MEP : les zones d'ombre du rapport
Difficile de résumer cet article tant son contenu est dense ! Le père Camille Rio, membre de la Société des missions étrangères de Paris depuis 2013 et qui a exercé neuf années en Thaïlande analyse pour Golias le Rapport d'audit effectué par le cabinet GCPS consulting et rendu public récemment.
Voici quelques citations… pour vous donner envie de lire l'article dans son entièreté !
Une impuissance systémique à traiter les alertes
La contemporanéité de certains dossiers, la coïncidence des lieux, mais aussi le déficit en matière de signalements sur ces périodes, ainsi que l'inexplicable impunité dont semblent encore profiter certains prêtres signalés, suggèrent en revanche la permanence d'une impuissance pour le coup « systémique » à traiter comme il convient alertes et signalements, instruire et sanctionner les auteurs d'agressions, et à réformer une société où des pratiques et un environnement toxique persistent malgré les dénégations de ses supérieurs.
Une diffusion du rapport d'audit largement perfectible
Si la publication du rapport a fait l'objet de publications sur les réseaux X et Facebook de la société des missions étrangères, et fait l'objet d'une actualité sur le site-mère, on s'étonne que sa publication n'ait pas été relayée par l'agence de presse des MEP adextra (anciennement églises d'Asie), ni dans les deux émissions de radio conduites par les MEP (Orient extrême sur Radio Notre-Dame; Regards d'Asie sur RCF), ni sur les réseaux de communication du volontariat MEP, ni encore sur les réseaux de communication des églises asiatiques et de l'océan Indien encore dirigées par les MEP (diocèse de Port-Bergé à Madagascar, vicariat apostolique de Phnom Penh au Cambodge), réserves qui contrastent avec la volonté affichée d'une large information pour « libérer la parole », en particulier en Asie et dans l'océan Indien.
Des appels à témoignage peu (pas ?) relayés
Si à plusieurs reprises il est fait mention dans ce rapport d'un « appel à témoignages » « traduit dans les différentes langues des pays de mission », nous n'avons jamais eu connaissance de tels documents. Tous les témoins consultés en Thaïlande affirment n'avoir jamais non plus eu vent de cet appel à témoignage, en particulier dans la région la plus touchée par ces abus (pays Karen). Par quels réseaux, sous quelle forme et dans quelle mesure l'annonce de cette enquête et l'appel à témoignage ont-ils été communiqués dans les pays de mission ? Les enquêteurs font ce constat (p. 26) que cet appel à témoignage n'a donné lieu à aucun signalement. Se pourrait-il que ce soit tout simplement parce qu'il n'a pas, ou très peu, été diffusé ?
Jusqu'en 2021, un seul signalement avait été fait auprès de la justice… et il concernait un volontaire
Ainsi apprend-on que jusqu'en 2021, un seul signalement avait été fait auprès de la justice. Encore ce seul signalement concernait un volontaire, et non un prêtre. Constat cruel, qui dément absolument les déclarations de Gilles Reithinger, qui affirmait que chaque cas rencontré avait fait l'objet systématiquement d'un signalement à la justice civile et aux instances d'Église.
Il apparaît en outre que, jusqu'à aujourd'hui, aucun signalement n'a été fait auprès des diverses justices des pays de mission, malgré des législations aujourd'hui presque toutes sans ambiguïté sur l'obligation de signalement, et en contradiction totale avec les normes de l'Église.
Au sujet des témoins qui ont essayé d'alerter sur des allégations de violences sexuelles
En quelques lignes (pp. 68-69), le rapport évoque la « déception », le « ressenti » et les « impressions » contrastées de victimes et de témoins ayant essayé d'alerter sur des allégations de violences sexuelles. C'est peu dire, alors qu'une victime fait état aujourd'hui encore d'un véritable système de harcèlement des responsables MEP à son endroit, que des victimes et témoins sont insidieusement menacés, et que je peux personnellement témoigner des menaces, intimidations, calomnies, et représailles consécutives à des signalements pourtant rendus obligatoires par nos constitutions et le droit de l'Église, jusqu'à mon renvoi de la société MEP en juin 2024. Ces pratiques n'appartiennent pas à un passé révolu, mais sont le fait de l'actuelle mandature, qui aura trouvé plus expédient de se retourner contre les auteurs de signalements plutôt que de se saisir résolument de ces derniers et d'interroger les nombreux dysfonctionnements dans leur traitement.
Des statistiques vraissemblablement fausses
Le chiffre de 3 pour cent avancé souffre de telles réserves qu'il paraît imprudent de le citer tel quel. C'est pourtant l'information brute mise en avant dans le communiqué et la communication des MEP, communication qui voudrait inscrire cette estimation dans la moyenne définie par l'enquête de la CIASE (2,5-2,8 pour cent). […] En se basant sur les données statistiques très parcellaires de ce rapport et en concentrant notre attention sur la période contemporaine, c'est une estimation raisonnable de plus de 10 (sinon 15 pour les dernières années) pour cent sur les trente dernières années qu'il conviendrait de retenir, chiffre énorme et absolument inédit qui, à lui seul, réclamerait sans délai une enquête de l'Église ou plutôt des autorités civiles et de police
Le mandat et le coût de l'audit
La question du mandat, dans une société religieuse, pose question, en particulier au regard du coût d'une telle enquête, lequel coût n'aura jamais été communiqué au-delà de l'équipe dirigeante, qui refusera d'en répondre devant les confrères réunis lors de la présentation de l'enquête en novembre dernier. C'est une réserve regrettable, dans la mesure où l'investissement financier pour une enquête de cet ordre dit beaucoup aussi de la stratégie de ses commanditaires. On peut cependant l'estimer grossièrement : trois, quatre ou cinq (?) consultants experts rémunérés par un forfait jour, sur une durée de quinze mois, frais de déplacements, d'interprétariat, etc. Le coût, à l'évidence, est extrêmement élevé.
Informations complémentaires
MEP
- https://www.lemonde.fr/religions/article/2023/06/13/l-eveque-de-la-rochelle-mgr-georges-colomb-demande-sa-mise-en-retrait-le-temps-d-une-enquete-sur-des-faits-de-nature-sexuelle_6177496_1653130.html
- https://www.rcf.fr/articles/actualite/mgr-georges-colomb-leveque-de-la-rochelle-vise-par-une-enquete-pour-agression
- https://missionsetrangeres.com/communique-des-missions-etrangeres-de-paris-11-mai-2023/
- https://missionsetrangeres.com/communique-rapport-daudit-gcps-de-la-societe-des-missions-etrangeres-de-paris/
- https://www.golias-editions.fr/2025/01/08/mep-les-zones-dombre-du-rapport/
- https://www.la-croix.com/Religion/Abus-sexuels-Missions-etrangeres-Paris-cascade-denquetes-questions-2023-06-13-1201271338
Les MEP, société de vie apostolique, ont été créées en 1658 avec pour but d'envoyer ses missionnaires évangéliser les pays d'Asie notamment. Elles disent compter aujourd'hui (en 2023) 150 prêtres dans quatorze pays (dont la Thaïlande, le Vietnam, la Chine, le Cambodge, l'Inde, le Laos, le Japon, la Corée du Sud, la Malaisie, Singapour, la Birmanie et Madagascar) 🡵.
Période | Supérieur général | Vicaire général |
---|---|---|
2004-2010 | Jean-Baptiste Etcharren | Georges Colomb |
2010-2016 | Georges Colomb | Gilles Reithinger |
2016-2021 | Gilles Reithinger | Vincent Sénéchal |
2021-2024 | Vincent Sénéchal | Etienne Frécon |
L'enquête interne menée par le cabinet GCPS Consulting
Le 11 mai 2023, les Missions étrangères de Paris ont annoncé avoir fait appel au cabinet GCPS Consulting pour mener une enquête interne. Et « faire la lumière sur des abus commis par des membres des MEP entre 1950 et 2023, en France comme dans leurs pays de mission » 🡵 🡵.
Le rapport, daté de novembre 2024, est diffusé par les Missions Etrangères de Paris le mois suivant 🡵.
Dans un article publié par Golias, le père Camille Rio, membre de la Société des missions étrangères de Paris depuis 2013 et qui a exercé neuf années en Thaïlande, se montre très critique vis-à-vis de ce rapport.
Une culture du secret et de la transgression, propice à la commission de violences sexuelles ?
Selon La Croix, la mise en cause récente de plusieurs prêtres des MEP interroge sur l'existence d'une culture du secret et de la transgression, propice à la commission de violences sexuelles 🡵.
Mgr Gilles Reithinger est visé par une enquête préalable de la justice de l'Église : l'évêque auxiliaire de Strasbourg est désigné par un autre membre des MEP, Philippe R., comme l'un des prêtres qui l'auraient initié à une vie sexuelle active et secrète au sein du clergé. Celui-ci se dit même « victime » d’« un environnement porteur au vice » dès son entrée au séminaire. « Gilles Reithinger fait partie de mes initiateurs. Il est la deuxième personne avec qui j'ai eu des relations sexuelles (depuis le séminaire, NDLR), et cela a continué jusqu'à récemment », écrit Philippe R. à un certain Timothée B. en juillet 2022. Mgr Gilles Reithinger nie formellement ces accusations 🡵.
Voir aussi :