Publication des conclusions de l'enquête sur la Fraternité de Marie Reine Immaculée
Résumé
Les conclusions de l’enquête sur la Fraternité de Marie Reine Immaculée étrillent une communauté bâtie de travers dès l’origine
Une fausse mystique
Cette étude permet de conclure raisonnablement et objectivement, que Clémence Ledoux non seulement n’est pas une mystique – ses textes nous le montrent – mais aussi qu’elle est – vu sa conduite – une fausse mystique
La doctrine de « l’amour d’amitié » du père Marie-Dominique Philippe, traduite en « communion de cœur »
Au sein de la Fraternité, il était enseigné la doctrine de « l’amour d’amitié » du père Marie-Dominique Philippe, traduite en « communion de cœur ». C’était, disait-on, le « trésor », le charisme de la Fraternité. Tous en étaient marqués, non parce que tous y participaient, mais parce que cette doctrine a imprégné la vie de la communauté. Devenir amoureux d’un frère ou d’une sœur, pourtant engagés dans le célibat, était présenté comme un don venant de Dieu. Selon cet enseignement, l’homme et la femme auraient ainsi expérimenté l’amour de Jésus pour Marie ou de Marie pour Jean, pourtant d’un tout autre ordre. Ces liens amoureux particuliers étaient encouragés car ils étaient, disait-on, le signe d’un appel spécial de Dieu qui est libre de donner ce qu’il veut à qui il veut, même si cela est au-dessus des lois communes : ils étaient présentés comme le sommet de la vie consacrée. Les initiés devaient en garder le secret, car les autres, particulièrement les gens d’Église, « ne pouvaient comprendre ».
[L’enquête] révèle un passé marqué par de graves dysfonctionnements, principalement à partir de la fin des années 1980, après l’arrivée d’un frère de Saint-Jean, le père Marie-Pierre Faye – dont le nom n’est pas publiquement divulgué dans le rapport. Élu modérateur général en 1989, cet ancien proche du fondateur de la communauté Saint-Jean, Marie-Dominique Philippe (1912-2006) – a notamment introduit la doctrine, jugée problématique par le rapport, de la « communion de cœur » au sein de cette communauté mixte. Cette dernière encourageait des relations affectives et sexuelles entre frères et sœurs pourtant engagés dans le célibat consacré, au nom d’une prétendue expérience mystique comparable à l’amour entre Jésus et Marie. « On nous disait que c’était un don spécial de Dieu, que les autres ne pouvaient pas comprendre », témoigne dans l’enquête une ancienne sœur.
— La Croix
La Fraternité à l’état de l’art dans les dérives
Voici les titres des pages 55 et suivantes.
- Le culte de la personnalité
- Le culte de la fondatrice
- Le culte du responsable de la communauté
- La garde rapprochée
- La supériorité de la Fraternité
- « Vous ne comprendrez jamais rien à la Fraternité » : voilà ce qui a été dit plusieurs fois à l’un ou l’autre envoyé de l’archevêque de Lyon venu pour se rendre compte de ce qui se vivait à la Fraternité.
- Particularité du sacerdoce vécu à Bois-le-Ro
- Fermeture sur soi
- Méfiance vis-à-vis de l’Église
- La coupure avec l’extérieur
- Le contrôle sur le choix des confesseurs
- Une formation carencée
- Un vocabulaire propre au groupe ou à une doctrine particulière
- La santé physique et la santé psychologique
- La manipulation
- Le recrutement vocationnel
- La confusion des fors externe et interne
- Le secret imposé comme règle absolue
- L’exercice de l’autorité des responsables et la soumission des membres
- Les élections
- L’obéissance sans faille
- La moindre critique est vite sanctionnée - les déplacements sont fréquents
- Faire en sorte que quelqu’un parte de lui-même
- Tout questionnement est interdit
- La sortie
- L’incohérence de la vie
- La vie « extraordinaire » des chefs (régime d’exception)
- L’argent
- Les mœurs
« Quelques affaires de violences sexuelles ont été dénoncées »
Juste avant de conclure le chapitre 2 de la deuxième partie, est écrit page 61 : « Par ailleurs, quelques affaires de violences sexuelles ont été dénoncées. » Avec cette pharase courte et sans mot excessif, on comprend que le rapport de souhaite pas s’étendre sur le sujet…
Conclusion de la première partie
Clémence Ledoux (1888-1966) est à l’origine de la famille des Messagers, mouvement qui s’est développé dans le monde pour propager le culte de Marie Reine Immaculée. Dès son plus jeune âge, elle a déclaré recevoir des visites du Ciel, et la mission à laquelle elle a consacré presque toute sa vie lui aurait été confiée par la Vierge elle-même.
Beaucoup de personnes ont été touchées dans leur cœur par la personnalité de Clémence Ledoux, par ses paroles et par sa piété simple qui se voulait incarnée dans la vie quotidienne. Les cérémonies d’intronisation de la Vierge Marie dans les foyers en sont la manifestation la plus rayonnante. Clémence Ledoux a ainsi rassemblé un groupe de fidèles qui ont gardé à son égard une vénération particulière.
Cependant certains de ses comportements, notamment sa manière d’agir envers l’Église, incitent à un examen plus approfondi de sa personnalité, au-delà de l’image qu’elle a donnée d’elle-même.
En faisant référence, au long de cette enquête, au lien entre la foi et les œuvres comme le fait saint Jacques (Jc 2, 17-18), l’enquêteur relève un trop grand écart entre ce que Clémence Ledoux dit recevoir du Ciel et sa manière de vivre.
Ses paroles, qui viendraient du Ciel, sont très pauvres spirituellement. Qu’elle n’ait pas fait d’études n’est pas la question, car Dieu sait faire parler les simples et leur permettre de comprendre les choses divines. La raison de la pauvreté de la spiritualité de Clémence Ledoux est claire : elle est centrée sur elle-même, elle ne cesse de raconter les compliments que le Seigneur lui fait. Elle ne cherche pas Dieu. L’inflation du moi n’est pas le signe d’une vraie mystique.
S’il fallait mettre des notes de conduite à Clémence Ledoux quant à sa manière de vivre, elle aurait beaucoup de notes éliminatoires. Sa recherche de l’argent en utilisant la volonté de Dieu, les manipulations de la vérité au service de Marie Reine Immaculée, et bien d’autres exemples qui ont été relevés, sont déjà des preuves que « ce qu’elle ressent n’a rien de divin », comme le dit le cardinal Liénart. Ce sont là déjà des notes éliminatoires. La grande affaire de la désobéissance à son évêque est décisive car spectaculaire et obligeant l’Église à donner un avis. Mais, en fait, cette désobéissance est dans la continuité de sa vie. Lorsque son directeur spirituel, le père Castelain est mort, elle n’a plus eu de prêtre pour l’aider à chercher Dieu, à recevoir la vie de Dieu. Elle se suffisait à elle-même.
Cette étude permet de conclure raisonnablement et objectivement, que Clémence Ledoux non seulement n’est pas une mystique – ses textes nous le montrent – mais aussi qu’elle est – vu sa conduite – une fausse mystique.
Il faut alors considérer que les conversions profondes, réelles et sincères dont elle a pu être l’origine et dont de nombreux témoins nous ont fait part sont à attribuer à l’intercession mariale et à la grâce du Seigneur. On pense à ces mots de saint Paul : « Mais ce trésor, nous le portons comme dans des vases d’argile » (2 Co 4, 7).
Conclusion de la seconde partie
Nous avons vu que Clémence Ledoux s’est éteinte en 1966 entourée de quelques proches fidèles. Cette petite communauté sous la direction de Claude M., fils spirituel de Clémence Ledoux, anime la famille des Messagers de Marie dont les membres, présents par le monde, ont intronisé Marie ou signé le pacte d’alliance. Les témoins de cette époque à Bois-leRoi décrivent une ambiance très familiale partagée entre une vie de prière et les tâches nécessaires à l’entretien des lieux et l’accueil des visiteurs.
Au centre de l’histoire de la Fraternité qui suivit, une personne domine : prédicateur charismatique, chaleureux, il attira beaucoup de jeunes à Bois-le-Roi qui, pour certains, s’engagèrent dans cette Fraternité déjà rayonnante. De nombreux témoins relatent les moments de grâce qu’ils ont reçus au sein de la Fraternité : la prière fraternelle, la beauté de la liturgie, l’apostolat dans les fondations…
Ce responsable connaissait Clémence Ledoux depuis son enfance car ses parents l’amenaient à Bois-le-Roi. Il connut ainsi sa spiritualité mariale. Il était également un des cinq premiers compagnons du père Marie-Dominique Philippe qui fonda les frères de Saint-Jean ; il connaissait donc bien sa doctrine. Après plusieurs visites à la Fraternité où il prêchait des retraites très suivies, il en devint le modérateur général en 1989. Il parla certes de la Vierge Marie mais il y enseigna aussi la doctrine de « l’amour d’amitié » du père Marie-Dominique Philippe, traduite pour la Fraternité en « communion de cœur ». C’était, disait-il, le « trésor », le charisme de la Fraternité. Devenir amoureux d’un frère ou d’une sœur, pourtant engagés dans le célibat, était présenté comme un don venant de Dieu. Selon cet enseignement, l’homme et la femme auraient ainsi expérimenté l’amour de Jésus pour Marie ou de Marie pour Jean, pourtant d’un tout autre ordre. Ces liens amoureux particuliers étaient encouragés car ils étaient, disaiton, le signe d’un appel spécial de Dieu qui est libre de donner ce qu’il veut à qui il veut, même si cela est au-dessus des lois communes : ils étaient présentés comme le sommet de la vie consacrée. Les initiés devaient en garder le secret, car les autres, particulièrement les gens d’Église, « ne pouvaient comprendre ».
On remarquera, notamment, le culte de la personnalité, la méfiance, voire la coupure vis-à-vis de l’extérieur, la carence de la formation réduite à une parole unique, le rejet de tout questionnement.
En 2011, le cardinal Barbarin nomma un commissaire épiscopal qui entreprit un travail de vérité et de réformes sur les fondements et les pratiques de la Fraternité. Cela entraina des tensions et le départ de nombreux membres. D’autres, prenant en compte cette remise en cause, continuent de faire vivre la Fraternité de Marie Reine Immaculée.
Les conséquences actuelles de cette histoire sont considérables. Ces frères ou ces sœurs entraient pour se donner à Dieu, mais leur vocation a été marquée par cette vision fausse de la communion de cœur.
Communiqué de Mgr Olivier de Germay à l’occasion de la publication des conclusions de l’enquête sur la Fraternité de Marie Reine Immaculée
En tant qu’archevêque de Lyon, je suis l’évêque référent de la Fraternité de Marie Reine Immaculée (FMRI), association publique de fidèles de droit diocésain, composée actuellement d’une vingtaine de membres et basée à Bois-le-Roi, dans le diocèse de Meaux (Seine-et-Marne).
À partir de l’été 2021, quelques mois après mon arrivée à Lyon, j’ai reçu des témoignages d’anciens membres faisant état d’abus de pouvoir, d’abus spirituels et de certaines violences sexuelles, en particulier entre les années 1980 et les années 2010.
Après avoir visité la communauté à Bois-le-Roi au cours de l’été 2022, et avoir recueilli différents avis, j’ai chargé le Père Paul-Dominique Marcovits, op, de mener une enquête. Il s’agissait surtout d’évaluer l’authenticité de la spiritualité – contestée par certains – de la fondatrice, Clémence Ledoux, et de faire la lumière sur ce qui s’est passé depuis sa mort, en 1966, jusqu’à la mise en place d’une nouvelle gouvernance en 2014.
Le Père Paul-Dominique Marcovits m’a rendu ses conclusions le 24 octobre 2024. Ainsi que je m’y étais engagé, je publie ce jour, dans le respect de la loi, les conclusions de l’enquête réalisée de mars 2023 à octobre 2024, à travers le document ci-joint, intitulé : Résumé et conclusions de l’enquête sur Clémence Ledoux et la Fraternité de Marie Reine Immaculée.
L’enquête établit que les révélations mystiques de Clémence Ledoux ne sont pas authentiques. Cela est démontré par une analyse approfondie de ses écrits et de sa vie, mais aussi par la prise en compte des précédents rapports réalisés ces dernières décennies. Il faut préciser en particulier que le faux mysticisme de Clémence Ledoux avait déjà été dénoncé dès 1935 par l’archevêque de Lille, le cardinal Liénart, dans un rapport adressé à la Sacrée Congrégation des Religieux à Rome.
L’enquête, notamment au travers de la centaine de témoignages recueillis ces dix-huit derniers mois, confirme également l’existence de nombreuses dérives dans la doctrine et la gouvernance de la Fraternité pendant la période étudiée. Il apparait que certaines dérives présentes jusque dans les années 2010 sont liées à la mise en place de la « communion de cœur », doctrine dérivée de « l’amour d’amitié » théorisé par le père Marie-Dominique Philippe et qui a imprégné toute la communauté.
Ce jour, 10 décembre 2024, le résumé et les conclusions de l’enquête ont été adressés aux anciens membres avec lesquels l’enquêteur a été en contact. Parmi eux, certains portent encore la blessure de ce qu’ils ont vécu, et c’est avant tout à leur demande que cette enquête a été menée. Ils continueront, si nécessaire, à être accompagnés par la cellule d’écoute et de signalement du diocèse de Lyon.
Ce même jour, je me suis rendu moi-même, accompagné de l’enquêteur, à Bois-le-Roi, pour présenter à la Fraternité actuelle les conclusions de l’enquête et les décisions prises pour la suite.
Dans le but d’accompagner cette communauté, j’ai décidé de nommer, ce 10 décembre 2024, un assistant. Il s’agit de Mgr Jean Legrez, archevêque émérite d’Albi. Sa mission consistera d’une part à aider le modérateur et son conseil, en particulier parce qu’une redéfinition du charisme de la communauté semble nécessaire, et d’autre part à vérifier si les déviances identifiées dans la période étudiée par l’enquête sont totalement résorbées. Il veillera par ailleurs à ce qu’il ne soit plus fait référence à Clémence Ledoux.
S’il s’avérait que la Fraternité de Marie Reine Immaculée ne réunissait pas toutes les conditions garantissant sa pérennité, Mgr Legrez serait alors chargé de l’accompagner vers la dissolution, avec un point d’attention spécial pour la réinsertion des membres actuels.
Malgré les difficultés rencontrées par la Fraternité de Marie Reine Immaculée et dont témoigne cette enquête, il est important de souligner que beaucoup de bien a été fait et que de nombreuses grâces ont été reçues dans et à travers cette communauté. De nombreux Messagers en témoignent.
À Lyon, le 10 décembre 2024
+ Olivier de Germay
Archevêque de LyonPièce jointe ci-dessous : Résumé et conclusions de l’enquête sur Clémence Ledoux et la Fraternité de Marie Reine Immaculée, du 10 décembre 2024.
Chronologie établie par La Croix
- 1966. Mort de Clémence Ledoux.
- 1986. Reconnaissance des statuts de la Fraternité de Marie Reine Immaculée (FMRI) par l’évêque de Meaux.
- 1987. Le père Marie-Pierre Faye rejoint la FMRI dont il devient modérateur général deux ans plus tard.
- 1995. Elle devient une association publique de fidèles.
- 1996. Le père Marie-Pierre Faye se retire de la modération générale pour devenir ermite, tout en restant membre.
- 2009. À sa demande, la FMRI est accueillie par l’archevêque de Lyon ad experimentum.
- Février 2011. Nomination d’un commissaire épiscopal, dont le travail de refondation conduira à la scission d’une partie des membres, derrière Marie-Pierre Faye, et au départ de nombreux autres.
- 2013. Rapport de Joachim Bouflet décrivant les faits qui ont amené le cardinal Liénart à prendre des sanctions contre Clémence Ledoux en 1935.
BONUS quand les rédacteurs du rapport partent en vrille
Face à la situation baroque à laquelle les rédacteurs du rapport sont confrontés, plusieurs phrases apportent un peu de légèreté à une situation portant tragique.
- « Il est difficile de définir le charisme de la Fraternité qui est née autour d’une exreligieuse, en contact quotidien avec le Ciel, mais qui a été renvoyée de la vie religieuse par son évêque pour désobéissance, qui a été soutenue par Claude M. lui-même désobéissant à son évêque et renvoyé du séminaire. » p55
- « Le culte de Clémence Ledoux était orchestré depuis son vivant. Ses reliques ont été préparées avec son consentement, du moins avec l’avis donné par Jésus : « Jésus m’a dit de ne plus jeter mes cheveux. » » p55
- « Le résultat de cette supériorité fut une fermeture de la Fraternité sur elle-même, car elle est probablement la seule à porter la vraie lumière dans un monde qui ne la comprend pas. » p56
- « Dans la Fraternité de Marie Reine Immaculée, il était recommandé de se confesser chaque semaine à un prêtre de la Fraternité. Parfois, il n’y avait qu’un seul prêtre qui était aussi le supérieur. La raison en est probablement la crainte d’être mal compris. » p57