Discours de clôture et décisions de l'Assemblée plénière d'automne 2024
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Sauf indication contraire, les citations de cet article sont tirées du discours de clôture de l’Assemblée plénière d’automne 2024, prononcé par Mgr Éric de Moulins-Beaufort le 10 novembre 2024.
Les remarques suivantes ne concernent que la partie du discours relative à la thématiques des violences sexuelles, qui n’a pas été le tout de cette assemblée plénière.
A ce dispositif [de formation des évêques] s’ajoute la « visite régulière » mise en place aussi sur la recommandation du même groupe de travail [de la CIASE] : à la demande d’un évêque, un trio comprenant un évêque et deux autres personnes dont une femme, autant que possible, lui rend visite ainsi qu’à une vingtaine de personnes du diocèse, de manière à donner à l’évêque demandeur un écho de son action et de sa manière d’être.
Les évêques pourront donc, à leur demande, recevoir des « échos » de leur action et de leur manière d’être. En constatant que le terme de « recommandation » n’a même pas été retenu, on comprend à quel point les résistances ont dû être importantes, alors même que la visite est à la demande de l’évêque.
Nous avons aussi, toujours répondant à la recommandation des groupes de travail, adopté trois textes importants concernant l’un l’accompagnement spirituel, un autre le rôle des confesseurs, le troisième l’accompagnement du ministère des prêtres. Ces textes avaient fait l’objet d’une proposition précise d’un groupe de travail qui a été présentée aux conseils presbytéraux et travaillée par eux, au cours d’une séance commune des vice-présidents ou secrétaires des conseils presbytéraux. Nous, évêques, avions voulu passer par ces conseils parce qu’il nous paraissait indispensable que les prêtres soient partie prenante des mesures à prendre qui concernent le cœur de leur ministère. L’accompagnement spirituel n’est certes pas le monopole des prêtres, des laïcs y sont formés, des religieuses et des religieux aussi. Le document que nous avons adopté doit être travaillé dans chaque diocèse, dans chaque lieu de retraite spirituelle. Les repères pour les confesseurs appellent aussi une promulgation diocèse par diocèse. Le travail fait sur les thématiques nécessaires dans l’accompagnement des prêtres requiert, lui encore, des décisions locales. Nous en avons pris l’engagement. Ces textes devraient soutenir les prêtres dans leur ministère le plus propre.
Trois textes sont donc proposés sur
A la lecture du texte, on peut comprendre que le texte a été proposé par un groupe de travail, modifié une première fois par les conseils presbytéraux, puis une seconde par les évêques. D’après le communiqué de presse au sujet des votes des évêques, les deux premiers documents seront adaptés dans chaque diocèse avant d’être publiés en 2025. Le troisième document servira de « document de référence ».
Nous poursuivons ainsi le travail entamé à la réception du rapport de la CIASE. Vous savez, frères et sœurs, chers amis, que nous ferons un point d’étape fin mars-début avril au cours d’un rassemblement assez large, ici à Lourdes. Nous ne prétendons pas avoir fini, loin de là. L’écoute et l’accompagnement des personnes victimes d’agression sexuelle de la part d’un prêtre ou d’un ministre de l’Église, de quelque statut qu’il soit, devront être poursuivis au long du temps. De manière progressive, nous faisons ce que nous avons dit, nous répondons aux recommandations qui nous ont été faites. Ici à Lourdes, nous sentons ce que le pape François appelle le « saint peuple de Dieu ». Nous voyons son regard, son attente, son exigence de vérité, de courage, de clarté. Nous progressons et nous continuerons à le faire. Les mesures annoncées, nous les mettons en œuvre, mois après mois. Nous en rendrons compte au printemps, et nous déterminerons ce qui nous restera à faire. Permettez-moi, vous qui m’écoutez ou me lisez, de vous assurer que, dans ce travail, nous, les évêques de France, nous sommes engagés de manière déterminée et nous le sommes ensemble, nous aidant les uns les autres.
En deux mots, nous progressons lentement, bien trop lentement au regard des attentes, mais promis, nous progressons.
- « Nous ne prétendons pas avoir fini, loin de là »
- « Nous progressons et nous continuerons à le faire »
- « Nous déterminerons ce qui nous restera à faire »
En disant cela je sais que vous avez été bouleversés et déstabilisés par les révélations de cet été concernant l’abbé Pierre. Nous l’avons été avec vous nous aussi. Des biographies nombreuses, des films lui ont été consacrés, sans que rien de ces faits ne soit venu au jour. Des personnes nombreuses ont travaillé et vécu avec lui et l’ont observé, sans rien voir et en tout cas, sans rien dire ni faire. Pourtant, les archives conservées au Centre des Archives de l’Église de France montrent bien que son comportement violent à l’égard des femmes avait été connu après son voyage aux États-Unis en 1955 où des témoins avaient alerté. Des mesures avaient été prises, des tentatives de soins et des restrictions de ministère, puis tout cela a fini par être oublié. J’ai voulu que ces archives soient mises à la disposition de la commission historique annoncée par le mouvement Emmaüs et aussi des journalistes afin qu’ils puissent expliquer à nous tous, vous et nous, ce qui a pu permettre une telle amnésie.
Aujourd’hui, et c’est un grand résultat, les personnes victimes peuvent parler, elles sont écoutées et prises au sérieux. Je leur exprime ici ma proximité et ma disponibilité. J’assure aussi au nom des évêques le mouvement Emmaüs de mes encouragements pour le travail de vérité qu’il a entrepris. Notre société française doit conserver ce qu’elle a appris de l’abbé Pierre quant au regard sur les personnes en précarité et la capacité à les recevoir comme des compagnons, des frères et des sœurs de même dignité. Elle doit apprendre à guérir d’une culture qui rend possible les violences faites aux femmes et aussi aux enfants. L’Église est engagée dans ce travail et le poursuit avec détermination, mais il concerne toute la société.
Au sujet de l’abbé Pierre, Mgr Éric de Moulins-Beaufort reprend son argumentation développée depuis cet été : l’Église savait puis a oublié. Une amnésie. Mais c’est de surdité dont il est question ! On sait maintenant que des alertes ont été transmises tout au long de la vie de l’abbé Pierre, jusqu’à sa mort et même après. Par exemple, peu de temps avant sa mort (l’abbé Pierre est décédé en 2007) :
Jusqu’ici, on ne savait pas ce que Mgr Dufaux, évêque en 2005, avait répondu aux Capucins. Mais, le courrier en question, retrouvé dans les archives du diocèse de Grenoble est d’une incroyable froideur. Mgr Dufaux répondait ainsi : « Pour le moment, je ne compte pas donner suite de quelque façon que ce soit. Vous avez signalé à cette dame que l’abbé Pierre était incardiné au diocèse de Grenoble, si elle veut insister sur son problème, elle m’écrira directement et je verrai ce qu’il faut lui répondre à ce moment-là ».
La question du « nettoyage » de certaines archives interroge également, mais ce point est oublié dans ce discours.
Certains sans doute ont appris qu’hier un prêtre avait été condamné à dix-huit ans de prison pour des crimes de pédophilie très graves. Un procès a eu lieu aussi à Orléans il y a quelques mois. Avec tous les évêques ici présents, je pense aux personnes victimes. Ces faits ont eu lieu il y a quelques années, l’instruction a pris du temps ; mais pour elles, pour ces personnes, ces faits ne sont pas du passé, ils sont un présent à porter chaque jour. Le procès a sans doute été pour ces personnes un moment éprouvant. Nous espérons qu’il représentera une étape positive dans leur vie : la société reconnaît ce qu’elles ont subi et le dénonce. Si ces personnes s’adressent au dispositif de reconnaissance et de réparation que nous avons mis en place, l’INIRR, nous espérons que l’accompagnement proposé pourra les aider. Nous prions pour les prêtres condamnés : pour qu’ils puissent recevoir cette condamnation comme une vérité à assumer. Nous prions pour trouver la juste attitude à l’égard de ceux qui nous ont été donnés comme des frères dans le sacerdoce. Nous prions pour les fidèles et pour les diocèses concernés. Nous voulons aussi redire aux prêtres de nos diocèses notre confiance et notre gratitude et aux séminaristes nos encouragements : il est possible et il vaut la peine de consacrer sa vie à servir l’œuvre du Christ pour le bien et la vie de tous.
Je sais que ces faits font apparaître une fois de plus que des responsables ecclésiaux n’ont pas agi comme il aurait fallu, qu’ils sont restés aveugles à des signaux qui nous paraissent rétrospectivement pourtant visibles. Nous travaillons et nous voulons continuer ensemble et avec d’autres pour que de telles cécités ne soient plus possibles, pour que la vigilance de tous soit éveillée. Le Conseil pour la lutte contre la pédophilie et le service national pour la protection des mineurs nous y aident et y veilleront au long des années avec exigence. Notre Conférence publie aujourd’hui un texte déclinant les règles juridiques, canoniques, et quelques lignes directrices en matière d’information à propos des procédures engagées à l’égard de prêtres. Il est une balise de plus sur la route que nous avons décidé d’emprunter.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort fait ici référence à la condamnation du père Philippe Pouzet, et à la réaction de Mgr Grua : « Bien sûr que, de temps en temps, je me dis que j’aurais dû être plus vigilant. » La chronologie des faits, malheureusement, parle d’elle-même. Pour ce qui est du procès à Orléans, il s’agit du père Olivier de Scitivaux. Mgr Jacques Blaquart avait alors dit : « je n’ai pas fait assez et j’aurais pu mieux faire. Je demande pardon aux victimes d’avoir tardé à réagir. » Ici aussi, la chronologie des faits était éloquente.
Par ailleurs, Mgr Éric de Moulins-Beaufort fait une annonce à étudier de près en fin de paragraphe : « Notre Conférence publie aujourd’hui un texte déclinant les règles juridiques, canoniques, et quelques lignes directrices en matière d’information à propos des procédures engagées à l’égard de prêtres. »
Nous avons longuement débattu du futur dispositif à mettre en place pour les personnes victimes à l’âge adulte. Si le principe est acquis, nous voyons qu’il nous reste encore du travail avant de décider des modalités de mise en œuvre. Nous souhaitons le faire bien. Deux voies ont été présentées, chacune avec ses avantages et ses inconvénients. L’une et l’autre suscitent de nombreuses questions. Nous, évêques, voulons ouvrir une voie de reconnaissance et de réparation solide et durable. Nous voulons que les personnes qui auraient été mises en situation de vulnérabilité soient respectées et soutenues et que les prêtres mis en cause assument leurs responsabilités. C’est pourquoi il nous paraît clair que le premier chemin doit être celui de la justice républicaine, s’il est possible. Celui de la justice canonique doit être emprunté aussi, s’il peut être ouvert. Que faire pour les situations qui ne peuvent relever de l’une ni de l’autre, parce que l’auteur est mort, parce que les faits sont prescrits ? Nous ne pouvons créer un ordre juridique totalement différent de celui de notre pays. Le groupe de travail présidée par Mme Boilley qui a remis ses conclusions en mars dernier nous a orienté vers la justice restaurative, mais nous savons qu’elle n’est pas exempte de critique de la part des personnes victimes, des articles de presse les ont récemment relayées. Il nous faut être sûrs de la compétence et de la capacité des personnes à qui nous pourrions confier cette mission à le faire de manière claire et rassurante pour les personnes victimes ; il nous faut être sûrs aussi que ceux et celles qui nous aideront pourront prendre des décisions solides, non contestables. Nous constatons que la loi dans les pays européens évolue, qu’elle prend mieux en compte les violences sexuelles subies et que cette évolution n’est pas terminée. Police et gendarmerie ont beaucoup progressé dans leur capacité à entendre une personne victime, mineure ou majeure, même longtemps après les faits.
En cette assemblée, nous avons discuté de tout cela de manière approfondie, dans un climat serein. Pour autant nous n’oublions pas que des personnes attendent d’être reconnues et expriment leur colère de rester depuis si longtemps sans voie possible pour que leur souffrance soit prise en charge par celui ou ceux qui l’ont causée. Les cinq mois qui nous séparent de l’assemblée de mars nous permettront de préciser les points qui restent incertains dans les deux voies que nous avons explorées. Je pressens que des personnes victimes seront déçues et blessées de ce retard et je les assure de notre détermination à avancer. Nous continuons notre travail, comme la CRR et l’INIRR dont la présidente, Mme Marie Derain de Vaucresson, nous a redit sa volonté d’avoir accompagné d’ici fin 2026 toutes les personnes qui se seront adressées à cette instance avant décembre 2025. Nous réfléchissons avec la CORREF à la meilleure manière de maintenir dans le long terme un dispositif d’écoute, de reconnaissance et de réparation à partir de l’expérience acquise en ces premières années. Nous remercions encore et toujours les équipes de l’INIRR, de la CRR, du Fonds Selam grâce à qui nos engagements à l’égard des personnes victimes deviennent réalité.
Pour rappel, le groupe de travail sur l’accueil des personnes adultes victimes de violences dans l’Église avait rendu son rapport en mars dernier en répondant à deux demandes :
- Proposer aux évêques un chemin de reconnaissance et de réparation pour les personnes adultes (plus de 21 ans) ayant été victimes de violences sexuelles commises par des prêtres, diacres ou agents pastoraux laïcs diocésains.
- Réfléchir à un processus de soutien et de réparation, avec des structures et les modalités permettant aux personnes victimes d’être accueillies, écoutées, reconnues, et d’obtenir le cas échéant une réparation financière de leur préjudice.
Notons que dans ce rapport, la mention de la limite de 21 ans est assez surprenante. Elle est absente du communiqué final de l’Assemblée plénière des évêques de France (en mars 2024) mais se trouve dans un document du groupe de travail : les violences sexuelles commises sur des personnes majeures daté de février 2024. Non seulement le minimum de 21 ans est arbitraire, mais en plus, on sait que certains prédateurs « préparent » leur victime pour la violer sitôt les 18 ans passés.
Quoi qu’il en soit, les évêques n’ayant vraisemblablement pas réussi à se mettre d’accord, les décisions relatives à l’accueil des personnes adultes victimes de violences dans l’Église sont reportées à la prochaine assemblée plénière.
Pour ce qui est des deux voies, « de source proche de plusieurs évêques, il s’agirait soit d’instaurer une instance unique centralisée, soit de confier la mission à des structures sur le terrain dans les provinces ecclésiastiques » Libération.