Pour une autre justice. La voie restaurative

« Pourquoi certains crimes, comme l’inceste, les abus sexuels par des prêtres, la torture ou les crimes contre l’humanité, considérés comme les plus graves, sont-ils le plus souvent impunis ? » Cette problématique très actuelle, posée par l’auteur, est d’ampleur tant dans la société civile que dans l’Église : pourquoi n’arrive-t-on pas à juger les crimes que sont l’inceste, les violences sexuelles ou encore les crimes de masse ? Une chape de silence les recouvre bien souvent : les personnes victimes n’arrivent pas à parler dans les délais qu’une prescription viendra clore ; l’institution se protège par le mutisme, le déni ou la minimisation. Or des analyses contemporaines, tels les travaux de la CIASE dans l’Église ou de la CIIVISE dans l’Etat, révèlent l’ampleur systémique de telles violences.

CORREF

Charlie Hebdo : Pourquoi avoir écrit ce plaidoyer en faveur de la justice restaurative ? Quelles sont les limites de la justice telle qu’elle fonctionne aujourd’hui ?

Antoine Garapon : Mon expérience de magistrat et de juge des enfants m’a montré que la réponse de la justice pénale n’était pas toujours à la hauteur concernant le traumatisme des victimes, en particulier les victimes d’agression sexuelle. Lors d’un procès, c’est l’accusé qui est au centre. Or les victimes veulent que le rapport de force soit inversé : que ce soit elles qui donnent le tempo. La justice restaurative met la victime au centre. Et puis, la plupart du temps, les faits sont prescrits, les auteurs sont décédés, et pourtant une justice doit être possible pour ces victimes. C’est d’autant plus le cas pour celles qui ont subi un viol car ce crime engendre un préjudice très spécifique, qui a trait à l’intimité, à l’existence même de la personne. Certains racontent qu’ils ne sont plus capables de toucher une femme, car l’odeur du prêtre qui les a violés leur revient. Si l’on ne peut pas réparer l’irréparable, on peut permettre à des victimes de s’exprimer enfin et la justice consiste à apporter une validation sociale de ce qu’elles ont subi. Il s’agit de transformer le temps de la solitude, du ressassement, en un temps plus apaisé qui met à distance l’horreur de l’agression.

Charlie Hebdo

Antoine GARAPON, Pour une autre justice. La voie restaurative, Paris, PUF 2025, 280 p.