« Taisez-vous face au mal » : nouvelles réactions à homélie du père Éric Jacquinet

Le Comité de la Jupe dénonce un dérapage clérical insensé

Quoi qu’il en soit des substrats locaux qui ont pu inciter à ce dérapage, un prêtre de l’Emmanuel a récemment tenu des propos qui montrent à l’église Saint-Nizier de Lyon, et bien au-delà, comment le sentiment de toute puissance peut faire perdre à un clerc le sens de sa mission.

Instrumentalisant la fête mariale du 8 décembre, ce prêtre a commis la triple faute d’insulter le peuple de Dieu, d’exercer un impressionnant abus d’autorité, et de détourner honteusement une figure biblique majeure : celle de Marie. En bref, il se livre, en une seule homélie, à toutes les dérives que dénonce le pape François : l’hypercléricalisme et la manipulation.

Pour commencer, quelle outrecuidance faut-il développer pour vouloir instaurer avec ses paroissiens un rapport qui l’autorise à les insulter et les sommer de se taire ? Reprenons ses propres termes : « Si vous militez pour influencer l’évêque… vous êtes une “engeance de vipère” ». « Langues de vipères, taisez-vous une bonne fois pour toutes », « L’heure est au silence », « Taisons-nous face au mal », « Maintenant ça suffit, taisez-vous… sinon vous serez jetés au feu sous peu ». Un « taisez-vous » martelé sept fois.

Mais l’abus d’autorité cléricale ne lui suffit pas. Il convoque la mère de Dieu dans une représentation stupéfiante : il faut se mettre « à l’école de Marie ». Soit, mais comment la décrit-il ? Il oublie celle qui a proclamé le Magnificat, texte du Nouveau Testament le plus long mis dans la bouche d’une femme, pour affirmer contre toute évidence exégétique, que « Marie est entrée dans le silence ». Et de conclure : « Voilà le chemin du salut… taisons-nous face au mal… à l’école de Marie l’humble servante… ». Et ce n’est pas se taire que d’exprimer le programme de son fils en faveur des humiliés et des opprimés. D’ailleurs face au mal, Marie annonce que ce n’est pas la soumission qui va prévaloir puisque son fils va « jete[r] les puissants à bas de leurs trônes » (Lc1, 51-52). Comme le montre le livre Marie telle que vous ne l’avez jamais vue qui vient de paraître chez Salvator, Marie, loin d’être silencieuse et soumise, dénonce le mal, s’active pour engager son fils sur le chemin de la Révélation et, aidée par l’Esprit, non seulement accepte de porter le Verbe qui vient nous sauver mais s’en fait la disciple.

Ce prêtre préfère sans doute oublier que dans ce texte du Magnificat, Marie proclame que Dieu « a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse », ceux peut-être qui disent aux autres de se taire ?…

Enfin ce clerc (de « kléros », cet être « tiré au sort », mis à part, selon l’étymologie du terme) a-t-il totalement oublié ce pour quoi, pour qui, il se trouve en train de s’exprimer ? Est-ce dans l’invective, l’abus de pouvoir, qu’il pense représenter le Christ venu parmi nous pour nous assurer sa miséricorde et la promesse de salut ? C’est ainsi tout le sens de la prêtrise qui est réinterrogé par la violence des paroles adressées à celles et ceux que cet individu est censé guider. Éric Jacquinet, pas davantage que ses collègues, n’est un « alter Christus » ! Il ne possède rien qui lui confère le droit de malmener ses frères et sœurs en Christ. Au contraire, il devrait se souvenir que Jésus n’a jamais nommé de prêtres puisqu’il est venu abolir toute hiérarchie entre les humains. Souvenons-nous : nous sommes toutes et tous fils et filles d’un même Père, ainsi que Jésus l’indique à la Magdaléenne au moment de la Résurrection en Jean 20,17, selon ce verset fameux : « va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père qui est votre Père ».

Par conséquent, au lieu de se comporter en garde-chiourme, celui qui se prétend capable de conduire celles et ceux qui lui sont confiés, devrait s’efforcer de maîtriser ses propos, et aussi s’il se peut, d’honorer sa mission d’enseignement en ne trahissant pas la Bonne Nouvelle qu’il doit transmettre. Sinon, comment peut-il espérer porter les charges conférées par son ordination, dans le respect de la vocation de service à laquelle il s’est engagé. Et enfin… n’a-t-il pas été nommé récemment dans cette paroisse pour « œuvrer à l’apaisement » ? Curieuse méthode !

Groupe local 69 du Comité de la Jupe : Sylvaine Landrivon, Gabrielle Fidelin, Grégoire Soual-Dubois

Cette tribune a été publiée dans le Golias Hebdo n°845, le jeudi 19 décembre 2024.

Comité de la jupe

Message du père Eric Jacquinet, le dimanche suivant (15/12/2024)

« Dimanche dernier, des membres de notre assemblée ont été heurtés par ma prédication, jugée par certains inacceptable. Je le regrette.

Quelques uns de mes propos, diffusés sur les réseaux sociaux, ont provoqué de nombreuses réactions, parfois très violentes. Mes paroles, coupées et retirées de leur contexte, laissaient sous-entendre qu’il faudrait se taire face à des abus. Vous le savez très bien, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

Je redis clairement aujourd’hui qu’en aucun cas mes propos ne venaient cautionner le silence face aux abus dans l’Eglise.

Ayant accompagné suffisamment de victimes d’abus ces dernières années, je sais la nécessité impérieuse de la dénonciation de toute forme d’abus auprès des cellules d’écoute et des instances judiciaires.

Tout abus doit pouvoir être dénoncé, par la personne elle-même en premier, si elle le peut, ou par des témoins, si elle ne le peut pas. On ne peut donc jamais imposer le silence sur un abus.

En ce concerne notre paroisse, il faut rappeler que, suite aux tensions des années passées, une enquête avait été ouverte, à l’automne 2023, précisément pour que tous ceux qui souhaitaient s’exprimer puissent le faire.

Suite à la décision prise par notre archevêque, début juin dernier, des paroissiens ont fortement réagi.

Il est temps maintenant, 6 mois plus tard, de retrouver la paix. Et pour cela, il est bon d’entamer la phase de relecture souhaitée par notre archevêque et par tous, et dans laquelle chacun pourra évidemment s’exprimer. Elle sera mise en place dès que possible, par des personnes compétentes et indépendantes. Cette relecture doit avoir lieu, pour guérir les blessures de ce conflit et rechercher l’unité, dans l’amour et la vérité.

C’était le sens de la prédication de dimanche dernier : pour que la relecture soit possible et féconde, il faut maintenant arrêter de médire, de critiquer, de condamner et regarder ensemble vers le Christ et la mission. En effet cette relecture ne pourra avoir lieu et se faire dans de bonnes conditions que si les accusations et les médisances cessent. Car, pour réussir, elle doit être vécue dans un climat de grand respect et de bienveillance fraternelle les uns vis-à-vis des autres, comme l’Evangile du Christ nous demande instamment.

Et rappelons-nous ce que dit le livre de l’Ecclésiastique : « il y a un temps pour se taire et un temps pour parler. » (Ec 3, 7)

J’ai confiance que notre recherche commune et humble de la vérité dans l’amour obtiendra de l’Esprit Saint la paix à notre communauté et à chacun de nous.

Nous pourrons ensemble poursuivre la belle mission que nous avons reçue du Seigneur, dans la joie. »

Père Eric Jacquinet

Père Eric Jacquinet, paroisse saint Nizier

Homélie également disponible en intégralité sur Youtube.

Réaction de @ClemBarre suite au message du 15/12/2024

Note : quelques typos ont été corrigées pour faciliter la lecture

On va quand même redire un petit mot de cette histoire, parce que la réponse est quand même un petit chef d’œuvre.

Le problème n’est pas ce que le Père Jacquinet a voulu dire ou non, le problème c’est ce qu’il a dit, les mots qui ont été prononcés puis mis en ligne, et donc donnés pour être entendus indépendamment de tout contexte. Car l’homélie n’a pas été filmée en secret puis postée anonymement, mais postée et assumée sur la chaîne youtube de la paroisse pour que tout le monde puisse la voir et l’entendre quel que soit son degré de connaissance des affaires internes de la paroisse. Et donc qu’elle soit reçue et comprise pour elle-même.

Car après tout, et cela aurait été légitime, la paroisse aurait pu faire le choix de couper cette dernière partie en disant que cela ne concerne que la vie interne et n’a pas vocation à être entendu par tout le monde. Cette mise au point aurait aussi pu être dite à la fin de la messe au moment des annonces, de manière un peu plus apaisée, pour ne pas confondre l’homélie qui est une caisse de résonance de la parole de Dieu et le gouvernement des affaires de la paroisse. Parce qu’elle a été postée en ligne telle quelle par la paroisse St Nizier cette parole a été sortie de son contexte pour être donnée à tous, et ce reproche ne peut être fait aux réseaux sociaux. C’est vous qui l’avez décontextualisée.

Parmi les paroles qui ont été dites : « Voilà frères et sœurs le chemin du salut. Si nous voulons accueillir le Christ pour nous-mêmes, taisons-nous face au mal. » Cette phrase a été dite telle quelle. Ce n’est pas les réseaux sociaux qui l’ont tronquée ou inventée. Dites-moi dans quel contexte cette phrase est vraie ? A quel moment pouvons-nous dire que le silence face au mal est une condition nécessaire pour accueillir le Christ et être sauvé ? Quel article du catéchisme ? quel verset biblique ? quel Père de l’Eglise ?

Bien sûr cette phrase n’a pas été dite en parlant des abus, mais comment croyez-vous que l’ont reçue ceux qui, dans l’assemblée ou sur internet, ont été victimes ? Cette phrase est non seulement fausse en plus d’être d’une grande indélicatesse et d’une grande violence. Et cela n’est pas une invention des méchants réseaux sociaux ou d’un des camp qui se déchire dans cette paroisse. Qu’Eric n’ait pas voulu dire ça, je suis volontiers prêt à le croire. Le problème c’est qu’il l’a dit. Et qu’à partir du moment où cette parole a été mise en ligne, il était normal et nécessaire de la dénoncer.

Il est aussi normal de dénoncer l’usage qu’il fait de la figure de la Vierge Marie utilisée comme argument d’autorité incontestable : « la preuve que j’ai raison, Marie pense comme moi ». Ce procédé, dans l’Emmanuel comme ailleurs, a été maintes fois utilisé pour commettre ou couvrir des abus. Le Père Jacquinet le connaît donc puisqu’il a accompagné de nombreuses victimes mais y recourt quand même comme un procédé normal de gouvernance. Comme si ce n’était pas problématique en soi de masquer sa propre autorité derrière celle du Christ ou de la Vierge Marie. Encore une fois, pas un redécoupage, pas une sortie du contexte, juste des faits.

Enfin, et là on est juste dans la malhonnêteté et le gaslighting, vous n’arriverez pas à convaincre les gens que l’homélie du 8/12 et la mise au point du 15/12 disent la même chose. La fin de l’homélie du 8 dit (je reformule) « Langues de vipère, taisez vous face au mal comme l’a fait la Vierge Marie où bien vous irez en enfer » d’une part, Tandis que le début de l’homélie du 15 dis (je reformule encore) « Après des mois de conflits il nous faut essayer de nous réconcilier et la première étape pour cela est de ne pas continuer à jeter de l’huile sur le feu donc soyons prudent dans nos paroles ». Si vous n’êtes pas capable de voir que ces deux messages n’ont rien à voir, alors je ne suis pas sûr que la conversation soit possible. Mais j’imagine qu’il est plus facile d’accuser les critiques que de se remettre en question et de demander pardon.

En tout cas on a : injonction au silence, inversion accusatoire, gaslighting, appropriation de l’autorité divine pour soi… c’est fou à quel point vous maîtrisez bien tous les codes des abus spis. Mais je suppose que ça, c’est à force d’accompagner des victimes.

@ClemBarre