Réaction de Véronique Le Goaziou lors du colloque de la CRR
Résumé
- Ça parle beaucoup ici. Ça parle bien. Les mots sont justes. Les concepts sont élevés et vous avez dans cette salle aussi des personnes qui vous disent : « Mais moi j’attends juste une réponse à un mail et j’aimerais que la réponse ne vienne pas dans huit mois ». « J’attends juste de savoir pourquoi cet appel à témoignages [qui figure sur le site n’est pas diffusé ailleurs]. Et pourquoi on ne me répond pas ». Donc vous opposez, excusez-moi, je fais exprès de binariser, mais on a parfois l’impression si je me fais la porte parole des personnes victimes, je prends juste ce rôle trois secondes, que vous leur opposez des chantiers d’une réflexivité, d’une complexité inouies, à des choses qui sont d’une simplicité mais affligeante presque.
- Ouvrez les portes, ouvrez les fenêtres, faites venir des gens qui savent vous regarder et qui pourront vous dire : C’est pas ce que vous dites qui va faire avancer les choses — bien sûr que c’est important — c’est ce que vous faites, la façon dont vous vous y prenez, la façon dont vous agissez, autrement dit votre impensé.
- Je pense que ce qui va nous faire avancer, c’est l’évolution du corps social aussi. Beaucoup des personnes victimes que j’ai eu en entretien m’ont dit mais j’en ai parlé. La majorité des personnes victimes parlent de ce qu’elles ont subi, au moins à un membre de leur entourage. Entre soixante et soixante dix pourcent d’entre elles. Quasiment toutes nous ont dit : les membres de mon entourage n’ont pas su quoi faire, n’ont pas su quoi dire.
Intervention
Je suis frappée, notamment lorsque les personnes victimes s’expriment — il y en a beaucoup dans la salle — de l’importance de ce qui apparemment sont des détails et des petites choses. On parle de date, on parle d’un site internet, on parle de mails auxquels il n’est pas répondu. On parle de lieux. On ne parle pas de grandes choses. En fait, on parle de personnes qui attendent des choses extrêmement concrètes, une réponse par exemple à un mail qu’on envoie. C’est pas compliqué, ça ! On n’est pas dans des grands débats, on est dans une dans une demande de choses. Monsieur X nous dit : j’aimerais avoir un deuxième ou un troisième appel à témoignages et surtout que l’appel à témoignages ne soit pas que sur un site. On est sur des choses d’une simplicité extraordinaire, au fond, dans les attentes et les demandes des victimes. On n’est pas dans leur demande, apparemment en tout cas, dans une attente de grands débats. Et je me dis, et il y a pas d’ailleurs que chez vous, mais comment se fait-il qu’on ait toujours beaucoup de mal à répondre à des choses aussi simples ? C’est souvent les choses, les demandes extrêmement simple comme ça. Vous même, Madame, c’est pas vous le disiez, les premiers mails que vous avez reçu, j’ai pas envie d’y répondre. Et pourtant c’est là qu’on vous attend. C’est sur ces petites choses qu’on vous attend. Beaucoup de personnes victimes dans les entretiens me disait : Je ne supportais pas lorsque mon nom était écorché. C’est rien ! Et en fait c’est tout. Ces petites choses, ces petits détails qui vous paraissent tellement minimes, tellement mineurs qu’on n’y songe même plus parce qu’on est parti dans des grands débats et une grande réflexivité dont vous avez l’habitude. Ça parle beaucoup ici. Ça parle bien. Les mots sont justes. Les concepts sont élevés et vous avez dans cette salle aussi des personnes qui vous disent : Mais moi j’attends juste une réponse à un mail et j’aimerais que la réponse ne vienne pas dans huit mois. J’attends juste de savoir pourquoi cet appel à témoignages ne figure pas sur ce site mais pourrait figurer ailleurs. Et pourquoi on ne me répond pas. Donc vous opposez, excusez-moi, je fais exprès de binariser, mais on a parfois l’impression si je me fais la porte parole des personnes victimes, je prends juste ce rôle trois secondes, que vous leur opposez des chantiers d’une réflexivité, d’une complexité inouies, à des choses qui sont d’une simplicité mais affligeante presque. Et c’est là qu’elles attendent des choses.
Deuxième chose, deuxième commentaire, quand Monsieur Laloux, vous dites : « au commencement était le verbe ». Oui, au commencement, sont aussi les gestes, les pratiques, les corps, le faire. Et la suite, ça va être quoi de toute façon pour ce débat que nous avons aujourd’hui, ça va être le travail des congrégations, des communautés et de l’Église, indépendamment de ce que deviendront la CRR et L’inirr. Et là, vous allez avoir besoin — bien sûr, je prêche pour la chapelle — de gens extérieurs, des gens qui viennent regarder ce que vous êtes. Non, pas ce que vous dites, parce que vous savez dire beaucoup de choses. Vous parlez vraiment très, très bien. Vous maîtrisez vos concepts. Vous maîtrisez votre parole et vous êtes dans une immense réflexivité de vous-même. Par contre, je suis pas sûr que ce soit le verbe toujours qui vous trompe. Ce sont vos pratiques. Ce sont votre faire et je vous invite à faire venir dans vos mondes des gens qui ont l’habitude de venir étudier les mondes : des ethnologues. Ça paraît complètement incongru ce que je dis : les ethnologues dans l’Eglise. Mais oui, ouvrez les portes, ouvrez les fenêtres, faites venir des gens qui savent vous regarder et qui pourront vous dire : C’est pas ce que vous dites qui va faire avancer les choses — bien sûr que c’est important — c’est ce que vous faites, la façon dont vous vous y prenez, la façon dont vous agissez, autrement dit votre impensé.
Et troisième commentaire, je pense que ce qui va nous faire avancer, c’est l’évolution du corps social aussi. Beaucoup des personnes victimes que j’ai eu en entretien m’ont dit mais j’en ai parlé. La majorité des personnes victimes parlent de ce qu’elles ont subi, au moins à un membre de leur entourage. Entre soixante et soixante dix pourcent d’entre elles. Quasiment toutes nous ont dit : les membres de mon entourage n’ont pas su quoi faire, n’ont pas su quoi dire. Le corps social va bouger de ce point de vue là, c’est à dire que — j’espère et nous travaillons pour avec une journée de ce type là, — j’espère que peu à peu nos entourages vont pouvoir prendre la parole, qu’on leur qu’on leur donne, qu’on leur confie pour en faire quelque chose. Donc par en bas, par les victimes, et par en haut, par l’évolution du corps social, alors je pense effectivement que des chemins d’avenir s’ouvrent.
— Réaction de Véronique Le Goaziou, sociologue (vidéo à 6h32)