Parcours vidéo "Ouvrir la Bible" contre l'instrumentalisation des Écritures saintes

La Commission doctrinale de la CEF lance une série de vidéos inédites pour lutter contre les interprétations malsaines et dévoyées de la Bible. Concrètement, ce parcours pédagogique, intégralement gratuit et d’une durée totale d’environ quatre heures, s’articule en deux parties :

  1. Donner des clés pour ouvrir la Bible : découvrir cet univers, comprendre sa richesse et sa complexité etc., afin de donner des repères accessibles à tous
  2. Approfondir les Écritures Saintes, pour prévenir les risques d’interprétations dévoyées, mis au jour dans le rapport de la CIASE.

Plus d’informations sur le communiqué de la CEF et la page du MOOC sur laquelle les vidéos seront publiées au rythme d’une chaque semaine.

Intervention de Sylvaine Lacout lors de la Conférence de presse de lancement

Remarque : certaines phrases ont été légèrement retouchées pour faciliter la compréhension à l’écrit.

Je suis Sylvaine Lacout. Je suis professeur au Collège des Bernardins, professeur de théologie biblique, et je suis directrice du Centre chrétien d’études juives du Collège des Bernardins. Alors moi, c’est un peu particulier parce qu’avec les travaux que nous avons menés sur la parole — je suis bibliste, donc je suis dans dans mon milieu — j’ai été un peu attirée par un cas particulier, et pas pour rien : c’est le renouveau charismatique, parce que je fais partie d’une communauté qui est très marquée par le renouveau charismatique. Et comme théologien bibliste, c’est vrai que j’avais certaines interrogations. Et au fond, ce travail que nous avons fait ensemble m’a permis de me focaliser sur quatre lieux d’interrogation.

En préambule, je veux dire que je ne suis pas en train de jeter le discrédit sur le renouveau charismatique. Je vais simplement vous lire une parole que le pape, en 2017 à la Pentecôte, a pu dire dans un grand rassemblement extraordinaire — où j’étais d’ailleurs — de toutes les communautés charismatiques. Il dit : « Vous, renouveau charismatique, vous avez reçu un grand don du Seigneur. Vous êtes né d’une volonté de l’Esprit saint, comme un courant de grâce dans l’Église et pour l’Église ». Et c’est peut être pour ça que quand on voit ce que dit le pape sur le renouveau, on a envie que des choses soient plus ajustées. Donc je vais pointer quatre dimensions qui, au fond, peuvent toucher aussi d’autres milieux ecclésiaux, et pas seulement le renouveau charismatique.

Le premier danger que je soulignais, c’est ce qu’on appelle le danger de la bibliomancie, c’est-à-dire, je prends ma bible, je l’ouvre et je lis un verset. Ça, c’est courant dans le renouveau charismatique, dans la prédication, dans les assemblées de prière, dans la prière des frères, dans l’exercice de certains charismes. Et ça, c’est pour moi un danger, un danger d’instrumentalisation de la parole, parce que j’extrais une parole de son contexte littéraire, historique, etc. et je la donne comme ça, je la livre. Et c’est vrai que c’est comme un geste magique, ça vient d’en haut, donc ça a un poids et certaines personnes ne vont se nourrir que de paroles comme ça. J’ai vu que dans certains milieux, on passe son temps à ouvrir la parole. Je donne un exemple qui peut paraître ridicule : j’ai des amis, un couple, qui ont ouvert cette parole et qui ont lu « Ils ne formeront qu’une seule chair ». Ils se sont mariés, ils ont divorcé six mois après. Donc c’est quelque chose qui est auto déterminant, qui empêche de penser, qui empêche de réfléchir, de prendre sa vie en main. C’est un danger pour moi évident et qui permet aussi à des personnalités fortes de manipuler certaines autres personnes en disant : « le Seigneur te dit… », « voilà ce qu’il vient de me révéler pour toi, dans la parole… » Donc ça c’est c’est un danger, la bibliomancie.

Le deuxième deuxième danger qui est dans le renouveau, et qui est ailleurs, même dans l’Église, c’est le fondamentalisme. C’est écrit comme ça, je lis comme ça. Et là aussi, je ne vois pas toute l’épaisseur du texte, son histoire, son milieu. J’aime beaucoup une phrase — qu’il faut, je dirais inscrire dans sa mémoire — tirée du document de 1994 de la Commission biblique pontificale sur l’interprétation des écritures dans l’Église : « le fondamentalisme est un suicide de la pensée ». Je ne pense pas, c’est écrit ! On sait toutes les dérives que ça a pu amener. Par exemple, je vois des lois sur le sang. Eh bien oui, il n’y aura plus de transfusion sanguine, etc. On ne va pas aller jusqu’à ces dérives là, mais il y en a d’autres. Le texte a besoin d’être interprété. Notre bible, c’est un texte à interpréter. La preuve, c’est qu’à l’intérieur même de la bible, il y a de l’interprétation. Interpréter et actualiser. Donc ça c’est le deuxième danger, le fondamentalisme.

Le troisième danger, c’est l’idéologisation de la parole. Ça arrive quand même dans un certain nombre de communautés du renouveau, et de communautés de vie aussi. On s’appuie sur un certain nombre de textes limités. Et alors on entre dans un langage spécifique et on oublie le reste : le contenu de la révélation se réduit, par exemple, à Saint Jean. On s’inscrit dans cette pensée là et on ne voit pas tout le reste. Et ça, ça peut formater un esprit sectaire, une lecture partiale et partielle de la bible et entraîner des comportements spécifiques, comme on a pu le voir dans certaines communautés. Ça peut servir aussi à des gourous, à des leaders pour enfermer une communauté dans une vision unique. C’est aussi un danger que l’on retrouve dans un certain nombre de communautés plus ou moins charismatiques d’ailleurs.

Et le dernier point que je voudrais souligner, c’est la nécessaire articulation quand je lis la bible, de foi et raison, de cœur et intelligence, d’approche personnelle et d’approche ecclésiale. Il y a une articulation à faire, sinon, on va dans une lecture qui est, je dirais, affective. C’est ma lecture, je m’enferme dans une lecture particulière et je peux complètement dévoyer la parole par cette approche là. Et là, je voudrais vous donner un exemple qui a été travaillé dans un livre qui s’appelle Emprise et abus. C’est le livre de l’enquête qui a été faite par l’Arche internationale sur le père Thomas Philippe, sur Jean Vanier, etc. On se rend compte que Jean Vanier — personnellement j’ai été à l’arche, je parle aussi là d’un lieu que je connais — Jean Vanier, au début de sa sa carrière, lorsqu’il commence à écrire, fait de vraies citations. Quand il cite Matthieu, il indique le chapitre et le verset. Et progressivement on voit qu’il ne dit plus qui il cite, il ne donne plus de références, il s’accapare la parole. Et la parole de Dieu devient sa parole, et encore plus grave, il la transforme. C’est-à-dire qu’il la met au service d’une idéologie. Et il appuie beaucoup aussi sur le fait que c’est la foi qui doit parler, il faut ressentir par le cœur cette parole : on exclut la raison, on exclut l’intelligence etc. Et on arrive à une lecture très orientée. Je vous donne un exemple que le travail qui a été fait dans Emprise et abus cite. C’est dans un de ses livres, Le corps brisé, où il parle de la femme adultère (d’ailleurs il marque pas la référence biblique). Quand on regarde ce texte, on voit cette femme — vous connaissez tous l’exemple, la signification de ce passage —, il va mettre au centre un regard de tendresse de Jésus qui saisit la femme. Quand on connaît un peu le texte, que fait Jésus dans le récit de la femme adultère ? Il regarde par terre et il écrit par terre. Mais vous voyez bien que ce regard de tendresse entraîne, pour la femme, une relation très particulière à Jésus. Et là, on trouve déjà les éléments de ce qu’on va appeler la dérive de l’amour amitié telle qu’elle va être développée surtout par Thomas Philippe, repris par Jean Vannier. On voit très bien qu’on a un vocabulaire spécifique qui se glisse. Le vocabulaire du silence, le vocabulaire du secret, le vocabulaire de la petitesse qui viennent se glisser dans des textes qui ne parlent pas de ça. C’est subtil, mais ça fait qu’il y a une espèce de saisie de la personne qui fait que cette personne entre dans ce que le gourou — il faut l’appeler ainsi — veut lui faire croire, veut lui faire penser, veut lui faire dire. Et ça, c’est vraiment à débusquer parce que ça a existé, on a des preuves. On voit concrètement que cette approche, où on exclut l’intelligence, où on exclut la lecture ecclésiale et où on arrive à une une lecture très personnelle, où on exclut la foi, amène à cette manipulation des personnes par d’autres personnes qui ont une responsabilité, qui ont une aura et qui ont un projet, et qui proposent quand même dérives sérieuses au niveau de la foi.

Intervention de Sylvaine Lacout lors de la Conférence de presse de lancement (à partir de 20:06)

Intervention du père Jean-François Lefebvre lors de la Conférence de presse de lancement

Remarque : certaines phrases ont été légèrement retouchées pour faciliter la compréhension à l’écrit.

J’enseigne la bible au studium de Notre-Dame de Vie, dans le sud de la France. Je voudrais d’abord rappeler que l’instrumentalisation, en soi, n’est pas le propre de la lecture de la bible. Toute parole qui a une certaine autorité peut être instrumentalisée, que ce soit une loi, que ce soit la parole d’un homme politique célèbre, d’un philosophe, d’un fondateur de communauté. Et je pense que nous pouvons tous avoir un jour ou l’autre instrumentalisé la parole de quelqu’un pour parvenir à nos fins. Ce qui est propre à la bible, c’est que lorsque je l’instrumentalise, je confisque l’autorité la plus haute qui soit pour un croyant, l’autorité de Dieu, en m’appuyant sur la parole de Dieu, mais en la détournant à mon profit.

En fait, Jérôme l’a rappelé, la bible est le témoignage d’une conversation entre l’homme et Dieu et et on est frappé quand on lit la bible de la place qui est faite aux questions de l’homme, parfois aux interpellations, aux remises en cause. C’est tout sauf une parole monolithique qui s’impose à l’homme, un monologue de Dieu qui s’impose à l’homme. C’est un dialogue fait d’écoute mutuelle. Il y a ce commandement dans la Bible « écoute Israël » mais aussi dans les psaumes « un pauvre crie, le seigneur entend ». Si on quitte ce cadre de l’écoute mutuelle, si on ne lit plus la bible pour être à l’écoute de ce que Dieu dit à une personne ou à une communauté, alors on l’utilise à son profit et on ne cherche plus à comprendre ce que Dieu veut dire, mais ce que moi je peux dire en confisquant l’autorité de la parole de Dieu. Ce travers est presque inévitable et ça peut être aussi des personnes de bonne volonté qui, sans vraiment en avoir conscience, instrumentalisent la bible.

Je vais prendre un exemple très simple. Si je fais la catéchèse et que je veux inculquer de bons principes d’éducation aux enfants, je vais citer un verset de l’épître aux colossiens : « Enfants, obéissez en tout à vos parents. Voilà ce que le Seigneur attend de vous ». Et je m’arrête là. Dieu veut que tu obéisse à tes parents ! Mais si je continue le verset suivant dans l’épître aux colossiens, j’ai : « Parents, n’exaspérez pas vos enfants de peur qu’ils ne se découragent ». Alors vous voyez ? Je m’arrête juste avant et je fausse complètement ce qui, chez Saint Paul, est l’expression d’une relation de respect mutuel. L’invitation aux enfants à obéir à leurs parents s’accompagne d’une obligation pour les parents d’encourager leurs enfants. Il y a d’autres cas plus graves. Un cas que je cite dans la vidéo est l’instrumentalisation d’une phrase d’une parabole de Jésus, la parabole des invités au festin, où un maître, un homme riche, invite à un festin. Les invités se défilent l’un après l’autre et donc, il veut remplir la salle. Il invite d’autres personnes. Et puis la salle n’est toujours pas remplie. Alors il dit « allez dans les rues et invitez les mendiants, les pauvres, les boiteux, etc. Et forcez les à entrer ». Dans la parabole, le sens est « insistez tellement qu’ils se sentiront dignes pour entrer ». Mais se « forcez-les à entrer » a été utilisé par Saint Augustin pour justifier le recours au bras séculier contre des un groupe considéré comme hérétique. Et ensuite dans la suite de l’histoire de l’Église, il y a un certain nombre de cas où on s’est autorisé de cette phrase tirée complètement de son contexte pour justifier le recours à la force.

La bible elle-même comporte des exemples d’instrumentalisation de l’écriture. Le premier, très célèbre, c’est le diable qui, au chapitre trois du livre de la Genèse, reprend une parole de Dieu au premier couple humain. « Vous pourrez manger de tous les arbres du jardin, sauf de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Et le diable dit à Ève : « Alors vous ne pouvez pas manger de tous les arbres du jardin ». Il reprend la parole et il la travestit. Mais parfois aussi, dans les tentations de Jésus, il va citer in extenso une parole de l’écriture complètement tirée de son contexte en en inversant le sens.

L’antidote contre cette instrumentalisation de l’écriture, c’est un changement dans la culture du peuple de Dieu et dans son rapport à la bible. C’est ce qui vient d’être évoqué : toujours allier lecture personnelle et lecture ecclésiale. Parce que, en lisant la bible avec d’autres, on s’enrichit de ce que les autres comprennent de l’écriture, et on se corrige mutuellement aussi, et nous en faisons l’expérience dans dans la formation. Lorsque nous lisons la bible ensemble avec les étudiants, nous nous corrigeons mutuellement. Et puis, former à un certain nombre de règles élémentaires d’interprétation d’un texte, comme vient de le rappeler Jérôme.

Intervention du père Jean-François Lefebvre lors de la Conférence de presse de lancement (à partir de 29:44)

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