Nomination de l'Abbé Spina : la justification spirituelle de Mgr de Kerimel largement critiquée

Rappel : en 2005, le père Dominique Spina a été condamné à 5 ans de prison dont un avec sursis pour le viol d'un lycéen âgé de 16-17 ans au moment des faits, dont il était le directeur de conscience en 1993 🡵 (peine confirmée en appel en 2006 🡵). Pendant le procès, une partie des experts psychiatres avaient pointé un risque de récidive de la part du prêtre, décelant chez lui « des dispositions paranoïaques, narcissiques et perverses » et « une absence de culpabilisation » 🡵.

Quel est le rôle du chancelier ?

[Le chancelier] contresigne les nominations, il s'assure de ce que celles-ci et les décisions de l'évêque soient conformes au droit. Il est aussi au contact direct des prêtres du diocèse. Il s'occupe des actes de baptême, de mariages et des sépultures… autrement dit l'enregistrement des sacrements […]. En outre, il s'occupe, comme délégué aux mariages, des dossiers, délivre des dispenses au nom de l'évêque. Il reçoit aussi parfois des fiancés, ou des personnes mariées qui ont besoin de renseignements. C'est à lui que sont demandés les renseignements en cas de procès en nullité des mariages. Il a aussi une part dans les dossiers de renvoi à l'état laïc. Quant il est prêtre, il peut être notaire dans les procès canoniques où des prêtres sont en cause.

Luc-André Biarnais, sur X/Twitter

Le chancelier est un poste extrêmement sensible, qui exige, outre une réputation intacte, une absolue discrétion. Il n'est de décision, sensible ou confidentielle, qui lui échappe, il est en quelque sorte le garde des sceaux de l'évêque. On imagine sans peine le danger de placer à ce poste de gardien des secrets un homme mis en cause en matière grave. Et c'est une réalité que l'on rencontre trop souvent, en maints dossiers : les fuites, les conflits d'intérêts, le « compérage ». L'intégrité des juges, des officiaux, n'est pas seulement un impératif moral, c'est la condition même de la justice et d'un sain gouvernement.

Père Camille Rio, sur X/Twitter

§ 1. Outre le chancelier, d'autres notaires peuvent être constitués dont l'attestation ou la signature font publiquement foi, en ce qui regarde tous les actes ou les actes judiciaires uniquement, ou seulement les actes d'une cause ou d'une affaire déterminées.

§ 2. Le chancelier et les notaires doivent être de réputation intacte et au-dessus de tout soupçon; dans les causes où la réputation d'un prêtre pourrait être mise en question, le notaire doit être prêtre.

CDC, canon 483

Mgr Guy de Kerimel explique avoir « pris le parti de la miséricorde »

Communiqué – Nomination du chancelier du diocèse de Toulouse

La nomination du nouveau chancelier du diocèse a suscité ces derniers jours de l'incompréhension et des questions. Ces questions doivent être entendues. Par cette lettre, je souhaite vous expliquer mon choix, sans passer par le prisme déformant de la presse ou des rumeurs.

Le viol est un crime, et il ne s'agit aucunement de relativiser un crime. C'est notre devoir absolu de tout faire pour que la victime soit reconnue et aidée dans son chemin de vie ; elle doit aller de l'avant pour se reconstruire en découvrant qu'elle n'est pas d'abord ni seulement une victime, même si ces blessures blessent à vie.

L'Église, et le diocèse de Toulouse en particulier, ont mis en place les moyens nécessaires pour prévenir les abus sur mineurs (cellule d'écoute des victimes, formation des prêtres et laïcs, mise en œuvre de procédures canoniques nécessaires…). Je reçois personnellement de nombreuses victimes, et je pleure avec elles. Je les accompagne du mieux que je le peux. Nous avons fait des signalements à la justice, nous avons envoyé des dossiers à Rome. Tout cela a été fait également pour le Père Spina, en son temps. Rome ne l'a pas renvoyé de l'état clérical, c'est-à-dire que le Dicastère de la Doctrine de la foi a jugé qu'il pouvait encore accomplir un ministère.

Depuis que je suis à Toulouse, le Père Spina s'occupe des archives de catholicité et en tant que vice-chancelier gère les notifications de baptêmes, de mariages ; les extraits de baptême pour les paroisses qui le demandent… Il trie, archive, numérise des documents… Après la démission du chancelier en fonction, j'ai choisi de maintenir la continuité de mission et de nommer le Père Spina, chancelier en gardant son activité aux archives.

En tant que chancelier et comme avant, il continuera à travailler dans son bureau à l'archevêché ; il n'a donc aucun contact avec les jeunes, et vit de manière très discrète. Le chancelier est un homme de l'ombre dans un diocèse, il n'a aucun rôle de premier plan, et cela ne peut en aucune manière être compris et présenté comme une promotion, comme certains organes de presse ont voulu le faire. Il s'agit de la poursuite et l'extension d'un service qu'il accomplissait déjà pour une large part.

Les médias ont cité une phrase du Droit canonique : le chancelier devant être « de réputation intègre et au-dessus de tout soupçon ». Je pense que l'on peut dire cela aujourd'hui du Père Spina, si toutefois nous croyons, comme la foi chrétienne et la simple humanité nous y invitent, que la conversion d'une personne est possible. Ce qui suppose naturellement de pouvoir s'appuyer sur des signes clairs de conversion et de changement de vie.

Faire miséricorde à un prêtre qui a péché gravement il y a trente ans, et qui, depuis, fait preuve d'abnégation et d'intégrité dans son service et son rapport à ses supérieurs et ses confrères, est-ce possible ?

Le Pape François disait que Dieu est Miséricorde, c'est son Nom. Et nous, chrétiens, nous sommes témoins de la miséricorde divine.

En ce qui concerne l'affaire du Père Dominique Spina, la victime a été reconnue, elle a obtenu justice, le crime a été dénoncé et le Père Spina a passé quatre années en prison qu'il a purgé. La société comme l'Église doivent désirer et veiller à la réinsertion, en sécurité, des condamnés.

La miséricorde ne s'oppose pas à la justice, mais elle va plus loin. S'il n'y a pas de miséricorde, nous sommes les plus malheureux, car il n'y a de salut possible pour aucun d'entre nous. Ne pas faire miséricorde c'est enfermer l'auteur de l'abus dans une mort sociale ; c'est rétablir une forme de peine de mort.

Puisque pour nous chrétiens, la Parole de Dieu est notre référence, je vous invite à méditer le prophète Ézéchiel qui nous dit, « la justice du juste ne le sauvera pas au jour de son crime, et la méchanceté du méchant ne le fera pas trébucher le jour où il se détournera de sa méchanceté. » (33,12). Il nous invite à la miséricorde qui est notre seule espérance.

Soyez assurés de mon dévouement et de ma prière.

Monseigneur de Kerimel
Archevêque du diocèse de Toulouse

Diocèse de Toulouse

Le communiqué transmis à l'Agence France-Presse (AFP) semble être un peu différent

Dans un communiqué transmis lundi à l'Agence France-Presse (AFP), l'archevêque de Toulouse, Mgr Guy de Kerimel, a expliqué avoir « pris le parti de la miséricorde » « en choisissant de nommer l'abbé Spina chancelier de la curie diocésaine », alors qu'il était depuis cinq ans employé aux archives. « Il est vrai que l'abbé Spina a accompli une peine de cinq ans de prison, dont un avec sursis, pour des faits très graves qui se sont déroulés il y a près de trente ans », poursuit l'archevêque dans son communiqué. Mais, fait-il remarquer, « il n'exerce plus de charge pastorale, sinon celle de célébrer l'eucharistie, seul ou exceptionnellement pour des fidèles. Considérant que nous n'avons rien à reprocher à ce prêtre depuis ces trente dernières années pour faits susceptibles de faire l'objet de poursuites judiciaires, canoniques ou civiles, j'ai donc choisi de le nommer dans cette fonction administrative », fait encore savoir Mgr de Kerimel.

Le Monde

Editorial de Loup Besmond de Senneville, dans La Croix

Le diocèse de Toulouse a désigné, il y a quelques semaines, un chancelier condamné en 2006 pour « viol sur mineur ». La nomination de ce prêtre soulève une vive émotion chez une grande partie des fidèles catholiques. Certes, le père Dominique Spina, incarcéré pour avoir violé un lycéen de 16 ans en 1993, avait purgé sa peine de prison. Trois ans après la sentence de la justice, il était nommé curé, puis responsable de la pastorale des jeunes dans sa paroisse, ce qui avait également soulevé l'émotion.

L'Église catholique doit réfléchir collectivement au sort des prêtres condamnés ayant purgé leur peine. Les ecclésiastiques sanctionnés pour des crimes aussi graves peuvent-ils rester prêtres ? Il est permis d'en douter sérieusement. Peuvent-ils être nommés à des postes aussi sensibles que chancelier, dont le code de droit canonique indique que la réputation doit être « intègre et au-dessus de tout soupçon » ? Poser la question, c'est déjà y répondre.

Les prêtres ayant purgé leur peine doivent évidemment, comme tout un chacun, pouvoir être réintégrés dans la société et retrouver une place. Mais la responsabilité de l'Église catholique est aussi de penser à la place qu'elle leur donne. Et le principe de miséricorde ne peut être employé comme une justification trop rapide.

Surtout, les responsables de l'Église catholique ne peuvent pas, aujourd'hui, faire fi de leur « opinion publique », c'est-à-dire des fidèles. Ce que le pape François nommait, en des termes plus théologiques, le « sensus fidei » ne peut en effet être ignoré. C'est le sens profond de la synodalité poussée par le pape argentin et reprise par son successeur qui, dès ses premiers mots prononcés depuis la loggia de la basilique Saint-Pierre, évoqua une « Église synodale ».

Editorial de Loup Besmond de Senneville, dans La Croix

Réaction de la victime du père Spina

Dans la presse régionale, l'archevêque de Toulouse défend son choix et explique avoir « pris le parti de la miséricorde ». Que pensez-vous de cette justification ?

Prendre le parti de la miséricorde ? (Rires) Est-ce qu'on prend ce parti pour les victimes ? Pas du tout. « Miséricorde » ? C'est terrible d'entendre des mots pareils. Pour les victimes, la miséricorde n'existe pas. Il n'y a même rien du tout, à vrai dire. Spina est soutenu jusqu'au bout. Deux cours d'assises, ce n'est pas rien quand même ! Il y a eu des viols et des agressions sexuelles répétées avec violence. Que faut-il de plus à l'archevêque de Toulouse ? Ces gens-là ne doivent absolument pas être en responsabilités. Dans n'importe quelle autre fonction, lorsque vous commettez de tels actes, vous ne revenez plus. Lui, il arrive à retrouver son statut, il a continué à s'occuper de gamins et aujourd'hui il prend même du galon dans l'Église. On a le sentiment qu'il a été complètement lavé. C'est choquant.

Charlie Hebdo

Communiqué de presse de collectifs de victimes de l'enseignement catholique

Communiqué de presse
Paris, le 8 juillet 2025

Rappel des faits :

Le 2 juin 2025, Dominique Spina, prêtre du diocèse de Toulouse, vice-chancelier du diocèse de Toulouse, a été promu chancelier et délégué épiscopal aux mariages, par décision de Guy de Kerimel, archevêque de Toulouse.

Dans les années 1990, Dominique Spina était aumônier pour des lycéens des établissements catholiques palois Louis Barthou et Saint-John Perse.

En 2005, en première instance, et en 2006, en appel, Dominique Spina a été reconnu coupable et condamné à cinq ans de prison, dont un avec sursis, pour des viols sur un adolescent entre 1992 et 1994.

En 2016, Mediapart révélait que, depuis 2009, Dominique Spina était responsable de la pastorale des enfants dans sept commune au nord de Toulouse. À la suite de ces révélations, Dominique Spina a quitté son ministère, tout en gardant des fonctions dans le diocèse de Toulouse.

Les collectifs de victimes de l'enseignement catholique expriment leur colère et demandent des mesures concrètes à l'Église catholique

Nous, collectifs de victimes de l'enseignement catholique, exprimons notre profonde indignation, et notre colère, face à la promotion de Dominique Spina, prêtre du diocèse de Toulouse, au poste de chancelier et délégué épiscopal aux mariages, le 2 juin 2025, par décision de Guy de Kerimel, archevêque de Toulouse.

Cette situation, inacceptable, témoigne d'un manque de respect flagrant envers les victimes et leurs familles. Pire, elle démontre que, malgré une volonté affichée de lutte contre les violences faites aux mineurs, l'Église de France continue de protéger les prédateurs, même condamnés, et va jusqu'à les promouvoir.

L'Église catholique doit prendre, immédiatement, des engagements fermes, et des mesures courageuses, pour garantir que les prêtres, et les religieux, reconnus coupables de violences sur des enfants OU des adultes ne puissent plus exercer de fonctions au sein de l'Église. II est également impératif que les prêtres et les religieux faisant l'objet de signalements crédibles fassent l'objet de mesures conservatoires efficaces et qu'ils soient éloignés des ministères au contact d'enfants.
Nous rappelons à l'Église de France sa mission de protection des publics fragiles, en particulier les enfants, qui lui sont confiés. « Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites » (Matthieu 25:40)

Nous demandons :

  • Interdiction stricte et définitive d'exercer tout ministère pour les prêtres et les religieux, condamnés pour des violences, qu'elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques, sur des enfants OU des adultes.
  • Éloignement conservatoire des ministères au contact d'enfants pour les prêtres et les religieux faisant l'objet de signalements crédibles.
  • Transparence totale sur les décisions de nomination et les antécédents des prêtres et religieux.

Alors que les voix de milliers de victimes de l'enseignement et de l'Église catholique se font entendre pour dénoncer les violences subies pendant des décennies, il est temps pour l'Église catholique d'écouter et d'agir avec détermination pour mettre fin à ces pratiques inacceptables.

Les collectifs de victimes de l'enseignement catholique

  • Collectif des anciens de Sainte-Croix des Neiges, victimes de l'institution
  • Collectif des victimes de Notre-Dame de Bétharram
  • Collectif des victimes de Notre-Dame de Garaison
  • Collectif des victimes de Notre-Dame du Sacré Cœur de Dax
  • Collectif des victimes de Saint-Augustin de Saint-Germain-en-Laye
  • Collectif des victimes de Saint-Dominique de Nevilly-sur-Seine
  • Collectif des victimes de Saint-François-Xavier d'Ustaritz
  • Collectif de victimes et d'anciens du village d'enfants de Riaumont
  • Collectif Saint-Joseph de Nay

Publié par Golias

Lettre ouverte de Gabriel Bardinet

Lettre ouverte à Mgr de Kerimel

Monseigneur,

J'ai lu avec stupeur et effarement votre déclaration pour justifier la nomination d'un prêtre condamné pour viol sur mineur au poste de chancelier du diocèse de Toulouse : « J'ai pris le parti de la miséricorde ».

C'est avec colère et tristesse que je vous écris aujourd'hui. Colère, car vos paroles traduisent un aveuglement insupportable face à la réalité des abus dans l'Église. Tristesse, car chaque mot niant la profondeur du mal infligé creuse un peu plus le fossé entre l'église et la vérité.

Avec cette nomination, faites-vous vraiment preuve de miséricorde ? Non. Où est la miséricorde pour la victime dont la vie a été brisée ? Où est la miséricorde pour vos frères prêtres qui vont devoir expliquer votre décision à leurs paroissiens ? Où est la miséricorde pour les chrétiens qui voient leur confiance en l'Église détruite par de telles décisions ?

Après la publication du rapport de la CIASE, tout catholique, tout baptisé, tout pasteur, aurait dû tomber à genoux de honte et supplier pardon, non seulement pour les actes criminels, mais aussi pour la structure même qui les a couverts, tolérés, minimisés. Vos paroles aujourd'hui disent « Circulez, il n'y a rien à voir. L'église continue comme avant. »

Vous êtes évêque. Vous êtes successeur des apôtres. Votre premier devoir est la vérité. Et la vérité aujourd'hui, c'est que l'église catholique porte la honte d'avoir trahi l'Évangile en sacrifiant des vies. Mais surtout la vérité, c'est qu'avec ce type décision, vous Monseigneur de Kerimel, vous continuez à trahir l'Évangile.

Oui, le droit à l'oubli ne peut être nié. Un homme reste plus grand que la faute qu'il a commise, surtout lorsque celle-ci a été jugée et sa peine purgée. La justice humaine n'est pas éternelle, et l'Évangile appelle au pardon. Mais même si juridiquement la faute est derrière lui, même si l'église a choisi de ne pas le renvoyer de l'état clérical, il reste moralement impossible de le placer dans une mission d'église, aussi administrative et non pastorale soit elle. Car au-delà de son histoire personnelle, c'est la confiance des fidèles et la crédibilité de l'Église qui est en jeu.

Nous ne pouvons plus nous taire. Ce sont nos silences qui ont permis ces crimes. Et aujourd'hui ce sont vos paroles qui prolongent l'aveuglement de l'institution. Nous attendons des pasteurs capables de courage. Nous attendons des évêques capables de dire :« Oui, l'Église a péché gravement. Oui, nous avons failli. Oui, nous voulons changer radicalement. ». Par votre décision et vos mots, vous démontrez avec éclat que ce n'est pas votre choix.

Recevez, Monseigneur, l'expression de ma colère fraternelle et ma détermination à ne plus laisser l'Église trahir l'Évangile qu'elle proclame.

Gabriel Bardinet
Un chrétien triste et membre du peuple du Dieu en colère

Publié sur Twitter/X par Joséphine Chastenet de Gery

Texte reçu d'un prêtre

Invitation faite à Mgr de Kérimel de revenir sur sa décision et de donner sa démission

L'archevêque de Toulouse devrait se rappeler les paroles du pape François et en tirer les conséquences s'il avait le sens de l'honneur comme son nom pourrait le donner à penser.

Premier extrait tiré de la conférence de presse dans l'avion du retour du voyage en Terre Le 26 mai 2014 :

« Un prêtre qui fait ça trahit le Corps du Seigneur, parce que ce prêtre doit porter cet enfant, ce jeune homme cette jeune fille, à la sainteté. Et ce jeune, cet enfant fait confiance ; et lui, au lieu de les conduire à la sainteté, abuse d'eux. Et c'est très grave ! C'est vraiment comme…je ferai seulement une comparaison : c'est comme faire une Messe noire, par exemple. Tu dois le conduire à la sainteté et tu le conduis à un problème qui durera toute la vie… »

Pour lui faciliter la lecture, voici le lien sur le site du Saint-Siège : https://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2014/may/documents/papafrancesco_20140526_terra-santa-conferenza-stampa.html

Deuxième et troisième extraits, tirés de l'homélie du pape François à Sainte-Marthe le 7 juillet 2014 en présence de victimes d'abus sexuels commis par des membres du clergé :

« C'est mon angoisse et ma douleur, le fait que quelques prêtres et évêques aient violé l'innocence de mineurs, ainsi que leur propre vocation sacerdotale, en abusant d'eux sexuellement. C'est plus que des actes condamnables. C'est comme un culte sacrilège, parce que ces enfants ont été confiés à leur charisme sacerdotal pour être conduits à Dieu, et ils les ont sacrifiés à l'idole de leur concupiscence. »

« Il n'y pas de place dans le ministère de l'Église pour ceux qui commettent ces abus, et je m'engage à ne pas tolérer le mal infligé à un mineur, par qui que ce soit,indépendamment de son état clérical. Tous les évêques doivent exercer leur servicepastoral avec le plus grand soin pour assurer la protection des mineurs, et ils rendront compte de cette responsabilité. »

https://www.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2014/documents/papafrancesco_20140707_omelia-vittime-abusi.html

Messe noire, pas de place dans le ministère, rendre compte… Il y a de nombreuses autres déclarations du pape François sur le site du Vatican mais celles-ci sont suffisantes pour que non seulement cet archevêque revienne sur sa décision mais encore pour qu'il présente en même temps la démission de son poste. Ça lui évitera de rester enfermé dans l'évêché avec son chancelier. Cela ne disculpe en rien Monseigneur Robert Le Gall qui avait « accueilli » cet homme dans son diocèse ni cet homme lui-même qui aurait dû refuser sa nomination.

Un prêtre diocésain fatigué de l'attitude de certains évêques qui détournent le beau sens de la miséricorde pour se justifier de faire n'importe quoi.

Samedi 12 juillet 2025

Réaction du père Patrick Goujon, sj dans La Croix

Si la charge de chancelier est effectivement une tâche administrative, […] elle n'est pas subalterne, et touche à des matières sensibles

Le droit canonique en dit un peu plus sur les fonctions d'un chancelier, qui, s'il fait fonction d'archiviste, c'est au titre d'un rôle plus décisif dans la vie d'un diocèse. Un évêque préside un certain nombre de conseils diocésains, prend des décisions concernant les biens et les personnes de son diocèse, et cela va jusqu'aux décisions disciplinaires qu'il peut prendre, ainsi que les décisions en nullité de mariage, etc. De tous ces actes, le chancelier est le rédacteur, au sens où ce n'est pas en pratique à l'évêque de préparer tous les documents qui seront ensuite présentés à sa signature.

Le droit canonique précise encore que, si ces actes doivent avoir un effet juridique, ils doivent être signés non seulement de l'évêque mais « pour la validité, en même temps par le chancelier » (canon 474). Si la charge de chancelier est effectivement une tâche administrative, et peut ne pas être vue comme une promotion par l'archevêque de Toulouse, elle n'est pas subalterne, et touche à des matières sensibles. Pour toutes les décisions issues d'un procès, il revient au chancelier de les enregistrer et de les diffuser. Les enquêtes de la CIASE et de la police dans certaines affaires plus récentes ont montré l'usage des chancelleries de détruire les pièces concernant les prêtres pédophiles.

La Croix

A propos de la réputation intègre et au-dessus de tout soupçon (canon 483, alinéa 2)

Quand le droit canon parle donc de la réputation, il ne cherche pas à établir la droiture morale de la personne ni à la requérir pour que puisse être occupée telle ou telle fonction dans un diocèse (ainsi des juges, de l'évêque, du clergé, en général, selon le canon 1029, sur lequel on reviendra pour finir). Que l'archevêque de Toulouse possède l'intime conviction que Monsieur l'Abbé Spina soit aujourd'hui un prêtre sûr et que sa situation de chancelier l'écarte des enfants n'est ici pas pertinent.

[…]

Autrement dit, son casier judiciaire n'est pas vierge, et cela « pour des délits graves », comme le précise le droit canonique au cas où un clerc agresse un enfant. On peut donc conclure que l'argument central de défense du communiqué de presse n'est pas pertinent, qu'il confond le jugement d'estime moral sur la personne (matière délicate s'il en est) avec l'évaluation d'une réputation qui a été ternie (euphémisme) par la commission d'un acte grave. La sanction donnée et la peine accomplie ne rétablissent pas la réputation, au sens où celle-ci ne préjuge pas de l'avenir mais enregistre simplement ce qui a été. Il faudrait une amnistie pour que soit effacée la mémoire infamante, ce que n'est pas le pardon, et à quoi l'amnistie ne parvient jamais tout à fait (on le voit dans les réactions autour de l'Affaire Dreyfus encore aujourd'hui). Il faut donc ajouter aussi que la nomination du chancelier n'est pas valide, peut-être même n'est-elle pas licite, mais là il faudrait des canonistes pour m'éclairer.

La Croix

A propos de la prudence

Je conclus donc avec un dernier canon, le 1029, qui stipule que le jugement de l'évêque doit être « prudent ». Là encore, vous m'excuserez de renvoyer au latin comme à la tradition théologique thomiste la plus solide aide : la prudence est la vertu par laquelle on prend une décision en ayant établi les bons critères, selon la raison et l'Esprit. Il semble pour le moins que la décision de l'archevêque de Toulouse ne le soit guère, sans rien dire du contexte actuel de cette décision, circonstance dont un jugement prudent doit nécessairement tenir compte : l'abbé Spina était à Betharram quand trois autres prêtres agressaient tant d'enfants (200 victimes ont porté plainte auprès du procureur à l'heure actuelle). Je me demande vraiment par quelle magie l'archevêque de Toulouse peut être si assuré de la réputation de son clerc ?

La Croix

Réaction de l'abbé Clément Barré

Je suis en parti d'accord. De fait c'est aussi un devoir de l'Église d'accompagner les hommes qu'elle a ordonné prêtre et qui se sont rendu coupable de crime.

https://x.com/PasquierA/status/1943599953026113850

Et dans ce communiqué on peut voir une vraie sollicitude pastorale. On imagine volontiers les moyens humains, spirituels, thérapeutiques etc. qui ont été mobilisés pour accompagner la réinsertion de l'abbé Spina. Et, je le pense sincèrement, c'est tout à leur honneur.

Evidemment on peut regretter que, quand des sanctions canoniques ont été prises, on ne soit pas aller jusqu'à la reconduction à l'état laïc, mais ce n'est pas imputable à l'actuel évêque. Et ce serait un déni de droit que de rejuger cette affaire. C'est également vrai que la reconduction à l'état laïc n'est pas la solution magique, que l'Église conserve une responsabilité vis à vis de ces hommes, et que les monastères n'ont pas vocation de devenir des prisons à perpétuités pour prêtres délinquants.

Perso je ne reproche pas à un diocèse d'accompagner un prêtre criminel pour lui donner les moyens de vivre dignement tout en s'assurant qu'il ne nuise plus.

Mais on peut aussi regretter le fond de la nomination. Sans pour autant vouloir la « mort sociale » de l'abbé Spina. Ne serait-ce que pour des raisons d'image ou de symboles, que l'Église ne peut ignorer. Il était prévisible qu'une telle nomination susciterais une forme de backlash. Sans se laisser dicter sa conduite par le monde, l'Église doit aussi prendre en compte l'image qu'elle donne à voir, particulièrement en ses matières extrêmement sensible.

On peut aussi se poser la question sur le fond : le chancelier n'est pas un archiviste, il vise tous les actes officiels de l'évêque pour en assurer la régularité. Une personne avec un aussi lourd passé judiciaire est-elle la mieux placé pour cette mission ? L'intégrité demandée par le code de droit canonique ne porte pas seulement sur la moralité mais aussi sur la réputation, ce qui implique de prendre en compte une forme de « qu'en dira t-on ». Il faut que la réputation soit intacte pour que la conformité des actes qu'il vise soit au dessus de tout soupçon.

On peut aussi se demander si la meilleur manière d'accompagner la réinsertion de l'abbé Spina est de remettre son nom sur la place publique. Lui faisant à nouveau porter le poids social d'un crime que l'opinion publique avait oublié.

Mais surtout, quand on rencontre des personnes victimes ont découvre aussi la brutalité avec laquelle l'institution ecclésiale peut les traiter. Les négociations longues et âpres pour ne serait-ce que recevoir une aide pour les frais thérapeutiques ou juridiques. Les courriers qui reçoivent des réponses lapidaires ou pas de réponses du tout ; les paroles compatissantes qui sonnent de plus en creux à chaque fois qu'elle ne sont pas suivies d'effets. Des religieuses abusées mises à la porte de leur communauté du jour au lendemain, sans argent, sans soutien, sans aide aucune pour revenir dans un monde qu'elles n'ont plus fréquenté, parfois depuis plusieurs dizaines d'année.

Toutes les personnes victimes que j'ai rencontrées témoignent de combien elles doivent se battre avec l'institution pour se faire entendre, croire, accompagner. Bien sûr il y a des progrès, la CRR et le TCPN en sont deux bons exemples. Bien sûr il y a eu des vrais prises de conscience, des moyens mobilisés.

Mais il y a une impression de déséquilibre qui laisse un goût amer. Le sentiment que l'on fait beaucoup plus pour l'accompagnement et la réinsertion des coupables que pour celui des victimes. Depuis sa sortie de prison il a été accueilli dans un diocèse qui lui a confié des missions, l'a logé, rémunéré, permis de retrouver une vie sociale, l'a probablement soutenu s'il a eu besoin d'accompagnement psychologique, lui a donné les moyens de passer à autre chose.

Je ne connais pas beaucoup de victimes qui ont eu les mêmes chances.

Abbé Clément Barré sur X/Twitter

Réaction de Tribune Chrétienne

Le communiqué du 10 juillet n'est pas une confusion entre pardon et gouvernance, c'est une rhétorique maîtrisée qui vise à faire passer une décision profondément discutable sous couvert de miséricorde. Il ne s'agit pas ici d'un élan du cœur, mais d'un raisonnement orienté, qui cherche à faire admettre une mesure inacceptable sous l'apparence de la bonté évangélique.

[…]

Monseigneur de Kerimel choisit d'invoquer la miséricorde, la conversion, et la fidélité au Christ pour justifier ce choix. Il cite le pape François, évoque des passages de l'Évangile, et appelle les fidèles à « ne pas céder à l'émotion ». Mais ce recours constant à la miséricorde n'est pas un signe de charité, c'est une instrumentalisation du langage spirituel pour défendre une décision de gouvernance. Il ne s'agit pas ici d'un accompagnement personnel du Père Spina, mais d'un acte public qui engage toute la communauté diocésaine. La miséricorde ne justifie pas tout, et certainement pas la désignation à une fonction canonique d'un homme condamné pour viol.Le pardon, bien sûr, est un élément fondamental de la foi chrétienne. La possibilité de conversion, également. Mais le pardon ne signifie pas l'effacement des conséquences. Il est parfaitement légitime de croire à la sincérité du repentir du Père Spina. Ce qui ne l'est pas, c'est de lui confier une charge qui exige une exemplarité morale publique. Il y a mille autres formes d'engagement possibles dans l'Église pour un prêtre pénitent, mais pas celui d'être le gardien des actes juridiques et sacramentels du diocèse.

[…]

Non, Monseigneur, la compassion ne consiste pas à réhabiliter un homme condamné à une fonction canonique. Elle consiste d'abord à se tenir du côté de ceux qui ont souffert, sans condition ni détour. Ce n'est pas manquer de miséricorde que de refuser l'instrumentalisation de celle-ci. C'est au contraire l'honorer, en vérité.

Tribune Chrétienne

Informations complémentaires