Décès de sœur Elia, victime du père Marie-Dominique Philippe

Réaction du collectif Réparez

Les sœurs de St-Jean annoncent qu’une sainte est morte, elles oublient de dire que c’est une martyre du fondateur Marie-Dominique Philippe et elle a connu des années d’enfer et de rejet communautaire avant d’être accueillie avec bienveillance dans son dernier prieuré à Vichy.

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Ce vendredi 28 février a eu lieu l’enterrement de sœur Elia, qui a été emportée le jour de ses 51 ans par une maladie foudroyante. Elle était une femme d’une grande finesse, pleine d’humour, profonde et d’une grande capacité de compassion.

Elle avait un grand talent artistique dans beaucoup de domaines. C’était une femme de foi et une combattante. Elle va nous manquer… mais elle avait dit qu’elle allait continuer de soutenir le combat contre les abus « de là-haut ».

Elle avait souhaité que lors de la Messe de son jubilé en février 2022 soit exprimé qu’elle est une des victimes de Marie-Dominique Philippe. Sœur Marie-Simon, prieure de la Visitation qui l’a accueillie pendant plusieurs années a ajouté : « Bien des victimes ont témoigné que si l’abus lui-même est un traumatisme, le fait de ne pas être reconnu comme victime et de connaître différentes formes de mises à l’écart en est un autre, souvent plus douloureux que le premier. »

La veille de ses obsèques, lors d’une veillée de prière pour elle à la chapelle des apparitions de Paray-le-Monial le p. Xavier Jahan sj (@jahan__x), accompagnateur de sœur Elia à Paray, a prononcé une méditation poignante et d’une incroyable justesse.

Source : Twitter/X

Méditation du père Xavier Jahan, sj

Funérarium de Vichy
Père Xavier Jahan sj – 26-27 février 2025

Devant le corps mort de sœur Elia (20 février 1974-20 février 2025)

Tristesse infinie et abyssale. Non seulement parce que la mort sépare, coupe la relation et que cette blessure nous fait sentir combien nous sommes faits pour la relation. Mais là, plus encore que dans des morts « naturelles » ou même simplement « accidentelles », c’est l’effroyable tragédie des « abus » criminels qui éclate dans toute son horreur.

Le résultat de ces abus est là, sans masque, dans sa réalité la plus directe : c’est la mort.

Sœur Elia a été tuée par les nombreux abus qu’elle a dû subir tout au long de sa vie. « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. » C’est cette réalité-là, qui est là, devant nos yeux. Sans masque, sans artifice, sans maquillage.

La maladie, le cancer de sœur Elia qui l’a emportée en quelques semaines, n’était pas une maladie simplement « naturelle », suite d’un dérèglement quelconque, elle est la conséquence directe et finale de tous ces abus et dénis qu’elle a dû subir pendant plus de vingt ans de vie religieuse… La preuve en est qu’aucun traitement même simplement contre la douleur n’aura été efficace…

Le cancer qui s’est déclaré ultimement n’est que la partie visible finale de ce mal qui a rongé sa vie et que l’on a laissé perdurer pendant de si nombreuses années.

Les abus sont mortifères, ils détruisent, ils conduisent à la mort. Point barre.

Le corps mort de sœur Elia fait éclater cela en plein jour, sous la croix de son Seigneur qu’elle a voulu suivre et qu’elle aura suivi avec courage jusqu’à l’extrême de ce calvaire.

Le corps mort de sœur Elia devient symbole, icône actualisée du corps du Bien-Aimé, de Jésus, le Juste, que nos péchés, tous nos péchés, à commencer par les plus anodins en apparence, l’oubli et l’ingratitude, conduisent à la mort. Le péché est mortifère, le péché est meurtrier, mais nous en faisons une réalité si banalisée que nous nous sommes habitués, et nous ne nous laissons plus toucher aux entrailles. Notre cœur est devenu dur comme pierre.

Qu’avons-nous fait pour arrêter cet engrenage mortifère ? Rien ou trop tard. Tous nous sommes concernés. Tous nous portons une part de responsabilité. Tous. Tout commence par des négligences, des inattentions, des manques de vigilance…

Tant que nous sommes en présence d’une personne victime de son vivant, nous pouvons nous illusionner sur les séquelles mortelles qu’elle porte en elle car nous la voyons encore vivante, malgré tout… Mais la mort est implantée en elle et inéluctablement la conduit à la mort. Et cela, nous avons tant de mal à l’entendre, à le comprendre, à le croire.

Maintenant devant le corps mort de sœur Elia, la vérité crue apparaît aux yeux de tous. Tout autre explication n’est que fuite dans le mensonge : édulcoration d’une vérité simple. Mais pour cela il faut encore oser lever les yeux comme vers Celui que nous avons transpercé.

À travers le corps mort de sœur Elia, c’est toute la souffrance de toutes les victimes ignorées, méconnues, oubliées – à commencer par celles qui, piégées dans des souffrances indicibles, n’ont pu trouver d’autre secours que de se supprimer – qui (re)jaillissent et se mêlent aux larmes du Père qui nous interroge : « Mon peuple que t’ai-je fait pour que tu traites ainsi mes enfants bien-aimés ? »

St Ignace demande de ressentir honte en confusion devant le Christ en croix.

C’est cela que nous pouvons, que nous avons à demander à Dieu devant le corps mort de sœur Elia que nous lui confions, au pied de sa croix. Et rester en silence devant le mystère d’une vie détruite.


Il m’a été donné d’accompagner sœur Elia quand elle est arrivée ici à Paray-le-Monial sous le signe de l’urgence il y a 4 ans et 9 mois… Je ne connaissais rien de son histoire, des tragédies qu’elle avait pu vivre… J’ai découvert une sœur en miettes. Un chemin de vie était-il encore possible ? À hauteur de vue humaine, non…

Pourtant je peux témoigner que j’ai assisté à l’émergence d’une vie se frayant un chemin à travers toutes ses blessures. Deux ans après son arrivée, en février 2022, sœur Elia a voulu célébrer ses 25 ans de vie religieuse… C’est à cette occasion que sœur Marie Simon présentait publiquement la raison de sa présence : « Sr Elia est une des victimes du père Marie-Dominique Philippe. Bien des victimes ont témoigné que si l’abus lui-même est un traumatisme, le fait de ne pas être reconnu comme victime et de connaître différentes formes de mises à l’écart en est un autre, souvent plus douloureux que le premier. Pour Sr Elia, il est important que cela soit dit aujourd’hui. »

À peine quelques mois après, sœur Elia se remettait à la peinture. Car sœur Elia était une artiste : la musique avec le chant et le violon, les arts plastiques avec le dessin, la peinture… En septembre 2022, s’étant lancée dans la composition d’un chemin de croix, elle me présenta un dessin significatif : des mains se réchauffant au-dessus d’un feu. Des mains en offrande, et dans le feu des âmes en grande souffrance et désolation entourées de loups terrifiants et voraces… Elle m’écrivait alors : « Il vaut mieux entrer en Passion avec Jésus pour vivre avec lui son chemin de dépouillement dans la fidélité. Mon choix est donc fait : rester fidèle jusqu’à ma mort… ce que j’ai promis le jour de mes vœux » (29 septembre 2022)

La peinture allait permettre à sœur Elia d’exprimer ce qu’elle portait au plus profond d’elle. Elle allait trouver un langage pour nous dire l’indicible : l’enfer que vivent, l’enfer où sont enfermées les personnes victimes d’abus criminels. Elle me le confiait explicitement : « Le but n’est pas la beauté, ni de plaire aux autres mais d’exprimer ce que je vis » (26 avril 2023)

Au milieu de ses tableaux extrêmement évocateurs des détresses, des désolations abyssales traversées, ont néanmoins apparus d’autres tableaux évoquant une brèche dans ces enfers sans issue. Cette brèche parlait d’une vie plus forte, plus lumineuse que toutes ces ténèbres… Le triptyque qu’elle appellera par la suite triptyque du sacré-cœur en est l’illustration aboutie (10 avril 2023) (cœur humain transpercé, le transpercement, l’amour et la vie qui jaillissent de la blessure) (14 sept 2023, jour de la fête de la croix glorieuse…).

À travers toutes ces dernières années, depuis son séjour et l’accueil bienveillant des sœurs de la Visitation de Paray-le-Monial, sœur Elia a vécu un chemin non de guérison, mais de libération des enfers où l’avait conduit les multiples abus subis.

Je peux témoigner et témoigne aujourd’hui que le Cœur de Jésus s’est manifesté à elle, l’a accompagnée et l’a conduite sur un chemin de salut : le chemin où le Ressuscité se révèle vainqueur en opérant la brèche de la Vie. Et jusqu’au bout sœur Elia aura fait de sa vie une réelle et totale offrande, à la suite de l’offrande totale de Jésus pour nous. C’est dans le cœur du Ressuscité que sœur Elia repose désormais, comme le dit l’Apocalypse dans ce lieu où « Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. Ils n’auront plus besoin du soleil ni de la lune pour s’éclairer, car la gloire de Dieu les illuminera : leur luminaire, c’est l’Agneau. » (Ар 21-22)

Les peintures que sœur Elia laisse sont une véritable œuvre. Une œuvre d’une grande profondeur humaine et spirituelle qu’il nous faut découvrir et faire connaître. Une œuvre autant pour toutes les personnes victimes qui peuvent trouver en ces peintures un soutien, un appui, un langage qui dit ce qu’elles ne peuvent dire ; autant pour les autres, nous tous, qui avons le devoir de les écouter en profondeur et de marcher humblement à leurs côtés sur un chemin de réelle fraternité. Ce chemin irrigué par la seule source qui fait vivre, celle qui jaillit précisément du Cœur du Christ…

Œuvres de sœur Elia