Les frères Goupil et le Chapitre de Saint-Rémi
La démission de Mgr Rey est l’occasion de revenir sur certaines affaires qui ont entaché son épiscopat.
Ici, Mgr Rey autorise officiellement deux prêtres de son diocèse, Frédéric et Sébastien Goupil, à rejoindre l’« abbaye territoriale Saint-Michel-Archange de Sozan », qui s’avère être aujourd’hui un établissement hospitalier neuropsychiatrique… le tout avec l’accord de Monseigneur « Maximilien de Sozan, prince-abbé nullius de l’abbaye territoriale Saint-Michel-Archange de Sozanlieu »… qui semble ne pas exister.
Ce dossier montre la légèreté avec laquelle Mgr Rey effectue le suivi des prêtres de son diocèse.
Informations complémentaires
Les frères Goupil et le Chapitre de Saint-Rémi
Autre cas, celui des frères (de sang) Goupil, formés à l’institut traditionaliste du Christ-Roi, et qui ont vu leur « Chapitre de Saint-Rémi » érigé en association publique de fidèles par Mgr Rey en 2018. En octobre 2020, un décret publié sur le site du diocèse a informé que ces religieux quittaient le giron toulonnais et étaient désormais sous la responsabilité de « Monseigneur Maximilien de Sozan, prince-abbé nullius de l’abbaye territoriale Saint-Michel-Archange de Sozan » – une personnalité dont personne en France ou à Rome n’a entendu parler…
Située dans l’actuelle Ukraine, cette « abbaye » n’a pas été rendue au culte après la chute de l’URSS en 1991. Elle abriterait aujourd’hui un établissement hospitalier neuropsychiatrique. « C’est extrêmement grave, estime une source bien informée. Deux prêtres dans la nature, et gérés par personne. » Contactés par La Croix, les frères Goupil précisent que leur situation est « à l’étude auprès des dicastères romains ». « De graves irrégularités comme ça peuvent, à elles seules, entraîner la démission d’un évêque », souligne une source. «Le droit canon, comme le droit civil et pénal, est là pour protéger des dérives, explique un évêque français. Quand on commence à le contourner… »
— La Croix
I011/ CHANGEMENT DE FOR du CHAPITRE DE SAINT-REMI
Le 13 octobre 2020, Monseigneur Maximilien de SOZAN, prince-abbé nullius de l’abbaye territoriale Saint-Michel-Archange de Sozan, a émis une lettre d’incorporation et agrégation de l’association cléricale publique de fidèles CHAPITRE DE SAINT-REMI à son Chapitre collégial de Saint-Michel, qui rend effectif à cette date le plein accord et nihil obstat de Monseigneur REY, évêque de Fréjus-Toulon, en date du 4 septembre 2020, pour le changement de for du droit diocésain de Fréjus-Toulon, ainsi que pour les futures nominations de MM. les chanoines Frédéric et Sébastien GOUPIL par cet Ordinaire. Celui-ci a confirmé le même jour leur nomination comme Chanoines titulaires de son Chapitre ; de M. le chanoine Frédéric GOUPIL : prévôt du Chapitre de Saint-Michel et son vicaire général pour l’abbaye séculière, et de M. le chanoine Sébastien GOUPIL : chancelier dudit Chapitre.
Mgr Dominique Rey
Dates clé
- 1984 Ordination presbytérale
- 2000 Évêque de Fréjus-Toulon
- 2021 « Visite fraternelle » par l’archevêque de Marseille Jean-Marc Aveline, futur cardinal. Officiellement, « à côté des nombreux beaux fruits […] ont pu être abordées les questions que certains dicastères romains se posaient autour de la restructuration du séminaire et de la politique d’accueil du diocèse » 🡵. Dit autrement, « [Mgr Aveline pointe] du doigt l’accueil dans le diocèse de communautés aux dérives sectaires ainsi qu’un manque de discernement au sujet des séminaristes » 🡵.
- 2022 Au mois d’avril, Rome demande de surseoir aux ordinations diaconales et presbytérales que le diocèse de Fréjus et Toulon devait célébrer le 26 juin 🡵. Le Saint-Siège n’explique pas publiquement la sanction 🡵. Mgr Rey annonce cette décision sur le site du diocèse début juin 🡵.
- 2023 Une visite apostolique est conduite à la demande du pape François par deux évêques français : Antoine Hérouard et Joël Mercier 🡵. « Cette visite apostolique donnera l’occasion d’approfondir et de poursuivre le travail accompli par le cardinal Aveline lors de sa visite fraternelle. » 🡵. Une visite apostolique est procédure qui peut être déclenchée par Rome après des plaintes concernant des problèmes de gouvernance, d’abus sexuels ou de dérives sectaires 🡵.
- 2023 Mgr François Touvet est nommé évêque coadjuteur du diocèse 🡵. Le pape lui octroie de vastes prérogatives avec « les pouvoirs spéciaux du gouvernement diocésain dans les domaines de l’administration, de la gestion du clergé, de la formation des séminaristes et des prêtres, de l’accompagnement des instituts de vie consacrée, des sociétés de vie apostolique et des associations de fidèles » 🡵. En pratique, Mgr Rey n’est donc plus aux commandes du diocèse.
- 2024 Reprise des ordinations. Neuf des dix jeunes dont l’ordination avait été suspendue ont finalement été ordonnés diacres ou prêtres, selon Mgr Rey 🡵.
- 2025 Le 7 janvier, Mgr Rey annonce qu’à la demande du pape, il a présenté sa démission 🡵 🡵 acceptée le jour de son officialisation 🡵. C’est la raison pour laquelle on pourra lire sur les réseaux sociaux que Mgr Rey a été « viré » 🡵. Mgr François Touvet, évêque coadjuteur devient, de droit, le nouvel évêque du diocèse.
Principaux reproches faits à Mgr Rey
S’il n’y a pas de liste « officielle » des reproches qui ont motivé la demande du pape de voir Mgr Rey présenter sa démission, certains points semblent avoir pesé davantage que d’autres.
Accueil dans le diocèse de communautés aux dérives sectaires
Le jour de la démission de Mgr Rey, le diocèse accueillait 49 communautés 🡵. Mgr Rey avait lui-même reconnu « des erreurs d’appréciation et de discernement dans l’accueil et le suivi de certaines communautés » 🡵. Mgr Aveline, qui avait effectué la « visite fraternelle » de 2021 parle quant-à lui de « l’accueil dans le diocèse de communautés aux dérives sectaires » 🡵. On se souviendra notamment de la communauté Points-Cœur, dont Mgr Rey avait accueilli la branche féminine en 2001 puis incardiné le fondateur Thierry De Roucy en 2008… avant que ce dernier soit renvoyé de l’état clérical en 2018 🡵 et que Points-Cœur n’ait plus de reconnaissance canonique depuis 2020 🡵 (sans pour autant remettre en cause le bien qu’ont pu faire les volontaires 🡵) ou le « monastère » d’Alcuin Reid et Ildephonse Swithinbank à Brignoles 🡵🡵🡵🡵. De manière générale, Mgr Rey reconnaîtra : « J’ai accueilli largement des communautés, des vocations sacerdotales et religieuses qui, pour une partie, environ 10 %, ont été des échecs reconnus, par manque de discernement ou d’accompagnement » 🡵. Comme le résume un jeune catholique issu du terroir varois cité par Timothée de Rauglaudre : « Il y a une politique du chiffre, et [Mgr Rey] ne fait pas toujours de service après-vente » 🡵.
Manque de discernement au sujet des séminaristes
Le manque de discernement au sujet des séminaristes avait été pointé par Mgr Aveline lors de sa « visite fraternelle » de 2021 🡵. Dans l’homélie de la messe d’accueil de Mgr François Touvet, le cardinal Aveline s’adresse d’ailleurs à Mgr Rey, en parlant de « [sa] candeur bienveillante dans le discernement » 🡵. Selon le journal Le Monde : « Longtemps pourtant, le diocèse de Fréjus-Toulon a été regardé avec bienveillance, parfois avec admiration pour ses nombreuses vocations de jeunes prêtres, alors que partout ailleurs elles se tarissaient, et pour ses églises aux bancs remplis, alors que partout ailleurs elles se vidaient. Un dynamisme rendu possible en réalité par une absence totale de sélection, qui a conduit l’évêque à accepter des personnalités jugées, autre part, immatures ou problématiques. Des jeunes hommes auxquels l’ordination était refusée dans d’autres diocèses trouvaient ainsi refuge chez Mgr Rey » 🡵. Dans au moins deux situations que La Croix a pu vérifier, l’évêque de Toulon a procédé à des ordinations contre l’avis de ses proches collaborateurs. « Si vous dites à l’évêque qu’un séminariste est immature, il n’en tient pas compte, explique une source à Toulon. Il veut toujours plus de prêtres. » 🡵.
A titre d’exemple, le rapport la visite canonique menée auprès de la fraternité Eucharistein indique : « Certains prêtres (tous ordonnés par Mgr Rey, NDLR) ont eu une formation insuffisante en vue de l’ordination ou un discernement peu approfondi (et même une fois un manque de conditions suffisantes pour être ordonné) » 🡵.
Dysfonctionnements dans la gestion économique et financière du diocèse
C’est également un reproche à son égard que Mgr Rey met en avant au moment de sa démission 🡵. Selon le journal Le Monde : « A ces problématiques s’ajoutait celle de la mauvaise gestion financière, le diocèse étant en déficit structurel. Avec pour conséquence des décisions compliquées, comme celle de quitter la mutuelle commune à tous les diocèses, « jugée trop chère », selon une source proche du dossier, et remplacée par un « système qui ne marche pas », ajoute cette personne. Ou encore le traitement de base des prêtres qui n’a pas été augmenté depuis un certain temps » 🡵.
Promotion excessive des exorcismes et guérisons
Ce reproche est souvent présent de manière plus ou moins explicite car personne ne peut reprocher à un évêque d’avoir un prêtre exorciste (il y en a un dans tous les diocèses). Mais à Frejus-Toulon, le diocèse a eu jusqu’à huit exorcistes 🡵, sans compter les nombreux exorcistes plus ou moins déclarés qui pratiquent dans de nombreuses communautés accueillies par Mgr Rey.
Comme le dit le Code de Droit canonique §1673 : « L’exorcisme vise à expulser les démons ou à libérer de l’emprise démoniaque et cela par l’autorité spirituelle que Jésus a confiée à son Église. Très différent est le cas des maladies, surtout psychiques, dont le soin relève de la science médicale ». Soeur Anne Lécu faisait remarquer à ce propos qu’il ne faut pas « risquer d‘assigner une influence démoniaque à ce qui est le plus souvent une souffrance complexe, liée à un contexte familial, social, personnel » 🡵. C’est précisément sur ce point que portent des critiques, qui visent notamment des communautés accueillies par Mgr Rey.
De la même manière, les pratiques de guérison sont diffusées plus qu’ailleurs dans le diocèse de Mgr Rey. Pour se faire une idée de ce dont il est question, on peut par exemple consulter la vidéo d’une « Soirée Miracles & Guérisons », organisée par l’Association Internationale des Ministères de Guérison (AIMG) durant laquelle Mgr Rey est intervenu (à 21:06). A 39:23, voici un exemple de guérison :
Nous allons prendre un bon moment pour prier pour les malades, parce que Dieu est celui qui guérit.
Et d’ailleurs en ce moment, il y a une personne qui est entrain de nous regarder qui a comme des décharges d’électricité sur la nuque. Je pense que c’est dû à un accident. J’ai une bonne nouvelle : Dieu est à l’œuvre dès maintenant. Il n’attend pas la fin de la soirée pour guérir les malades. Donc là où tu es, dans le nom de Jésus, je commande à tout esprit de maladie de quitter vos corps maintenant. Ce problème d’électricité qui donne des décharges, des douleurs à la nuque, dans le nom de Jésus, je commande à ces douleurs de quitter, au nom de Jésus.
Je vois également une personne qui je pense vient de l’Afrique. Je ne suis pas sûr que c’est du Cameroun, mais dans tous les cas je vois quelqu’un de couleur qui a des problèmes importants au niveau des reins ; le système urinaire est comme, il y a une infection au niveau du système urinaire. Et en cet instant, ni par force, ni par puissance, mais par ce nom de Jésus, par la puissance du saint Esprit, je commande à ces infections urinaires de quitter vos corps, au nom de Jésus.
— Vidéo de l’Association Internationale des Ministères de Guérison, à 39:23
On peut citer à titre d’exemple la Chambre de Guérison, un accueil que l’on peut solliciter dans le cadre de la Fraternité Maison de l’Esprit Saint fondée par le père Antoine Coehlo. La communauté a finalement été dissoute après le départ du père pour épouser une femme prétendant être « l’incarnation de l’Esprit Saint ».
Quelques affaires médiatisées
Des prêtres « problématiques », il y en a dans tous les diocèses. Ce n’est donc pas d’abord de cela dont il sera question ici. Les affaires citées ci-dessous, outre leur gravité, montrent également des défaillances institutionnelles importantes et des erreurs parfois difficilement excusables de la part de Mgr Rey.
- Père Nicolas Buttet et la fraternité Eucharistein une affaire qui synthétise à elle seule plusieurs reproches évoqués ci-dessus : l’accueil dans le diocèse et la reconnaissance canonique de communautés aux dérives sectaires, ainsi que le manque de discernement au sujet des séminaristes (Didier Berthod en sera un exemple flagrant)… quand ils l’ont été, ce qui n’a pas été le cas de Nicolas Buttet, ordonné par Mgr Rey sans être passé par le séminaire.
- Le chapitre de Saint-Rémi Mgr Rey autorise officiellement deux prêtres de son diocèse, Frédéric et Sébastien Goupil, à rejoindre l’« abbaye territoriale Saint-Michel-Archange de Sozan », qui s’avère être aujourd’hui un établissement hospitalier neuropsychiatrique… le tout avec l’accord de Monseigneur « Maximilien de Sozan, prince-abbé nullius de l’abbaye territoriale Saint-Michel-Archange de Sozanlieu »… qui semble ne pas exister.
- Père Antoine Coehlo Ancien des légionnaires du Christ, il rejoint Virginie, la mystique controversée qui a fondé l’« Alliance des cœurs unis ». Il est ensuite accueilli dans le diocèse de Fréjus-Toulon, se forme à l’exercice des charismes et à la prière de guérison au sein de la communauté Cor et Lumen Christi. Fort de cette expérience et avec le soutien de Mgr Rey, il fonde ensuite la Fraternité Maison de l’Esprit Saint qui pratique notamment prophéties et guérisons à la demande. Finalement, il quitte le diocèse après avoir reconnu et confirmé son intention d’épouser et de fonder une famille avec une femme de nationalité espagnole qu’il affirme être « l’incarnation » de l’Esprit Saint.
- Le père Henri Suso En 2012, un tribunal canonique condamne Henri Suso. Il a (entre autres) interdiction de s’approcher de jeunes de moins de 25 ans, de l’un et l’autre sexe, pendant dix ans. En 2016, Mgr Rey nomme Henri Suso aumônier d’un centre pénitentiaire qui compte de nombreux détenus de moins de 25 ans, ce qui est pourtant incompatible avec sa sanction canonique. Mais comme la sanction n’est pas publique, ni l’administration pénitentiaire, ni les victimes ne viendront se plaindre.
L’enquête de Timothée de Rauglaudre
En 2023, Timothée de Rauglaudre publie dans Les Jours une série de 12 articles qui résument l’ensemble de ce qui peut être reproché à Mgr Rey, bien au-delà des seuls griefs qui ont pu être faits par Rome à l’évêque de Fréjus-Toulon.
- Épisode n°1 : Mgr Rey, l’évêque dans le viseur du Vatican
- Épisode n°2 : Mgr Rey, le start-uppeur de l’évangélisation
- Épisode n°3 : Au diocèse, dérives en open Var
- Épisode n°4 : Le saint patron des patrons
- Épisode n°5 : Les pauvres en Var et contre tous
- Épisode n°6 : Chez Mgr Rey, on va à contre-Coran
- Épisode n°7 : Mgr Rey fait une croix sur l’islam
- Épisode n°8 : Eucharistein, une créature sous emprise
- Épisode n°9 : Tu seras viril, mon fils
- Épisode n°10 : Mgr Rey remet les homos au placard
- Épisode n°11 : Mgr Rey, onction à l’extrême
- Épisode n°12 : Le diocèse de Fréjus-Toulon à l’heure du grand ménage