Interview de Mélanie Debrabant, présidente de l'association Fraternité Victimes

Morceaux choisis de l’interview de Mélanie Debrabant, présidente de l’association Fraternité Victimes, sur Sud Radio.

Avant toute chose, pouvez-vous nous présenter Fraternité Victimes et ses principales missions ?

[Mélanie Debrabant] Bien sûr. Fraternité Victimes est une association qu’on a créée il y a un an, qui, comme son nom le dit bien, veut permettre de vivre la fraternité avec les personnes victimes. Donc on a pour ça différents moyens pour les soutenir. D’abord un réseau de bénévoles, de rencontres, simplement d’échanges. Et puis un soutien aussi, avec un réseau de professionnels qu’on essaie de tisser encore, notamment avec des professionnels du droit, des avocats, des juristes, mais aussi des psychologues, des assistantes sociales, des personnes qui travaillent en ressources humaines aussi, des professionnels comme ça et on met en relation. L’idée, c’est de simplifier le parcours des personnes victimes en faisant pour eux ce travail de repérer les professionnels qui pourraient les aider. Et puis on a aussi une part où on peut justement soutenir financièrement les personnes victimes, notamment dans les frais juridiques qui peuvent s’élever très vite et qui peuvent être un frein pour faire valoir ses droits. Et puis on a encore un axe de formation en interne et puis de sensibilisation à la fois du grand public, des responsables. Voilà un peu tout ce qu’on veut mettre en place à travers cette association.

On est tout à fait une association laïque. On est une association qui est, pour les personnes victimes de toutes violences, tous abus subis dans le cadre religieux, quelle que soit la religion, quelle que soit la foi de la personne, la spiritualité ou l’absence de spiritualité de la personne. L’idée, c’est que la violence subie a été dans le cadre religieux, que ce soit une institution scolaire comme Bétharram ou une paroisse ou un mouvement de scoutisme…

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Pourquoi, d’après vous, ces faits ont-ils été couverts aussi longtemps ?

[Mélanie Debrabant] Je pense que en fait, dans ce genre d’histoire, malheureusement, le silence c’est la norme et que là on parle de Bétharram et l’ampleur et le nombre de personnes victimes et la durée sur lesquelles ça a duré, les personnes impliquées dedans rend l’affaire exceptionnelle. Mais Bétharram, c’est à mon avis loin d’être un cas isolé. Dans les violences sur mineur, le silence, c’est la norme ; l’indifférence des adultes — vous en parliez dans votre édito — c’est la norme. Bétharram, c’est un système de domination et c’était connu : on envoyait à Bétharram des enfants qui avaient besoin d’un cadre strict, voire d’être « remis dans le droit chemin ». Donc c’était des enfants réputés difficiles, des enfants du coup fragiles, puisqu’on ne va pas les croire. On ne va pas considérer leurs paroles. On voit aussi dans les témoignages que les enfants qui ont été ciblés sont principalement des enfants de divorcés par exemple, donc un peu des enfants à la marge, encore moins crédibles que les autres. Il y avait un système de domination aussi des enfants entre eux, avec des plus vieux qui surveillaient les plus jeunes dans les dortoirs, avec toutes les violences physiques et sexuelles qu’il y a pu avoir. Et puis effectivement, la domination des adultes sur ces enfants, à la fois par les agresseurs eux mêmes, mais à la fois par tous les systèmes qui auraient dû protéger les enfants, que ce soient les autorités religieuses, les autorités académiques, les autorités judiciaires aussi, parce qu’il y a eu quand même plusieurs signalements. Personne ne s’est inquiété de ces enfants. Personne n’a cru ses enfants. Personne n’a voulu voir ou n’a voulu prendre en considération ce qu’on voyait. Et ça, malheureusement, c’est ce qu’on voit dans beaucoup d’autres endroits qui touchent à l’enfance.

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Maintenant le silence, le fait de ne pas vouloir voir ça, c’était à Bétharram, mais c’est encore aujourd’hui. Quand on reprend les chiffres de la CIVISE par exemple, c’est 160000 enfants qui sont agressés chaque année sexuellement, uniquement sexuellement. Qui en parle ? Qui les voit ces gamins ? Trois enfants par classe chaque année, Qui les voit ?

Il y a eu cette mise en examen récente de l’ancien ancien surveillant qu’on appelle Patrick M, qui était surveillant général à Bétharram, âgé de 60 ans, pour des faits de viol par personne ayant autorité, commis entre 1991 et 1994. Encore en poste il y a un an, il a été écarté après l’ouverture de l’enquête judiciaire. Il a reconnu des violences physiques mais il n’a pas reconnu des violences sexuelles. Il a simplement reconnu avoir infligé des gifles à ses élèves. Deux autres suspects, un ancien surveillant et un prêtre, ont été placés en garde à vue, mais ils ont été remis en liberté en raison de la prescription des faits. Cette prescription des faits sur mineurs, elle pose quand même question parce qu’elle empêche une prescription, elle empêche une justice peut être pleine et entière. Est ce que vous dans cette association et vous, à titre personnel, vous êtes pour ou contre l’imprescriptibilité des violences à l’égard des mineurs ?

[Mélanie Debrabant] Moi, je me contenterai de reprendre la parole des personnes victimes, la parole des associations qui existent depuis bien plus longtemps que nous, et encore une fois, la parole de la CIVISE qui en a fait sa recommandation. De fait, l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineurs, c’est une demande qui part du terrain et qui s’appuie sur d’abord la réalité du psycho-trauma qui fait que parfois il y a aussi une amnésie traumatique par exemple, où la personne peut se rappeler très tard de ce qu’elle a pu subir ou ne pas se rappeler parfaitement de ce qu’elle a pu subir. Il y a toute la question de l’emprise. Il y a toute la question de la culpabilité, de la honte, de faire la part des choses. Vous voyez encore aujourd’hui avec l’association, j’ai eu au téléphone une personne qui prend la parole pour la première fois, qui a 55 ans, pour des violences subies mineure et qui a réalisé l’impact que ça avait eu dans sa vie il y a six mois et qui commence tout doucement ce chemin de libération de la parole et j’espère de guérison en tout cas de reconstruction. Mais c’est long. Donc bien sûr que c’est une demande qui part du terrain et que moi je peux juste transmettre aussi la parole des personnes victimes sur ce sujet là.

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Alors on va quand même s’attarder deux secondes sur l’église de ce que vous dites et que je partage complètement, c’est que Bétharram c’est symptomatique d’un problème et d’une problématique beaucoup plus large. L’Église a parlé de sanctions, de réformes. Est ce que vous avez constaté une réelle volonté de changement ou est ce qu’encore on est dans des discours sans aboutissement ?

[Mélanie Debrabant] Alors je pense qu’il ne faut pas être binaire. Il y a des choses qui ont été mises en place au sein de l’Église catholique notamment, mais aussi au sein d’autres cultes. Je pense notamment aux protestants par exemple, qui ont commencé à mettre en place des choses aussi. Ce qu’on sait dans l’Église, puisque là on parle de l’Église catholique, c’est par exemple d’abord la commission Sauvé, le rapport de la CIASE d’octobre 2021. Ça c’est ce qui a quand même permis de faire un vrai travail de vérité sur tous les abus sexuels pédocriminels des 70 dernières années. Suite à ce rapport, on a vu, il y a eu la mise en place de commissions de réparation, qui s’appellent la CRR ou l’INIRR en fonction des profils, qui ont leurs limites clairement, néanmoins qui ont quand même l’avantage d’exister d’abord, notamment pour tous ces faits qui sont prescrits. Et d’ailleurs il y a certaines personnes victimes de Bétharram qui ont des dossiers à la CRR. Et puis une autre évolution importante et positive, c’est la mise en place en France du Tribunal Pénal Canonique National (TPCN) qui est en gros une instance nationale pour exercer la justice canonique, pour sortir les affaires des diocèses et de l’entre soi diocésain. Donc ça, c’est des évolutions positives.

Maintenant, on parle d’un d’un système où il y a eu plus de 300000 enfants qui ont été agressés sexuellement. Je pense qu’on peut parler d’un système agresseur. Est ce qu’on peut faire confiance à 100% à ce système pour établir lui-même les moyens de se modifier et de prendre en charge les personnes victimes et de prévenir des nouveaux abus ? Ça me paraît un petit peu illusoire. D’autant plus qu’il y a des gens à l’intérieur qui ont vraiment à cœur de lutter contre ces abus, de lutter contre ces violences et de changer les choses. Mais il faut bien être conscient aussi qu’il y a des gens qui vont dans l’autre sens. Et donc nous, ce qu’on demande aussi à l’État, c’est tout simplement de faire appliquer la loi, y compris au sein de l’Église, y compris, même si on n’a pas très envie parfois d’aller embêter les cathos. Et je vais donner quelques exemples, mais qui sortent aussi parfois du strict cadre des violences sexuelles en institution scolaire. Par exemple, nous, dans l’association on accompagne une ancienne religieuse sortie d’une communauté où plus personne n’a de papiers à jour et une carte d’identité périmée. Elles sont toutes périmées et donc quand elle est sortie, elle a dû refaire tous ses papiers qui étaient périmés depuis 2004. Et je lui ai dit : « Mais, comment tu faisais pour voter ? » Elle me dit « on vote puisque tout le monde sait qu’on est les bonnes sœurs du coin, il n’y a pas de problème ! » Mais ça c’est un problème. Parce que quand même, avoir une bande de nanas dont plus personne n’a de papiers à jour, c’est le premier pas d’une dérive sectaire quand même. Ou si on revient à l’enseignement : encore aujourd’hui des collèges catholiques ou dans le règlement, c’est participation obligatoire à la messe ou confession mensuelle obligatoire par exemple. Ça, ça existe encore aujourd’hui. Ou, dernier exemple, la communauté des Béatitudes qui sort un communiqué en 2011 où elle-même reconnaît que leur fondateur, dit Ephraim et de son vrai nom Gérard Croissant, a commis des violences sexuelles sur de nombreuses femmes et même sur une mineure. Il n’y a eu aucun signalement de leur part. Mais pourquoi le procureur ne s’est-il pas lui-même autosaisi du dossier ? Il n’y a eu aucune enquête, rien du tout. Donc voilà nous ce qu’on demande simplement, c’est que l’État ne laisse pas les autorités ecclésiales gérer seules leur business de leur côté. Parce qu’en fait, ce qu’on voit c’est que de fait, ça ne marche pas.

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