Abus et violences sexuelles : interview du père Stéphane Joulain sur KTO radio

KTO Radio / L'invité de la Matinale
Les défis du pape Léon XIV : abus et violences sexuelles
17 mai 2025
A écouter sur KTO radio


Depuis l'élection de Léon XIV, KTO propose d'aborder les grands défis de son pontificat. Défi numéro quatre : la crise des abus et des violences sexuelles dans l'Église. Est ce que dans le monde entier, l'Église est vraiment devenue une maison sûre ? La culture ecclésiale a-t-elle été transformée ? On en parle ce matin avec le père Stéphane Joulain, qui travaille depuis des années pour et avec des victimes d'agressions sexuelles et de viol, et accompagne également des agresseurs sur le plan psychologique. Bonjour père.

Bonjour Maxence.

Merci d'être avec nous. Je vous présente aux auditeurs. Vous êtes père blanc, psychothérapeute et missionnaire au Kenya depuis trois ans. Alors même question que pour nos invités depuis le début de la semaine sur les grands défis du pontificat. Quelle a été tout d'abord en quelques mots, votre réaction à l'élection de Léon XIV ?

J'ai été surpris parce que c'est une personne que personnellement je ne connaissais pas plus que ça, plus le fait qu'il était préfet pour les évêques. Mais je n'avais pas de connaissance, donc agréablement surpris comme beaucoup et on va voir ce que son pontificat va nous apporter dans l'Église.

Pour toute l'Église en France, le rapport sauvé en 2021 a été un choc et a mis en lumière le caractère systémique des abus et des violences sexuelles dans l'Église. Est-ce que cette prise de conscience a eu lieu dans tous les pays du monde ?

Non, évidemment non, puisque le dévoilement de cette crise s'est fait par étapes successives, commençant aux États-Unis, au Canada, en Irlande et puis tardivement en France. Et dans de nombreux pays de l'hémisphère sud, on n'en n'est pas rendu à cette prise de conscience là.

Et toutes les Églises locales sont-elles concernées de façon systémique selon vous ?

Oui, parce que c'est une crise qui a été mise en lumière dans l'hémisphère nord et qui reflète une réalité qui est présente dans tous les pays avec différents degrés, différentes particularités culturelles. Mais c'est bien chaque lieu où l'Église est présente qui doit se saisir de cette question-là.

Dès 2018, le pape François a écrit une lettre pour appeler le peuple de Dieu à combattre le fléau de la pédocriminalité au sein de l'Église. Un sommet des conférences épiscopales du monde entier sur cette question a eu lieu en 2019. Père Joulain. Qu'est ce qu'il en est ressorti et qu'est ce qui a été mis en place depuis ?

Je crois que ça a été d'abord de dire que l'Église universelle était consciente de la problématique et voulait montrer sa détermination à lutter contre ce phénomène-là au sein des institutions de l'Église, afin de faire que les environnements ecclésiaux soient des environnements sûrs pour ceux qui viennent. Donc il y avait cette espèce d'affirmation forte et ça a été dit le lors du du sommet à Rome, que l'Église ne pouvait plus ignorer ce phénomène-là et qu'elle était déterminée à lutter contre ces formes de violence en son sein. je pense que ça a été un moment très fort et puis ça a été aussi le déclencheur pour l'Église pour chercher à s'équiper, s'outiller d'outils législatifs d'abord et puis d'outils de prévention afin de lutter contre ce phénomène.

Et quels outils, par exemple, ont été mis en place ?

Au niveau canonique, il y a eu des réformes qui ont eu lieu. Il y a des outils, on peut penser à un outil comme Vos estis Lux mundi, vous êtes la lumière du monde, qui est un document qui a été important en termes de demande de transparence et de reddition de comptes par rapport à ceux qui exercent un pouvoir, une autorité dans l'Église, mais aussi la prise en compte des différentes formes de violence qu'elle soient sexuelles, autoritaires, spirituelles et donc une attention aux victimes. Donc ça, ça a été déjà un outil. Il y a eu des guides du dicastère — à l'époque la congrégation pour la doctrine de la foi — sur la manière de gérer ces affaires. Et puis, il y a eu une réforme qui a été vraiment commencée au niveau du droit canonique au niveau du livre six qui concerne le droit pénal dans l'Église, avec une meilleure prise en compte des crimes, particulièrement d'agressions sexuelles sur les mineurs et les personnes en situation de vulnérabilité. Et puis, il y a des chantiers qui sont en cours sur la définition canonique de l'état de vulnérabilité et autres. Donc, au niveau des outils législatifs, il y a eu une mise en place de nouveaux outils à disposition de ceux qui doivent gérer ces affaires-là. Là où la difficulté est, c'est qu'est-ce qu'il en est de son implémentation ?

Vous avez parlé du motu proprio Vos estis lux mundi. Justement, sur ce point précis sur cette application des outils, constatez-vous une mise en application des supérieurs de congrégation ou encore des évêques à dénoncer les faits dont ils ont connaissance ?

Ça résiste encore dans beaucoup d'endroits. En Amérique du Nord ou dans l'hémisphère nord, pas tellement, même s'il y a des mécanismes qui se mettent en place et autre pour que ce soit plus transparent. Mais dans les pays du sud global, on en est bien loin et ça résiste encore quant à la mise en application de ces textes qui demandent aux clercs et aux évêques d'être en capacité de rendre compte de leur gestion de ces affaires là. Et c'est là que pour l'instant le bât blesse et ça va être selon moi le gros défi sur ce sujet-là pour le pontificat de Léon XIV.

Qu'est-ce qui explique selon vous que cette mise en application soit rendue lente et très complexe dans les pays du sud global ?

Il y a des éléments qui sont liés à la culture et à la place de l'Église dans ces sociétés. Dans beaucoup de pays en Afrique, par exemple, si je prends ce continent que je connais un peu mieux comme missionnaire d'Afrique, les évêques et les prêtres sont des figures d'autorité importantes dans la société et qui ont dans de nombreux pays, si vous prenez par exemple le Congo, des rôles politiques aussi importants. Donc, la crise des agressions sexuelles peut fragiliser leur positionnement et notre autorité politique dans ces sociétés. Donc il y a une tendance à vouloir régler ces questions-là hors système de justice, de manière plus discrète, dissimulée. Et malheureusement, ce qu'on constate, c'est que c'est toujours aux dépens des victimes. Et en plus, les victimes ont peur de venir signaler ces faits parce que l'Église est perçue comme un centre de pouvoir et d'autorité et les personnes ont peur de se faire broyer ou de critiquer même : il y a des problèmes de loyauté pour les gens. Est-ce que je vais critiquer l'Église en portant plainte par rapport à mon enfant qui a été agressé ou pas ? Et puis l'autre élément qui n'est pas seulement ecclésial, c'est que la violence sexuelle dans beaucoup de sociétés africaines n'est pas encore traitée de manière suffisamment satisfaisante que ce soit dans les familles, pour tout ce qui est violences, que ce soit intrafamiliales ou extrafamiliales. Ce n'est pas encore pris suffisamment en compte. Quand vous avez des pays qui sont en guerre, qui souffrent de famine et autres, il faut bien se rendre compte que les violences sexuelles, ce n'est pas nécessairement la priorité de ces sociétés-là. Il y a ces dimensions-là de la société et puis la dimension de la place de l'Église dans la société qui font que ça résiste encore.

Père Stéphane Joulain, comment faudrait-il faire ? Notamment l'Église ne peut pas forcément changer une société dans son ensemble. Comment faudrait-il faire pour que les supérieurs de congrégation ou les évêques puissent être davantage incités à dénoncer, à prendre en charge ce dont ils ont connaissance ?

Je pense que l'Église a un poids important dans les sociétés. Donc en termes de pastorale familiale, pour adresser ces questions-là, elle peut faire déjà beaucoup en soutenant les familles qui peuvent se trouver dans des situations difficiles et autres parce que beaucoup de violences sexuelles ont lieu dans les familles. Donc comment on peut soutenir ces familles-là pour les aider à sortir de ça ? L'Eglise a déjà un poids important et peut dire quelque chose. Et il y a des choses qui se font et qui se sont faites, par exemple au Kenya ou ailleurs dans les pays d'Afrique de l'Est. Il y a des programmes qui tendent à aller dans cette direction-là. De l'autre, il faut former les religieux qui exercent la gouvernance à bien comprendre que ce dont on parle, ce n'est pas quelque chose d'anodin. On parle de violences, on parle de crimes. Donc oui, il va falloir passer par la case justice parce qu'on est face à quelque chose qui n'est pas simplement un comportement comme une atteinte contre le sixième commandement, comme c'est encore trop mis dans le droit canon. Ce n'est pas une question d'adultère, ce n'est pas une question avec des adultes consentants. On est face à de la violence sur des mineurs ou des personnes vulnérables. Donc cette dimension criminelle de la violence sexuelle sur les mineurs et les personnes vulnérables, c'est ça qu'il faut arriver à faire comprendre à ceux qui exercent la gouvernance et le leadership. Et leur faire comprendre que c'est en étant responsables et prenant des mesures efficaces que la crédibilité de l'Église va être là et pas en dissimulant parce que ça, ça a été une des grandes leçons des États-Unis. Ce qui a été vraiment dramatique pour pour l'Église, c'est la confiance perdue aussi envers l'autorité ecclésiale parce que des cas ont été dissimulés, la souffrance des victimes n'a pas été écoutée. Ça fait partie des leçons qu'on a apprises, et ce qui est malheureux, c'est que c'est une leçon qu'on doit encore apprendre dans l'hémisphère sud.

Vous travaillez depuis de nombreuses années pour et avec des des victimes d'agression sexuelle et de viol, de quoi ont-elles besoin principalement au sein de l'Église ?

Elles ont besoin d'être écoutées, elles ont besoin d'être crues, elles ont besoin de temps pour pouvoir se dire, et elles ont besoin de voir qu'on ne va pas leur imposer quelque chose de supplémentaire, mais qu'on va marcher avec elles pour essayer de trouver ce qui peut les amener à un apaisement par rapport à la souffrance qui est la leur. Je pense que ça, c'est fondamental. Et donc, il y a besoin d'une justice qui passe par une reconnaissance de la responsabilité de l'institution, ce qui ne veut pas dire que l'institution est nécessairement coupable, mais qu'elle est responsable des personnes qu'elle met en contact avec les enfants et les jeunes. L'Eglise a besoin de voir que les personnes qui viennent comme victimes ne sont pas des ennemis. Et c'est trop souvent ce que perçoivent les victimes, qu'elles vont être celles par qui le scandale arrive, qu'elles attaquent l'Église ; c'est que l'on renvoie trop souvent. Donc les victimes ont besoin de voir que l'Église est vraiment une mère aimante comme le disait un des documents du pape François.

Une dernière question Père Stéphane Joulain pour conclure cette interview qu'attendez-vous de Léon XIV dans la lutte face aux abus, aux violences sexuelles dans l'Église ?

J'attends qu'il s'assure que ces documents qui ont été faits soient implémentés. Donc vraiment, qu'il y ait un changement de culture. Qu'il travaille avec ses frères évêques, en particulier en Afrique ou ailleurs, pour qu'un changement de culture se mette en place et que les Églises diocésaines se dotent de bureaux où les victimes puissent chercher le soutien et l'écoute dont elles ont besoin. Je pense que Léon XIV doit aider l'Église à ne plus être seulement réactive mais proactive à ce niveau-là. Je pense que ça va être l'un des grands défis de son pontificat à ce niveau-là.

Merci Père Stéphane Joulain d'avoir été avec nous, d'avoir accepté notre invitation. Je mentionne deux ouvrages, un que vous avez dirigé, L'Eglise déchirée comprendre et traverser la crise des agressions sexuelles sur mineurs, aux éditions Bayard, et un autre, Combattre les abus sexuels de l'enfant, aux éditions Desclée de Brouwer paru en 2018. Bonne continuation à vous.

Merci Maxence.