Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur : plusieurs témoignages publiés
- https://lpclemence44.wordpress.com/2023/11/26/reeduquees-au-bon-pasteur-facon-magdalene-sisters/
- https://www.republicain-lorrain.fr/education/2025/05/03/institution-du-bon-pasteur-j-ai-vu-les-grands-murs-j-ai-voulu-me-sauver-temoigne-une-ancienne-pensionnaire
- https://www.lavoixdunord.fr/1583633/article/2025-05-08/travail-force-violences-placee-chez-les-soeurs-du-bon-pasteur-en-1960-elle
- https://www.20minutes.fr/societe/4065392-20231205-emerge-cauchemar-combat-ex-pensionnaires-bon-pasteur-humiliees-maltraitees
- https://www.nouvelobs.com/societe/20250509.OBS103710/les-bonnes-s-urs-m-envoyaient-souvent-au-mitard-le-combat-d-eveline-le-bris-pour-faire-reconnaitre-les-violences-subies-par-les-filles-du-bon-pasteur.html
Jusque dans les années 1970 la congrégation de « Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur » a pris en charge la mission, confiée par l'Etat, de rééduquer les jeunes filles qui selon la justice, étaient susceptibles de sombrer dans la délinquance, la prostitution ou autres délits supposés. Dès le début du XXème siècle, les maltraitances, les sévices dans différents couvents sont dénoncés au point de fermer l'établissement du « Bon Pasteur » de Nancy. Mais il faut attendre les témoignages des « pensionnaires » des années 60 et 70 pour que soient révélés les dossiers compromettants qui font état, sous couvert d'éducation religieuse, des abus physiques, psychologiques, disciplinaires et de travail illégal 🡵.
Témoignage de Josyane (Bon pasteur à Metz)
Josyane se souvient de la faim. « On ne mangeait que des patates et des blettes. » Mais, raconte-t-elle, « on n'avait pas le droit de se plaindre ». Lorsqu'elles désobéissaient, les jeunes filles étaient enfermées dans « une pièce noire avec du pain et de l'eau ». Difficile de tisser des liens avec les autres filles, témoigne-t-elle. « On n'avait pas le droit de dire d'où on venait. Une sœur nous surveillait. Mais on se serrait les coudes. » Pour autant, la détresse des unes laisse des traces indélébiles, qu'elle liste : « Une fille a tenté de sauter le mur, ses jambes se sont brisées. » Une seconde s'est jetée par la fenêtre. Elle est décédée. « J'ai compris pourquoi les fenêtres étaient à demi-murées ou équipées de barreaux. » Une troisième se serait immolée par le feu dans l'escalier, un samedi soir.
Témoignage de Reine (Bon pasteur à Loos)
Quand elle pénètre dans le bâtiment, toutes les filles sont en train de travailler dans un silence… religieux. « On prenait des échantillons de tissus qu'on collait sur des catalogues ou on piquait des échantillons de bas avec une aiguille. Il fallait en faire 5 000 sinon on ne mangeait pas. On fabriquait des capsules de bière aussi. »
Très vite, Reine est séparée de ses deux sœurs qui partent dans d'autres groupes d'âge. Pour les plus âgées comme Reine, le travail est la règle : « On allait à l'école mais le jeudi et le samedi, on travaillait. Et quand il y avait de grosses commandes, on travaillait les jours fériés, le dimanche, même à Noël. »
Et c'est là qu'intervient mère Bernadette. « Une fille qui s'appelait Geneviève n'avait pas bien fait son travail. Mère Bernadette l'a attrapée par les cheveux et l'a traînée sur plusieurs mètres. J'ai dit qu'elle n'était pas une bonne sœur mais un chameau. » Reine va le regretter amèrement. Elle est jetée depuis le perron dans le gravier de la cour intérieur (« J'ai encore la cicatrice »). La jeune fille nettoie comme elle peut sa plaie au lavabo. Mère Bernadette l'humilie en public : « Elle a dit que j'étais sale parce que la blessure était purulente. »
Autre punition pour Reine : « J'ai dû laver les fenêtres du soupirail. Il pleuvait, j'étais en chemise de nuit. Je me suis couchée toute mouillée. » Et encore : « J'étais pétrifiée quand elle me regardait. Rien qu'à y penser, j'en ai des frissons. Mère Bernadette nous a détruites. »
La liste des sévices subis par Reine et ses compagnes d'infortune est longue. Reine est traitée de « Fille de boche ! » du fait de ses origines alsaciennes. « Une fois, on a retrouvé une souris dans notre plat. La mère Zaza, comme on l'appelait, une peau de vache, a enlevé la souris et nous a obligées à finir notre assiette. »
Témoignage de Marie-Christine Viennat (Bon pasteur à Angers)
C'est lorsqu'elle a visionné The Magdalene sisters, un film sur le calvaire enduré par de jeunes femmes dans un couvent irlandais, que tout lui est revenu. « Ça m'a fait un choc, je me suis identifiée aux filles. Je suis allée sur Internet et je suis tombée sur un forum qui venait de se créer. C'est comme ceci que j'ai pu regrouper 500 témoignages. Ça a pris beaucoup de temps car les filles étaient comme en train d'émerger d'un cauchemar. » En serrant les dents, Marie-Christine raconte les « humiliations presque quotidiennes subies par des centaines de filles », « les gamines rouées de coups », les conditions de vie déplorables…
« Quand on était punies, on était envoyées dans ce que les sœurs appelaient une chambre d'isolement. Mais c'était un cachot ! Un mitard avec un matelas par terre, un seau hygiénique et c'est tout. Des barreaux aux fenêtres et une trappe pour les repas. A part la Bible, il n'y avait aucune lecture. J'ai vu des filles en sortir, plusieurs mois après. Elles étaient devenues folles. »
Témoignage d'Eveline Le Bris
Le 20 mars, lors des premières auditions menées par la commission d'enquête parlementaire sur les modalités du contrôle par l'Etat et de la prévention des violences dans les établissements scolaires, mise en place dans le sillage de l'affaire Bétharram - et qui doit entendre le Premier ministre François Bayrou le 14 mai -, Eveline Le Bris, bouleversée, a sidéré les députés en évoquant les « battues » imposées aux pensionnaires quand l'une d'entre elles fuguait. « Les sœurs nous obligeaient à rechercher la fille avec le berger allemand », répète celle qui, lors de son audition, a cité le cas d'une adolescente, au Bon Pasteur de Nancy, qui, après être tombée par la fenêtre lors de sa fuite, aurait fini « mangée » par des chiens. Un mot qui lui a échappé. Qu'elle a immédiatement regretté. Trop tard. Son témoignage, qui a aussitôt eu un retentissement énorme, était repris partout. « J'étais émue, et je n'avais pas prévu d'en parler, explique-t-elle un mois après. Mais cette fille, et les chiens, ont bel et bien existé. » […] Eveline Le Bris, elle, a rapidement écrit au député insoumis : « Ça m'a tracassée, j'ai parlé sous serment, je lui ai dit tenir ce journal à sa disposition, même s'il me manque des pages, et me suis excusée pour mon écart de langage sur le terme « mangée ». Les mots ont dépassé ma pensée. Ce ne sont pas les chiens qui l'ont tuée. » Cette pensionnaire se trouvait à Metz, et non à Nancy. Elle a aussi rectifié.
« Les bonnes sœurs m'envoyaient souvent au mitard, se souvient-elle. Je n'avais pas ma langue dans ma poche. » Elle n'a pas oublié une altercation entre une sœur et une camarade qui lui avait arraché son voile : « Elle avait fait ça car la sœur se moquait de son oeil de verre. J'ai fait une remarque sur les cheveux de la sœur : j'ai pris une semaine de mitard. » Soit autant de jours enfermée dans une petite pièce avec un matelas au sol et un seau. Restent aussi gravées dans sa mémoire les images des camarades « battues à coups de nerfs de boeuf » par les « kapos » comme elles les appelaient, les filles plus âgées aux ordres des religieuses. Prière. Travail. Prière Les journées étaient toujours les mêmes. Lever à 6h45. Prière au pied du lit. Toilette à l'eau froide au lavabo. Descente à « la classe » pour préparer la journée. Prière, encore. « On avait jusqu'à quinze temps de prière par jour », dit celle qui n'est plus croyante depuis longtemps. Repas dans le silence. Puis travail. « Je faisais de la broderie. Nos ouvrages étaient vendus à des familles du coin, mais nous ne touchions rien, alors qu'à l'extérieur on pouvait travailler et être payées. » Douche chronométrée. « Une par semaine en été, une par mois en hiver. Et interdiction de se laver les cheveux quand ce n'est pas le jour. » Un jour, une camarade allait si mal qu'elle a avalé un flacon entier de Largactil, un puissant neuroleptique. « Elle a passé près de dix jours dans son lit, K.-O. » Sans qu'elle n'ait jamais su pourquoi ni vu aucun psychiatre, Eveline Le Bris, elle, devait parfois prendre de l'Atarax, un anxiolytique, trois fois par jour. « C'était une camisole chimique. J'étais comme un zombie. »