La Ferme, le centre spirituel de l'Arche fondé par Jean Vanier, va fermer en juillet
Son histoire est trop sombre, et son activité trop peu rentable. Située non loin de Compiègne, dans la commune de Trosly-Breuil (Oise), le centre spirituel de l'Arche, fondé en 1971 par Jean Vanier et dont le père Thomas Philippe fut l'aumônier quasiment jusqu'à sa mort, va fermer en juillet. L'association qui lui est liée sera quant à elle définitivement dissoute le 31 décembre prochain. C'est ce qu'a annoncé le responsable de l'Arche en France dans une lettre datée du 9 juin et publiée sur le site de l'Arche, cette communauté qui fait vivre et travailler ensemble, depuis plus de cinquante ans, des personnes ayant un handicap mental et des accompagnateurs, salariés ou volontaires (plus de 10 000 membres dans une quarantaine de pays).
D'après la communauté de l'Arche, cette décision s'appuie sur deux arguments majeurs, l'un économique, l'autre tenant à l'histoire mouvementée de la structure. Dans le même communiqué, Pierre Jacquand invoque ainsi « une activité économique fortement déficitaire dans un lieu où la taille et le positionnement géographique ne permettent pas d'espérer un retour à l'équilibre ». Avant de justifier la clôture de la Ferme par « la part d'ombre de l'histoire de ce lieu qui en obscurcit le rayonnement comme centre spirituel de L'Arche ».
Commandé par la communauté, le rapport indépendant sur Jean Vanier, publié en 2020, indique que la Ferme « a constitué un espace privilégié de développement de situations d'emprise, d'actes abusifs – notamment sexuels – mais aussi d'initiation de disciples ». Le père Thomas Philippe en aurait notamment fait un « lieu propice à la perpétuation de ses pratiques », ajoute le document. C'est également à Trosly-Breuil, en 1963, que Jean Vanier aide le père Thomas Philippe à s'installer physiquement, avant de le rejoindre quelques mois plus tard.
— La Croix
Lettre à nos amis
Trosly-Breuil, le lundi 9 juin 2025Chers amis de La Ferme,
Je vous écris pour vous donner quelques informations concernant la fermeture de La Ferme de L'Arche. Le centre spirituel et la communauté s'arrêtent fin juillet 2025, et l'association sera dissoute fin décembre 2025. Le 21 mai, le Conseil National de L'Arche en France s'est réuni pour finaliser quelques décisions au sujet de cette fermeture, mais aussi de la postérité de ce beau lieu, et des chemins qui s'ouvrent pour déployer la fécondité spirituelle de La Ferme autrement. Vous trouverez ci-dessous la lettre dans laquelle Pierre Jacquand, responsable national de L'Arche en France, présente en détail les décisions prises et le profil de ces nouveaux chemins.
En ce qui nous concerne, membres de la communauté comme employés et bénévoles du centre spirituel de La Ferme, nous sommes toujours devant la perte d'une communauté qui nous a donné, et continue de nous donner, tellement de vie ! En même temps, nous prenons acte du réel et reconnaissons des nouveaux signes de vie qui émergent et nous aident à vivre dans l'espérance ce temps de passage (voir la lettre de Pierre).
En réfléchissant au sujet de l'histoire de La Ferme, deux mots-clefs sont ressortis fortement : « accueil » et « reconnaissance ».
Accueil : il nous tient à cœur et nous a donné tellement de joie ! Accueil des personnes fragiles, faibles, aux marges de notre société. Accueil des membres de nos communautés de L'Arche à travers le monde pour des retraites et des formations. Accueil, en personne, d'une grande diversité de groupes et d'individus du grand public. Enfin, et dans ces dernières années post-Covid, accueil en Visio, pour nos retraites et séminaires internationaux. À travers tout cela, accueil de la présence de Dieu dans la prière, dans l'adoration et l'eucharistie, et dans chaque personne accueillie depuis 54 ans.
Reconnaissance : c'est le deuxième mot-clef… Reconnaissance de la lumière, mais aussi de l'ombre de notre histoire, tissés ensemble. Reconnaissance dans les trois sens de ce mot : « reconnaissance » de la voix des personnes victimes ; « reconnaissance » dans le sens de gratitude pour toutes les personnes accueillies et touchées dans ce lieu par l'amour inconditionnel de Dieu, et pour toute la vie donnée et reçue ; « reconnaissance », enfin, dans le sens de reconnaître les chemins à venir, entrevoir une postérité, une fécondité spirituelle de La Ferme déployée autrement.
Le 21 juin, nous organisons une célébration de clôture de La Ferme, telle que nous la connaissons aujourd'hui. Il y aura un temps d'animation autour d'un montage vidéo qui tisse ensemble les éléments de notre histoire à travers le témoignage fort et inspirant de 8 personnes. Il y aura aussi une messe présidée par notre Évêque, Mgr Jacques Benoît-Gonnin, pour rendre grâce à Dieu pour toute la vie, et toute la grâce, donnée et reçue à La Ferme pendant 54 ans, malgré les ombres. Je vous invite à vous joindre à nous par la pensée et la prière ce jour-là. Merci infiniment pour votre soutien, votre amitié et votre fidélité !
Avec toute notre amitié fraternelle,
Tim Kearney
et tout le monde à La Ferme.
Informations complémentaires
Jean Vanier
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Vanier
- https://www.la-croix.com/Religion/affaire-jean-vanier-freres-philippe-secte-eglise-abus-sexuels-arche-enquete-2023-01-30-1201252932
- https://www.la-croix.com/Religion/Enquete-freres-Philippe-annees-dabus-toute-impunite-2021-02-22-1201141952
- https://www.lavie.fr/actualite/solidarite/lrsquoarche-50-ans-aupregraves-des-personnes-handicapeacutees-22248.php
- https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2019-05/mort-jean-vanier-fondateur-arche.html
- https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Douloureuses-revelations-Jean-Vanier-2020-02-22-1201079841
Dans la marine
En 1942, Jean Vanier rejoint la Marine royale britannique en tant que cadet au Collège naval de Dartmouth au Royaume-Uni. Il a alors 13 ans. Le jeune garçon s'embarque pour huit ans dans la marine anglaise, puis canadienne à partir de décembre 1947. En 1950, il choisit de démissionner de la marine canadienne 🡵.
A l'eau Vive
En 1950, Jean Vanier rejoint l'Eau vive, un centre de formation créé quatre années auparavant par le père Thomas Philippe 🡵. Il souhaite y discerner sa vocation après avoir quitté la marine 🡵. A partir de ce moment là, Thomas Philippe sera pour lui un « père spirituel » et un mentor 🡵.
A l'eau Vive, le père Thomas Philippe importe la gnose érotico-mystique d'Hélène Claeys, que son oncle, le père Dehau lui a fait connaître. Des pratiques sexuelles déviantes sont pratiquées par un petit groupe. Des plaintes émanant de deux femmes que le père père Thomas Philippe accompagne spirituellement, une laïque et une novice, parviennent à ses supérieurs en 1951 🡵. C'est au moment où celui-ci comprend qu'il va être écarté de l'Eau vive (juin 1952) que Thomas Philippe demande à une femme de la communauté d’« initier » Jean Vanier 🡵. Une expérience qu'il qualifiera de « fondatrice pour lui », « à l'origine de sa vocation, de son choix de vie » 🡵. De plus, Thomas Philippe le choisit comme successeur malgré son jeune âge (24 ans) 🡵.
En 1954, il nourrit le projet d'ordination, tout en poursuivant ses contacts clandestins avec le père Thomas, espérant être ordonné par l'archevêque de Québec sans passer par le séminaire 🡵.
En 1956, le père Thomas Philippe, le père Thomas Dehau, le père Marie-Dominique Philippe (en 1957, pour être exact), et Mère Cécile (la sœur de Thomas et Marie-Dominique Philippe) sont sanctionnés sub secreto, ce qui rend la sentence à peu près inefficace. Jean Vanier est lui-aussi inclus dans la condamnation de l'Eau vive en 1956 et le Saint-Office le qualifie de « disciple fanatique » 🡵. Le Saint-Office décide également la fermeture de l'Eau vive et la dispersion du groupe dont Jean Vanier fait partie, avec l'interdiction définitive de le reformer en un autre lieu 🡵.
Alors que l'ordination de Jean Vanier est prévue, la condamnation de 1956 annule tout. Il est contraint par le Saint Office de suivre « une solide formation dans un séminaire » : s'il veut accéder à la prêtrise, il doit donner à Rome « des preuves sérieuses de désintoxication »… En 1959, les parents Vanier s'adressent directement à Jean XXIII. Le pape demande à Jean Vanier de s'éloigner du père Thomas. « Je suis parti le cœur blessé mais intérieurement paisible. Je savais que j'étais trop lié par Jésus au père Thomas pour le quitter », reconnaîtra-t-il en 2009 🡵.
Après l'eau Vive
Commencent alors plusieurs années d'errance pour le jeune homme, qui rédige néanmoins une thèse de philosophie (1962), sur le conseil de Thomas Philippe, en vue de rassurer ses parents 🡵.
L'arche
Après quelques années de démarches, Thomas Philippe obtient, en 1963, de pouvoir revenir en France et s'installe comme aumônier du Val-Fleuri à Trosly-Breuil 🡵. Le Val Fleuri est une institution qui accueille une trentaine d'hommes avec un handicap mental 🡵.
A la fin de l'année 1963, Jean Vanier lui rend brièvement visite. Il repart pour le Canada, où il doit assurer un cycle d'enseignement au collège Saint Michael de l'Université de Toronto. Puis, son cycle terminé, Jean Vanier retourne à Trosly et commence à s'intéresser à la question de l'accueil des personnes avec un handicap mental.
En 1964, naît L'Arche. Or, élément stupéfiant que met en lumière la commission de l'Arche, l'aventure aux côtés des personnes handicapées naît en réalité, au départ, du projet du petit noyau de se retrouver autour du père Thomas, « paravent » idéal à leurs retrouvailles… « Il y a bien une logique sectaire à la fondation, et en même temps, le projet de vivre avec des personnes ayant un handicap rejoint une intuition profonde et sincère chez eux. Ils vont être dépassés par ce qu'ils ont eux-mêmes fondé », souligne Florian Michel. C'est tout autant L'Arche qui fait Jean Vanier et son succès médiatique à venir que Jean Vanier qui fonde L'Arche 🡵.
Si, de 1964 à 1972, Thomas Philippe mène une existence discrète, probablement pour ne pas laisser croire à Rome que l'Arche serait l'Eau vive ressuscitée, à partir de cette année-là, il s'installe à « la Ferme », centre spirituel annexé à l'Arche, qui sera le lieu principal des déviances. Tout en restant peu visible, il délivre là un enseignement quotidien et pratique l'accompagnement spirituel 🡵.
En 1971, Jean Vanier cofonde le mouvement Foi et Lumière, une organisation internationale qui rassemble des personnes en situation de handicap intellectuel, leur famille et leurs amis autour de moments partagés 🡵.
La question du sacerdoce revient une dernière fois en 1975, avec une ambition affichée de Thomas Philippe : que des prêtres soient ordonnés pour L'Arche. « Non seulement le fondateur de L'Arche ne s'est jamais soumis aux conditions posées pour son ordination, mais il a conservé auprès de lui comme aumônier Thomas Philippe. (…) Son obstination à être ordonné pour L'Arche est inacceptable », répond Rome 🡵.
Les premiers signalements de femmes, parvenus à L'Arche peu avant sa mort, en 2016, laissaient entendre qu'il avait participé à des croyances et des pratiques mystico-érotiques dès les années 1950, et qu'il avait continué, dans le plus grand secret et avec la bienveillance de Thomas Philippe, bien après la condamnation de Rome en 1956… 🡵
Jean Vanier meurt en 2019. A ce moment, la Fédération internationale est présente dans 38 pays, avec environ 10 000 membres ayant un handicap mental ou non 🡵.
Le rapport rendu public en 2020
Les responsables de l'Arche ont rendu publiques, samedi 22 février 2020, les conclusions d'une enquête menée depuis juin 2019. Ils y affirment que leur fondateur, Jean Vanier, décédé le 7 mai 2019, a entretenu pendant des années des relations sexuelles sous emprise avec des femmes - majeures et non handicapées -, usant de son ascendant au sein de l'accompagnement spirituel et d'un discours mystique dévoyé pour obtenir leur consentement. L'enquête montre aussi qu'il était au courant, contrairement à ce qu'il a affirmé jusqu'à sa mort, des abus sexuels commis par son père spirituel, le père Thomas Philippe, dont il a partagé certaines théories et pratiques 🡵.