Dans un excellent podcast, des victimes témoignent et analysent la situation actuelle dans l'Église
Il est possible d’écouter l’audio sur le site internet du podcast.
Vous trouverez ci-dessous la retranscription complète de l’émission, avec quelques adaptations mineures pour faciliter la lecture. L’émission commence par une chronique satirique sur l’actualité de l’Église, suivie d’un rappel des faits et du contexte : le rapport Sauvé, qui a révélé l’ampleur des abus sexuels dans l’Église catholique en France depuis les années 1950, et la création de la CIASE (Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église). Ensuite, deux invités, Isabelle et Luc, membres d’un collectif de victimes, témoignent des conséquences durables des abus sur leur vie et de la difficulté à se faire entendre et reconnaître par l’Église. Ils expliquent le fonctionnement des instances chargées de la question des violences sexuelles au sein de l’Église (la CRR et l’INIRR) et soulignent le rôle crucial de l’écoute et du soutien mutuel entre victimes. L’émission se termine par une réflexion sur le rôle des fidèles et de l’État dans la lutte contre ce fléau, et souligne l’importance de ne pas laisser l’Église se dérober à ses responsabilités en matière de prévention et de réparation.
[Anne-Claire] Bienvenue sur Radio Campus Angers dans l’émission « Prière de l’ouvrir ». Je suis Anne-Claire et je vous retrouve avec plaisir pour cette troisième émission en compagnie d’Olivier. Bonsoir Olivier.
[Olivier] Bonsoir Anne-Claire.
[Anne-Claire] Avec nous ce soir et pour sa grande première Lorraine est à la technique avec Manon que nous allons écouter tout à l’heure. Nous sommes tous membres du collectif P.A.I.X, pour un accueil inconditionnel dans l’Église. Nous souhaitons faire entendre ici des voix progressistes catholiques, aborder des thématiques autour de l’inclusivité de tous et de toutes, vous faire découvrir des initiatives et des actions d’autres acteurs chrétiens engagés, écouter des musiques variées et originales. Vous êtes donc dans une émission militante, impertinente et inconditionnellement ouverte à l’accès à l’accueil de la singularité de chacun et de chacune.
[Olivier] Anne-Claire, est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus sur le sujet de cette troisième émission ?
[Anne-Claire] Et bien ce soir, notre émission est consacrée aux violences sexuelles dans l’église catholique. Depuis la révélation du scandale, que deviennent les victimes et quelle prévention est mise en place pour éviter de nouveaux crimes? Nous écouterons d’abord le désormais traditionnel billet corrosif de Manon sur l’actualité de l’Église catholique. Nous évoquerons ensuite la situation de l’Église catholique en France s’agissant des crimes sexuels perpétrés en son sein. Nous accueillerons ensuite nos invités, membres d’un collectif de victimes. Ils sont déjà dans le studio avec nous. Ils témoigneront de la reconnaissance de leur statut et de leurs liens actuels avec l’institution. Puis nous présenterons les différentes associations qui accueillent et soutiennent les victimes, se positionnent en interlocuteurs de l’institution. Enfin, nous dresserons un point des recommandations faites par la CIASE il y a trois ans. Tout de suite, je laisse la parole à Manon.
[Manon] Alléluia! Ce début d’année 2025 nous apporte quelques bonnes nouvelles entre les génocides et les incendies. Et l’impossible arrive. Une femme a été nommée à la tête d’un dicastère : sœur Simona Brambilla. L’œil étincelant et la tête d’Élisabeth Borne sous son voile. Mais ça, c’est pas sa faute. Même si je vous jure qu’il y a une ressemblance. Et presque jeune, du haut de ses cinquante neuf ans, elle va gérer le dicastère pour la vie consacrée. Donc si vous regardez la mélodie du bonheur, Sister Act ou sœur Thérèse point com, tout ce qui arrive là dedans, c’est un peu de sa faute. Oui, il y a des chances que je divague et je suis sans doute la seule personne ici à me souvenir de sœur Thérèse point com. J’ai comme qui dirait des goûts d’ancêtre. Vous savez le plus beau dans l’affaire ? Et bien sœur Simona va être assistée par un cardinal. Assistée, oui, oui, oui, c’est-à-dire qu’un salésien espagnol va être sous ses ordres, excusez du peu, mais il y a de quoi nous émouvoir depuis le temps qu’on demande des femmes dans des postes à responsabilité au Vatican. Nous souhaitons donc à Sœur Simona de moins ressembler à Elisabeth Borne et de savoir faire le ménage dans des ordres religieux parfois un peu trop soumis à la loi du silence, pour ce qui est des scandales sexuels par exemple. Et nous espérons même qu’il fait bon à Rome parce qu’ici, on se caille un peu, mais ça tombe bien parce que le temps où on se caille, c’est aussi le temps pour se fêter la bonne année. Alors au nom du collectif, je vous souhaite une merveilleuse année 2025 pleine de surprises n’incluant pas si possible Donald Trump qui envahit le Canada, à vous les studios.
[Anne-Claire] Merci Manon pour ce tour de l’actualité catholique sur un ton satirique et décalé. Avant de recevoir nos invités, Olivier et moi, on vous explique pourquoi nous parlons ce soir des abus sexuels au sein de l’Église catholique. Aujourd’hui, tout le monde a entendu parler des scandales d’abus sexuels perpétrés en France sur des enfants, par des prêtres, des religieux ou des membres d’écoles privées catholiques depuis les années 1950. C’est le rapport Sauvé qui a rendu public, en octobre 2021, l’étendue du scandale. Monsieur Sauvé est un ancien vice-président du Conseil d’État. Un haut fonctionnaire, comme on dit. En novembre 2018, les deux organisations représentantes des catholiques en France lui ont demandé de constituer une commission d’enquête sur les abus sexuels dans l’église. Quelle drôle d’idée me direz-vous! Et bien c’est que en 2015, un collectif d’anciens scouts de Lyon avait monté une association nommée « La parole libérée ». Ces hommes ont été victimes de viols dans les années 70-80 alors qu’ils étaient enfants, d’un prêtre aumônier des scouts : l’abbé Bernard Preynat. Cette association va jouer deux rôles importants. D’une part, elle va dénoncer publiquement les faits et l’immobilisme des différents évêques, notamment le cardinal Barbarin. Les viols commis par l’abbé Preynat leur avaient été rapportés, mais ils l’ont laissé continuer d’exercer et donc commettre d’autres crimes sur des enfants. D’autre part, l’association « La Parole Libérée » va recevoir en moins d’un an des témoignages de plus de quatre cents personnes victimes de pédocriminalité, dont 90% des auteurs sont des prêtres. Face à cette situation, l’Église s’interroge et demande donc à Monsieur Sauvé de constituer la CIASE, Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église. Elle lui donne trois axes de mission. Établir les faits depuis 1950, comprendre ce qui s’est passé, prévenir la répétition de tels drames. Après presque trois ans de travail, le rapport est rendu et c’est un choc pour les catholiques et pour l’ensemble de la population française. Le nombre d’enfants victimes d’abus sexuels dans l’Église est estimé à 330000 entre 1950 et 2010. Le nombre est effrayant, la cause également. Les violences ont un caractère systémique. Attention systémique ne veut pas dire systématique. Cela veut dire que l’organisation de l’Église favorise les abus sexuels par des pédocriminels puisque non seulement rien ne les empêche de commettre de tels crimes, mais en plus ils ne sont ni sanctionnés ni empêchés de recommencer. Alors on pourrait tenter de jeter toute l’institution au feu pour ces horreurs commises et le silence qui a empêché la justice française de faire son travail. Mais ce serait oublier les apports de la CIASE. Il nous faut reconnaître, un peu malgré nous, que l’Église catholique de France s’est saisie du sujet en 2018 et a mis en place une commission d’enquête indépendante. Les autres pays concernés de la même façon ne l’ont fait que bien plus tard. Les membres nommés dans la commission pour beaucoup catholiques pratiquants ont fait preuve de courage pour faire la vérité et non pas couvrir l’institution. Pour recevoir et écouter les victimes dont les témoignages étaient affolants. Ils ont retenu une méthode de travail et d’enquête très rigoureuse qui a été saluée. Sans se suffire de dénoncer, ils ont émis 45 recommandations. Les évêques français, même s’ils n’étaient pas d’accord entre eux, ont reçu ce rapport et reconnu la responsabilité institutionnelle de l’Église, la dimension systémique de ces violences, le devoir de justice et de réparation. À la suite de ce rapport, des mesures ont été mises en place, dont nous reparlerons. Nous avons aussi découvert que les enfants n’étaient pas les seuls concernés, mais également des personnes majeures, hommes comme femmes. Des religieuses, dans certains ordres. La notion d’emprise et d’abus spirituel a été mise à jour. Les rapports de pouvoir et les dérives sectaires, aussi. La société française dans son ensemble a pris conscience de l’ampleur de la pédocriminalité, de la fragilité des institutions, les écoles, le sport, les centres aérés et les colonies de vacances. La CIIVISE, la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants, a été créée par l’État français dans la lignée et selon les méthodes de la CIASE, afin de révéler l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants, à travers l’inceste notamment. Mais, car il y a beaucoup de mais, les suites du rapport et la mise en place des recommandations ne sont pas simples. La vérité a été niée par beaucoup de catholiques. Le nombre des victimes, la perversion des prêtres, la peur du scandale, le secret pour protéger l’institution plutôt que les victimes sont trop difficiles à entendre pour eux. Et quand on a entendu et accepté le rapport, on aimerait passer à autre chose. Et puis des doutes persistent sur le consentement éventuel des personnes majeures aux violences sexuelles qu’elles ont subies. En fait, l’emprise et la sidération d’adultes ne sont pas comprises et de façon générale, les mécanismes psychologiques en jeu. Alors non, on ne peut pas passer à autre chose. Olivier, tu nous remémore avec colère et tristesse évidemment certains des cas avérés d’abus ?
[Olivier] En effet Anne-Claire. Nous pouvons déjà parler de Bernard Preynat dont tu as déjà évoqué le passé il y a quelques minutes. Il a été renvoyé de l’état clérical et il a écopé de cinq ans de prison. La procureure Dominique Sauve l’avait accusé d’avoir brisé des vies et de s’être servi du silence des parents et du silence de l’église pour multiplier ces abus. Il est mort en 2024. L’abbé Pierre, dont tout le monde a entendu parler : il s’agit probablement de la révélation d’abus sexuel dans l’Église catholique qui a été la plus médiatisée. Pour une raison simple : c’est que l’abbé Pierre a été pendant des décennies l’une des personnalités préférées des Français. Et c’est là en fait, que le scandale réside : c’est une personne qui a été médiatisée, visible et qui a, par cette possibilité là, abusé de nombreux enfants et de femmes. Le fondateur d’Emmaüs est aujourd’hui accusé par 33 personnes d’agression sexuelle et de viol, dont deux sur des mineurs. Les révélations sur cet homme nous permettent de mettre en lumière la protection des criminels au sein de l’Église catholique, le danger de la déification des prêtres. Car oui, l’abbé Pierre était considéré comme un saint de son vivant, ce qui l’a protégé pour commettre ces abus. Et la possibilité pour un prédateur sexuel d’apparaître aux yeux du monde comme un homme bon par ses œuvres. A Angers, proche de nous, le fondateur de l’université privée IRCOM et ancien secrétaire général de l’Université catholique de l’Ouest, l’abbé Houard, aurait commis des violences sexuelles sur au moins sept enfants âgés de cinq à treize ans, entre 1969 et 2000. L’Église d’Angers, au niveau des victimes de l’abbé, malgré des engagements pris ces dernières années, ne se donnerait pas, selon ces personnes, les moyens de répondre totalement et de manière adaptée pour aller au bout de la vérité. De nombreuses communautés du renouveau charismatique ont été accusées et pointées du doigt pour de nombreuses affaires de violences sexuelles et sexistes. La communauté de l’Emmanuel n’est pas exempte de ce sujet là. Elle appartient également au renouveau charismatique. Et si, contrairement aux communautés de Saint Jean et des Béatitudes, elle ne s’est pas arrêtée dans son développement à un moment donné par ces révélations, plusieurs prêtres ont pourtant été condamnés par la justice française ou canonique. Ce fut le cas pour Benoît Moulet, qui a récemment été renvoyé de l’état clérical pour des faits de violences sexuelles sur deux femmes, mais également pour l’affaire Bernard Peyrous qui a commis plusieurs agressions sexuelles sur des personnes majeures. Egalement Noël Nshibia mis en examen pour agression sexuelle sur mineur. Et enfin nous pouvons également citer Emmanuel Dumont, non pas sur des affaires de violences sexuelles, mais sur des violences d’emprise psychologique qui a été interdit de tout accompagnement spirituel pendant trois ans. Nous aurions également pu parler des violences sexuelles aux missions étrangères de Paris, au sein de la communauté des Béatitudes et de Saint Jean, celle de Jean Vanier à l’arche. Il y en a tellement. Cela fait beaucoup d’horreurs, beaucoup récentes. Mais malheureusement, les violences sexuelles dans l’Église catholique n’appartiennent pas uniquement au passé. Anne-claire. Je te laisse expliquer pourquoi notre collectif catholique P.A.I.X se saisit de ce sujet.
[Anne-Claire] Et bien oui, parce que, comme nous, beaucoup de catholiques n’ont plus confiance dans une structure qui n’a pas su protéger les enfants, pire, qui a préféré sa réputation au soin des victimes et à la prévention des crimes, qui a montré toutes ses limites de soi-disant experte en humanité. Une institution dont il est désormais clair que c’est son système même qui a permis à des criminels de perpétuer des viols et des violences sexuelles et d’être impunis. Or le message de Jésus, tout au long des Évangiles, est l’attention aux plus petits, aux plus vulnérables. Nous attendons donc que notre Église rétablisse la confiance avec les croyants en mettant en œuvre les recommandations qu’elle a demandé. Avant de laisser la parole aux membres du collectif angevin d’aide et de soutien aux personnes victimes d’abus sexuels dans l’Église, nous marquons une pause musicale.
Pause musicale
[Anne-Claire] Vous êtes bien sur Radio Campus Angers dans l’émission « Prière de l’ouvrir », animée par le collectif catholique P.A.I.X. C’était « balance ton quoi » de Angèle dans une version interprétée par Angèle, Hoshi et Clara Luciani. Ce titre représente la vérité que nous attendons de la part de l’Église catholique s’agissant des abus sexuels perpétrés en son sein grâce à son silence. Nous recevons maintenant deux invités membres du collectif angevin d’aide et de soutien aux personnes victimes d’abus sexuels, Isabelle et Luc. Bonsoir Isabelle.
[Isabelle] Bonsoir Anne-Claire.
[Anne-Claire] Bonsoir Luc.
[Luc] Bonsoir.
[Anne-Claire] Merci d’avoir accepté notre invitation. Je laisse Olivier mener cet entretien.
[Olivier] Bonsoir Isabelle et Luc. Merci d’avoir accepté de venir sur Radio Campus dans cette émission « Prière de l’ouvrir » sur la thématique des violences sexuelles et sexistes dans l’Église. Je vais vous laisser vous présenter et nous dire en quelques mots pourquoi vous avez souhaité vous engager sur ce sujet des violences sexuelles dans l’église catholique.
[Isabelle] Bonsoir Olivier, merci de votre invitation. Nous avons fondé ce collectif en 2022 lors d’un rassemblement devant l’évêché d’Angers, au moment où « Agir pour notre Église », entre autres, avait appelé les catholiques intéressés à « sortir les poubelles ». C’était juste avant la conférence des évêques de France. Donc, je m’y suis rendue avec déjà en tête l’idée de me rapprocher des personnes qui seraient présentes car il est évident que nous sommes tous en tant que personnes victimes d’abus sexuels très isolées et très seules, et que l’Église ne souhaite absolument pas favoriser le fait que l’on se connaisse. Et donc ce collectif a vu le jour à ce moment là.
[Olivier] Est-ce que Luc, vous vouliez ajouter quelque chose sur cette présentation ou dire quelques mots ?
[Luc] Alors moi, je ne vais pas à cette rencontre devant l’évêché, parce que je n’étais pas libre, mais je m’y intéressais. Je savais qu’elle avait lieu et j’ai regardé une émission à la télévision le dimanche soir et j’ai lu les journaux le lendemain. Et j’ai reconnu une personne que j’avais connue à Angers. J’ai donc pris contact avec elle, et elle m’a mis en lien avec Isabelle. C’est comme cela que j’ai pris pied dans ce collectif.
[Olivier] Merci pour ces réponses. Est-ce que vous pouvez nous parler du collectif et nous dire qui sont les membres qui sont à l’intérieur et les thématiques que vous abordez ensemble, la manière avec laquelle vous organisez les réunions ?
[Isabelle] Le collectif s’est constitué et continue à vivre au fil du temps. Il comporte aujourd’hui une quinzaine de personnes. Nous ne sommes pas très connus parce que l’information circule assez peu et nous ne sommes pas vraiment présents sur les réseaux sociaux. L’idée, c’est vraiment de se soutenir et de s’accompagner mutuellement, de créer aussi des espaces d’échange et de parole entre nous, très informels, mais qui constituent un soutien extrêmement important. Car comme je le disais juste avant, une personne victime est souvent en assez grande souffrance, se sent très seule, et le fait de pouvoir échanger d’avoir des résonances et des effets miroirs avec d’autres personnes qui sont passées par exemple déjà par l’INIRR — on en parlera tout à l’heure, dans un processus de réparation — ça peut être intéressant.
[Olivier] Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur en quoi les violences sexuelles sur un enfant ou un adulte peuvent durablement impacter la vie d’une personne ?
[Luc] C’est quelque chose qui est difficile à comprendre pour des gens qui n’ont pas vécu ça. Parce que l’agression sexuelle, que ce soit dans l’église ou ailleurs, produit un traumatisme qui détruit des choses à l’intérieur même de la personne. Et donc elle n’en a pas forcément conscience et toute sa vie va être marquée par ça. On dit souvent que les personnes ne peuvent pas guérir de ce type de traumatisme. On ne guérit pas : on essaie de vivre avec, aidé par des thérapeutes, par des groupes, par le milieu familial ou autre. Mais on vit toute sa vie avec ça finalement.
[Isabelle] Je peux ajouter qu’il s’agit aussi d’une forme de mort intérieure et de mort existentielle. En psychologie, on sait très bien aussi que le sentiment de culpabilité et de honte est introjecté par la personne victime, tout à fait à tort bien évidemment, mais qui se sent différente, qui se sent honteuse et presque responsable de ce qui lui est arrivé alors qu’elle ne l’est bien sûr absolument pas. Et ça, c’est très lourd à porter. Et il est très difficile de s’en remettre.
[Luc] Ce qui ressort aussi quand on parle avec des des personnes qui ont été victimes, c’est qu’elles savent qu’il s’est passé quelque chose dans leur vie. Mais elles ne savent pas quoi. Elles ne savent pas quand. Elles ne savent pas avec qui. Elles ne savent pas exactement ce qui s’est passé, mais elles sont sûres qu’il y a quelque chose qui s’est passé et qui les ronge on pourrait dire.
[Isabelle] Quand il s’agit d’une amnésie traumatique, je pense que Luc, c’est ce à quoi tu fais allusion.
[Olivier] Quand vous êtes face à une personne qui aurait vécu une amnésie traumatique, comment on aborde ce sujet là avec elle ? Est-ce que c’est une fois que les éléments reviennent, qu’elle peut en parler, mettre des mots dessus ?
[Luc] Il faut sortir d’abord de cette amnésie et c’est souvent des évènements qui permettent ça. Et parfois, c’est violent parce que les gens ne comprennent pas ce qui leur arrive. Moi, j’ai eu une amnésie de plus de 60 ans à partir de l’âge de onze ans à peu près. Au moment des rapports de la CIASE, il y a eu beaucoup de témoignages qui ont été publiés. Et un jour, en lisant un témoignage, à la fin, je me suis dit : mais c’est mon histoire ! Et donc à ce moment là les faits sont revenus et j’ai pu relire un petit peu mon histoire, mais en fait très seul. Ce que disait Isabelle tout à l’heure, c’est qu’on est très seuls en tant que victime. Et c’est pour ça que le fait de pouvoir être en lien avec d’autres personnes victimes est très important.
[Anne-Claire] Je me permets de prendre la parole. Si ce soir, il y a des personnes qui à nous écouter, se sentent remuées, sentent qu’il y a quelque chose, est-ce qu’on peut leur donner un conseil ?
[Isabelle] Un conseil ? Mais bien sûr, il est évident le conseil ! C’est ne restez pas seul et parlez-nous. Ou parlez à quelqu’un, tout simplement, peu importe. Peu importe à qui, mais une personne de confiance qui saura respecter votre parole et surtout en faire quelque chose.
[Olivier] Est-ce que Isabelle vous pouvez redire comment on peut joindre votre collectif si jamais, je reprends ce que vient de dire Anne-claire, si des personnes se disent « moi j’ai envie de ne plus être seule » ?
[Isabelle] Bien évidemment. C’est une adresse mail qui est un peu longue mais qui figurera, je crois, sur les documents qui accompagneront la diffusion du podcast. Ce mail c’est parler.et.revivre.collectif49@gmail.com
[Olivier] Vous retrouverez toutes les informations sur le podcast et le site de Radio campus Angers : on mettra tout ça lors de la publication. Merci pour pour votre confiance avec ces témoignages. La question suivante est : est-ce qu’il y a eu un avant et un après le rapport de la CIASE ? J’entends bien que pour Luc il y a eu un avant et un après. Est-ce que Isabelle, vous voulez ajouter quelque chose ?
[Isabelle] Oui complètement, pour moi aussi. En fait, ce dont les personnes lambda n’ont pas conscience — et c’est bien normal, comment le leur reprocher ? — c’est que nous avons été victimes d’abus sexuels, mais ça ne nous définit pas. Et nous n’avons pas non plus envie de nous trimballer en permanence avec ce poids sur le dos. Donc si on peut penser à autre chose et vivre une vie à peu près normale, c’est quand même beaucoup mieux. En ce qui me concerne, c’est juste pour illustrer et donner un exemple. Moi je suis originaire d’Angers, j’ai été abusée par un prêtre d’une paroisse d’Angers qui se trouve être étonnamment — parce que c’est très rare comme situation — toujours en vie. Il vit une retraite très paisible. Il ne s’est pas passé grand chose pour lui pour l’instant puisque grâce à Dieu, comme l’avait dit Monseigneur Barbarin à l’époque, les faits sont prescrits. Donc en fait la justice civile ne peut absolument plus passer. Et les personnes se demandent aussi pourquoi on met si longtemps à parler. « C’est vraiment étonnant, mais pourquoi n’en avez vous pas parlé plus tôt ? Puis maintenant vous nous en parlez… » J’ai entendu ça aussi de personnes très haut placées au niveau du diocèse. « Mais enfin bon, à priori vous êtes la seule, la seule personne » parce que étonnamment aussi, il n’y en a jamais beaucoup d’autres. On minimise la plupart du temps la situation. « Donc finalement vous nous dites ça ? Mais le prêtre, il n’est pas d’accord, il se sent calomnié. Donc c’est parole contre parole. Donc je ne vais pas continuer plus avant ». Et vous voyez comment la violence se perpétue et comment on vous remet une couche. C’est une autre forme d’abus finalement de ne pas nous croire. Le juge Durand l’a bien dit : « on vous croit ». C’est vraiment la posture de base. Donc une personne en charge de ces affaires là ou qui écoute des personnes victimes dans un diocèse, dans une paroisse et qui met en doute la parole de la personne qui est en face d’elle est en train de commettre une nouvelle violence.
[Luc] Oui et ça rejoint totalement la question aussi de ne pas être seul. C’est aussi trouver des personnes qui vont pouvoir dire « On vous croit également ». Être avec d’autres personnes qui ont pu vivre des choses plus ou moins similaires sur la question des violences sexuelles est aussi un moyen de ne plus être seul face à une institution qui voudrait isoler les personnes aussi par rapport à ce qu’elles ont vécu.
[Isabelle] Oui, d’une certaine façon, parce que bien évidemment, ça entache la réputation de l’Église et personne n’a envie de ça. Je dirais que le mot qui circule vraiment, enfin, la consigne donnée — je ne peux parler que pour le diocèse d’Angers puisque c’est celui que je connais un tant soit peu —, c’est « Oh, on a assez parlé de tout ça, il faut arrêter de pointer ce qui va mal. Allons vers la joie, soyons joyeux. Tout va bien ! » Mais c’est complètement infantilisant et ça n’est absolument pas responsable.
[Luc] Souvent, ce qu’on entend, c’est, « les gens en ont marre d’entendre parler de tout ça ». Alors pour moi, je me dis que finalement, malgré le rapport de la CIASE, la prise de conscience quand même de l’église, des évêques en particulier, un début de prises des décisions, des pistes de recherche, j’ai l’impression que finalement la hiérarchie a continué à garder la main sur ces choses là et que l’ensemble des chrétiens finalement n’est pas tellement au courant. Ils ne sont pas mis au courant, ils ne sont pas très actifs par rapport à ça.
[Anne-Claire] Je pense que c’est vraiment l’objet de notre émission : c’est de ne pas permettre de remettre le couvercle sur ce scandale et sur ces situations, en vous invitant. Et merci d’être venu en témoigner parce que nous, nous ne sommes que des relais, mais c’est bien en vous écoutant… Merci d’oser parler. Merci de parler pour nous tous pour que nous vous entendions, pour que nous soyons obligés de vous entendre et obligés d’agir.
[Olivier] Et ça rejoint totalement le nom d’un podcast dont nous allons parler tout à l’heure, qui s’appelle « Silence, on crie », de RCF et du collectif Agir pour notre église. C’est ça, c’est qu’en fait, il faut faire silence pour entendre le cri des personnes qui ont été victimes et et placées dans un mutisme pendant des années. Est-ce que vous voulez nous parler du fonctionnement des instances au sein de l’Église catholique qui sont en charge de la question des violences sexuelles ?
[Isabelle] Oui alors très rapidement peut-être pour situer la manière dont les choses se passent. Dans chaque diocèse existe maintenant une cellule dite « cellule d’écoute » qui est chargée de recueillir la parole des personnes. C’est déjà un premier pas qui va permettre de déposer son fardeau, d’être écouté de manière plutôt bienveillante. Mais en fait, c’est à chaque personne de décider ce qu’elle veut en faire par la suite, parce qu’on peut très bien s’arrêter là, et que c’est très lourd et très douloureux de mettre en branle une demande de réparation et de reconnaissance. Je fais juste le lien avec ce que je disais tout à l’heure, puisque lorsqu’il y a prescription, et dans 95% des cas ou 90% des cas il y a prescription des faits parce qu’on en parle trop tard malheureusement parce qu’on n’a pas été en capacité, on n’a pas trouvé le courage ou la maturité ou enfin voilà pour toutes sortes de raisons. Et la seule réparation possible en fait, elle va être symbolique d’une certaine manière puisque il n’y aura pas de justice civile, il n’y aura pas de reconnaissance civile. La notion de crime en tant que telle ne sera pas reconnue. Et donc, suite à la CIASE, il y a deux instances qui ont été mises en place. Je vais parler d’une et Luc parlera de l’autre de manière à répartir la parole. Je vais vous parler de la CRR qui est la commission reconnaissance et réparation qui a vu le jour pour les religieux et religieuses ou personnes membres ou intervenant dans des congrégations. Vous parliez des Béatitudes… il faut savoir qu’il n’y a pas d’obligation de rejoindre la CRR et certaines communautés dont celle dont nous parlions à l’instant ont refusé d’en faire partie ce qui est très lourd de sens également. Et donc l’idée, c’est d’essayer d’établir la vraisemblance des faits en lien avec les diocèses qui normalement doivent tenir à jour des archives, si les archives n’ont pas été jetées, si elles ont été bien tenues à jour, et que les témoignages, y compris oraux, étaient retranscrits. Parce que parfois on peut aussi avoir certains doutes et sur la base de ces faits, l’instance reconnaîtra la véracité des faits et proposera une réparation qui malheureusement passe par une reconnaissance numéraire relativement modeste selon une grille d’évaluation. Voilà donc ça, c’est pour les religieux et religieuses.
[Luc] Et dans les diocèses, pour toutes les personnes qui ont été agressées par des prêtres [diocésains] ou autres [bénévoles ou salariés], existe l’INIRR qui est l’Instance Nationale Indépendante pour la Reconnaissance et la Réparation. Elle fonctionne à peu près comme la CRR. Donc moi, j’ai fait un dossier et j’ai donc été écouté par une psychologue — au bout d’un an et demi - deux ans après avoir déposé le dossier — qui fait une synthèse ; elle nous prend d’abord au sérieux et ce qu’on dit est d’abord reconnu comme vrai. Et puis elle fait un résumé de l’agression, des conséquences que ça a pu avoir dans ma vie et tout au long de ma vie. Et suite à ça, il y a une commission qui à partir de cette enquête — on pourrait dire — écrit une lettre de reconnaissance de ce qui s’est passé. Lettre qui est personnelle avec une une proposition, si on le veut, d’une réparation financière qui est la même que celle de la CRR.
[Isabelle] C’est donc une lettre officielle qui établit la réalité des faits. ça peut paraître très minime, mais en fait, pour certaines personnes, c’est extrêmement important. Il y a des personnes qui n’ont jamais réussi à en parler à leur famille, à leurs enfants ou à leurs parents… Et ça peut servir de support et l’INIRR peut également parfois servir de tiers, médiateur pour accompagner cette cette reconnaissance.
[Luc] Je peux vous lire quelques passages de la lettre que j’ai reçu en septembre. « Vous avez à plusieurs reprises dans le cadre de la démarche proposée par l’INIRR échangé avec la référente de situation désignée pour vous accompagner. Le diocèse a confirmé la vraisemblance des faits. Avec votre concours, nous avons rassemblé les éléments nécessaires pour prendre en compte ce que vous avez vécu. Le collège de l’INIRR le tient pour vrai ».
[Olivier] Merci pour pour ces éléments. Pour terminer cette interview, on aimerait vous entendre sur le rôle des fidèles face à ce fléau ? L’Etat également a-t-il un rôle à jouer ?
[Isabelle] Alors l’Etat… on ne va peut-être pas attendre trop de de l’Etat, puisqu’on parlait de justice civile tout à l’heure : la justice civile ne peut pas s’exercer. En revanche des conventions sont passées entre les parquets et chaque diocèse et les évêques sont tenus de signaler les faits portés à leur connaissance, y compris les faits prescrits. Ça c’est extrêmement intéressant. Pour ce qui me concerne par exemple, je peux illustrer avec mon mon exemple. Les faits sont prescrits puisque ils se sont produits il y a maintenant un peu plus de cinquante ans. Et j’ai été entendue, j’ai été convoquée au commissariat de police l’année dernière, et mon agresseur a été entendu également. Bien sûr ça a donné lieu à une lettre confirmant le fait que les faits étant prescrits, il ne pourrait pas se passer quoi que ce soit d’autre. Mais la CIASE a permis au moins ça. Et je trouve que symboliquement, c’est déjà très important.
[Luc] Au niveau de l’état, c’est aussi important, je suis très sensible à ça. Ces violences qu’il y a dans l’église, elles sont aussi dans toute la société. Ça s’est très bien révélé ces dernières années et c’est un ensemble de mesures qui doivent être faites pour lutter contre la pédophilie. Moi je suis très sensible à ça parce que je fais partie d’un groupe de paroles où il y a quatre personnes victimes d’inceste et moi qui étais victime dans l’église d’un prêtre. Et finalement, je dirais que nos situations sont très cousines germaines. C’est très proche et on se retrouve très bien ensemble.
[Olivier] Merci beaucoup, Luc, Isabelle, victimes de violences sexuelles dans l’église, membres d’un collectif qui agit sur ces questions là. Merci d’être venu nous voir sur Radio Campus Angers, d’avoir répondu à nos questions. Et nous espérons que votre voix va être entendue dans ce podcast et que d’autres personnes pourront rejoindre également votre collectif. Pour ne plus rester seuls.
[Isabelle] Merci à vous.
[Luc] Merci.
[Anne-Claire] Merci Merci Olivier, merci à tous. Nous passons maintenant à une petite pause musicale. Merci Isabelle, Merci Luc. Nous écoutons Suzanne de Leonard Cohen.
Pause musicale
[Anne-Claire] Vous êtes bien sur Radio Campus Angers dans l’émission « Prière de l’ouvrir », animée par le collectif catholique P.A.I.X. C’était donc Suzanne de Leonard Cohen. J’ai choisi cette chanson car elle est librement inspirée du passage de l’Ancien Testament : « Suzanne et les vieillards ». Deux vieillards, accusent une jeune femme qui s’est refusée à eux d’adultère. Elle est condamnée à mort, mais leur mensonge est démasqué grâce au prophète Daniel, et ce sont eux qui sont finalement condamnés. Alors Olivier, nous prenons des habitudes dans cette émission, mais ce soir, nous n’avons plus beaucoup de temps. Est ce que tu as une recommandation à nous faire sur ce thème?
[Olivier] Bien sûr, sur la question des violences sexuelles dans l’église, s’il y a bien un contenu médiatique à écouter, c’est le podcast « Silence, on crie » — dont nous avons parlé tout à l’heure — avec Agir pour notre église et RCF, qui ont produit un podcast d’une intensité et d’une émotion rare, qui permettent à des victimes, mais également à des psychologues, à des professionnels sur ce sujet, de venir parler de la thématique des violences sexuelles dans l’Église dont le but est vraiment de nous permettre d’entendre ce cri, ce cri qui a été tu pendant des décennies et des décennies et qui aujourd’hui ne demande qu’à sortir.
[Anne-Claire] Merci Olivier, donc « Silence, on crie », un podcast de six épisodes produit et réalisé par RCF que nous vous recommandons. Luc et Isabelle l’ont évoqué, il y a eu des mesures depuis ce rapport de la CIASE. Mais pouvons nous estimer aujourd’hui que nous sommes satisfaits trois ans après le rapport de la CIASE ? Et bien, pas vraiment en fait. La CIASE a demandé un plan d’action vigoureux dans les domaines de la gouvernance, de la sanction, de la formation et de la prévention. C’était la dernière partie, après la responsabilité, la reconnaissance et la réparation. Et bien aujourd’hui, aucun plan d’action n’est porté à notre connaissance de croyants ou de grand public. Des personnes ont été mobilisées, un plan d’action a été proposé, mais rien n’est sorti. Un observatoire national et un rapport annuel sur les avancées a été demandé. Rien n’existe. Pourquoi ? Pourquoi refuser d’évaluer et de rendre des comptes ? Pourquoi ne pas s’engager clairement ? Qu’est ce que cela cache ? On observe bien la mise en place de certaines bonnes pratiques, mais pas toutes et pas partout. On a la désagréable sensation que le linge sale se nettoie toujours en famille. Et c’est justement ça qui a été reproché à l’Église catholique qui a permis aux criminels d’agir et qui a conduit au silence des victimes. Nous savons que la structure est lourde, difficile à bouger. Nous demandons à l’Église que, comme Jésus le lui a confié, pour ceux qui croient en lui, elle reconnaisse la vérité. Elle soit elle aussi vérité, chemin et vie. Et qu’elle empêche des crimes qui saccagent des vies. Voilà, nous clôturons cette émission dense aujourd’hui et forte par la citation de Manon. La vérité souffre mais ne meurt jamais. Thérèse d’Avila, sainte et première femme docteur de l’église, l’a écrit dans les années 1550. Vous souhaitez nous faire un retour sur cette émission, nous proposer des suggestions ou rejoindre notre collectif ? N’hésitez pas à nous envoyer un mail à pourunaccueilinconditionnel@gmail.com Merci à Radio Campus Angers de nous offrir la possibilité de faire entendre nos voix sur leur antenne en animant cette émission « Prière de l’ouvrir ». Nous nous retrouvons dans un mois Olivier, le dernier mardi de février. Même heure, même fréquence. Nous vous préparons une belle surprise. Bonne fin de soirée sur les antennes de Radio Campus Angers.
[Olivier] Bonne soirée.