lorsqu'elles effectuent un vrai travail de connaissance d'elles-mêmes et dans ce qui déclenche les passages à l'acte, elles entrent sur une voie de repentance et de réparation nullement compatible avec tout ce qui peut ressembler à une mise en lumière. Ce serait d'ailleurs les exposer mauvaisement.

En revanche, les prédateurs dans le déni, voire l'apologie, de leur déviance n'ont cure du bouleversement social qu'ils peuvent créer et des risques qu'ils prennent pour eux-mêmes. Les personnes victimes hurlent devant cette décision de Guy de Kerimel. Ce dernier écrit : « La victime doit aller de l'avant pour se reconstruire. » Mais nous viendrait-il à l'idée de demander à un paralysé « d'aller de l'avant pour marcher » ?

La Vie

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