Interview de Matthieu Jasseron : ses critiques envers l'Église
Important : Cette transcription couvre presque dix minutes (de 46:38 à 55:57) sur plus d’une heure d’interview. Elle n’est donc ni l’ensemble de l’interview, ni un résumé. Nous vous invitons à consulter la vidéo sur Youtube pour découvrir l’ensemble du contenu, et notamment les souhaits de Matthieu Jasseron pour son avenir.
Matthieu Jasseron : J’ai l’impression qu’on reste toujours sur la réponse à une action, la ré-action. Mais est-ce que l’on va voir les choses un peu plus au fond ? La structure, le fait que le prêtre soit un homme qu’on met sur le piédestal et qu’on excuse beaucoup plus que les autres ? Et peut-être que c’est là qu’il y aurait quelque chose à imaginer.
Je suis très convaincu qu’il y a une question qui est hyper tabou dans l’Église et qui pourrait sûrement nous aider à mieux avancer. C’est : prêtre pour quoi faire ? Qu’est ce qu’on attend de monsieur le prêtre ?
Est-ce que celui qui va baptiser, marier, faire la messe donc en gros, dispenser les sacrements, est-ce qu’on attend que ce soit le patron de l’association paroisse ? Le patron de l’Église et qui gère comme ça l’Église ? Est-ce qu’on attend de lui, que ce soit un prédicateur ? Celui qui va nous parler de vie spirituelle, d’espérance, de charité et cetera ? Est-ce qu’on attend de lui, que ce soit un témoignage de vie? On a connu pendant un temps beaucoup de prêtres ouvriers qui essayaient d’aller vivre dans le monde pour être juste un témoignage de vie un peu particulier avec leur célibat, avec leur engagement auprès des plus pauvres.
Prêtre pour quoi faire? Et le seul problème, c’est qu’aujourd’hui on a beaucoup moins de prêtres qu’il y a cinquante ou cent ans et donc on attend de monsieur le prêtre qu’il fasse tout ça ! Donc parce qu’on lui met une responsabilité, une autorité phénoménale sur les épaules, forcément, lui il en vient à être beaucoup plus fragilisé et en même temps parce qu’il a toute cette autorité et cette aura, on l’excuse beaucoup plus.
Hugo : C’est vrai que là-dessus, tu as des mots forts. Tu décris l’Église comme étant (c’est dans ta vidéo publiée la semaine dernière) un terreau fertile capable de transformer n’importe quel enfant de chœur en un inquisiteur et parfois même en vrai prédateur. Qu’est ce qui amène ça ? Il y a le fait qu’un prêtre puisse être placé sur un piédestal comme beaucoup de personnes au sein de l’Église. Mais j’imagine que ce n’est pas que ça, c’est aussi une question d’absence éventuelle de contrôle ou de communication. Tu évoques aussi le fait que les trois pouvoirs en quelque sorte, se retrouvent plus ou moins liés : législatif, exécutif, judiciaire. Ce qui est tout l’inverse d’un système démocratique. Qu’est ce qui fait qu’on transforme comme ça un enfant de cœur en prédateur?
Matthieu Jasseron : Sûrement qu’il y a plein d’aspects, mais là tu soulignes un bon point. L’Église continue d’avoir un système structurel qui est du même ordre que ce qu’on avait au Moyen âge avec les seigneurs. C’est un système féodal où Monsieur l’évêque a tout pouvoir sur tous les fidèles chrétiens d’un département. Et après il le délègue à ses prêtres. C’est fou ! A part dans les dictatures, ça n’existe plus ça aujourd’hui ! Moi, j’étais dans une petite paroisse où il n’y avait pas d’autres prêtres à vingt kilomètres à la ronde. Donc j’étais pour mes paroissiens, aussi bien l’accompagnateur spirituel (donc on pourrait dire en langage moderne un peu le psy) et en même temps pour tous les bénévoles (il y avait une centaine de bénévoles sur ma paroisse) j’étais leur manager. Dans quel endroit dans la société est-on le manager et le psy d’une même personne ? Et pour la personne et pour moi, c’était pas sain du tout.
Donc il y a vraiment ces problèmes structurels et, comme tu le soulignes parfaitement, il suffirait peut-être juste de mettre des pare-feux, des contre pouvoirs, et que le prêtre n’ait jamais le dernier vote. On a tout plein de conseils dans les paroisses… N’empêche qu’à la fin, moi, je peux avoir écouté tout le monde, et c’est moi qui choisis exactement ce que je veux et en allant contre l’avis de tous. Et c’est ça pour encore beaucoup de choses. On met le prêtre sur un piédestal, on lui fait porter une responsabilité phénoménale qui l’écrase et il a beaucoup de mal à déléguer. On n’a aucun pare-feu, on n’a aucun système pour un peu tempérer les écarts de structure.
Le dernier point, c’est qu’en fait, il me semble que on a tous en nous la possibilité du meilleur et la possibilité du pire. A priori tous on est capable de donner la vie ou de révéler la vie, la raviver à ceux qui n’en ont plus dans les EHPAD, dans les hôpitaux… Mais on est aussi capable du pire. Sûrement que tous, soyons honnêtes, tous ceux qui regarderont cette vidéo, il y a des fois dans notre vie où on a fait des choses dont on ne se serait jamais cru capable. Parce qu’on n’était pas dans un état normal, sous l’effet de groupe, sous l’effet d’un contexte particulier, d’alcool, de psychotropes,… on peut trouver plein de raisons à ça. Et on sait que des fois on a dérapé bien plus que ce qu’on se serait cru capable précédemment. Et je pense que ça, si on n’en est pas conscient, ça risque, dans un terreau aussi fertile que la structure de l’Église telle qu’elle se vit aujourd’hui institutionnellement, de nous faire déraper très fortement.
Et vraiment moi je crois que une des choses qui un jour m’a fait me dire « Mais Matthieu, est-ce que t’es encore à ta place dans ce rôle de prêtre ? », c’était il y a une petite année à peu près. Je sors d’une réunion qui pour moi avait été un petit peu tendue sur un ou deux moments. Et là, il y a une très bonne amie bénévole qui me dit : « Tu te rends compte de ce que t’as fait quand même ? Là, tu l’as allumée devant tout le monde ! » Je fais « Ouais, c’est bon. Et puis, elle le méritait ! ». Et là, le soir après, dans mon lit, je me dis : « Mais sérieux, Matthieu ! T’as allumé quelqu’un devant tout le monde et tu tempères ça comme si c’était normal. Et en plus tu dis qu’elle le méritait ! C’est ça faire du Jésus pour toi ? » Et en fait personne autour de la table, à part cette bonne amie qui m’a confié ça, n’y avait vu de mal parce que j’étais la figure du prêtre, du patron de la paroisse. Et, vraiment, je lui ai dit « Merci de m’avoir fait prendre conscience que là, je dérapais ! » Et voilà, la responsabilité est telle, on nous excuse tellement, et vu qu’on a tous en nous ces moyens de déraper, qu’on en soit conscient ou pas, on en revient à faire l’exact opposé de ce qu’on voudrait : prendre soin des autres.
Hugo : Tu évoques donc ici la place particulière qu’a un prêtre. Tu évoques aussi le manque de contrôle ou le problème de séparation des pouvoirs, des questions structurelles vraiment propres à l’Église. Il y a aussi un troisième volet : tu affirmes que certains mènent des doubles vies, se cachent… Tu expliques aussi qu’un prêtre, contrairement à la quasi-totalité des fonctions, sauf peut-être celle de président de la République qui vit et dort en président de la république. La fonction de prêtre, elle est présente dans toute ta vie, y compris dans ta vie personnelle. C’est aussi quelque chose qui peut jouer et avoir un impact selon toi.
Matthieu Jasseron : Et je pense même que c’est sûrement un des aspects qui est à la racine. Il y a une trentaine d’années, un prêtre qui, pour le coup, s’est fait éjecter de l’Église, était psychanalyste. Il a passé toute sa vie à psychanalyser des prêtres et des religieuses. Il nous explique que le problème du prêtre, c’est qu’il est toujours dans un idéal. Il est toujours en représentation, que ce soit au marché, à l’Église, en étant invité chez des paroissiens,… il faut toujours qu’il monte le meilleur parce qu’il ne montre pas seulement qui il est, Mathieu ou X ou Y, il monte l’Église. Et l’Église, c’est pas une institution normale, c’est censé être Dieu sur la terre, et pas un dieu inquisiteur, mais un dieu qui prêche l’amour, qui prêche le meilleur. Et donc cet homme est toujours en représentation d’un idéal, du meilleur, et ça, c’est sûrement pas sain du tout. On va faire de la psychologie rapidement. Freud nous explique qu’on a le ça, le moi le sur moi. Le moi, c’est celui qu’on est à peu près classiquement. Le ça, c’est quand on est tout seul à la maison, un petit peu grognon. Et le sur moi, c’est l’image : le rôle qu’on montre en société. Le prêtre est tout le temps dans le sur moi et donc il ne se laisse jamais la liberté d’être lui, tout simplement avec ses failles, avec ses faiblesses. Et forcément, ça bouillonne à l’intérieur ! Et vu qu’on a tous en nous et l’ange et la bête, il y a sûrement des fois où ça explose, et je ne jette vraiment pas la pierre à ceux qui ont des aspects cachés dans leur vie. Parce que je crois qu’on a tous nos difficultés. Et on a beau essayer de prêcher la bonne parole, j’espère que tous les prêtres vont recevoir le sacrement du pardon, vont vivre la confession parce que c’est pas un moment où on est là pour se fouetter devant un confrère. C’est un moment où justement on est aidé par l’autre à se faire relever. Quand on a l’impression qu’on est écrasé par la culpabilité de ce qu’on a fait de honteux, de ce qu’on a fait dont on n’est pas fier, ou qu’on a besoin de cacher aux autres. Et non, les prêtres ne sont pas meilleurs que qui que ce soit.
Hugo : Et d’ailleurs dans ta vidéo, c’est effectivement un point assez important, tu tiens à faire la distinction entre les chrétiens, les croyants et les têtes dirigeantes. La distinction entre l’institution et ses problèmes qu’on a pu évoquer là, et par ailleurs les chrétiens et les croyants que tu as croisé à la messe.
Matthieu Jasseron : Exactement ! Le chrétien d’à côté, le prêtre ou la religieuse d’à côté, sûrement qu’ils ont tous leur lot de petits péchés, de petites choses qu’ils essaient de combattre intérieurement et qui ne sont pas ajustées, et même dans la hiérarchie dirigeante. Je pense que c’est juste une minorité qui se perd là-dedans. Seulement malheureusement, vu qu’on est dans une structure qui a besoin de continuer de tourner, des fois c’est ceux qui prennent le mieux soin du parti qu’on fait monter le plus haut dans le parti. Donc sûrement que plus on monte haut, plus on va avoir un pourcentage important de gens qui peuvent confondre leur idée du bien et le bien concret de la personne qui est en face, parfois au détriment du bien de celui qui en aurait besoin. Donc oui, c’est qu’une minorité. Vraiment, c’est ce que j’ai aimé au retour de la vidéo : avoir plusieurs évêques, plusieurs personnes de grande influence dans l’Église qui m’ont encouragé, qui m’ont remercié pour ça, qui m’ont témoigné tout leur soutien parce que je n’aurais pas cru qu’ils seraient aussi nombreux à le faire.
Informations complémentaires
(Père) Matthieu Jasseron
- 2019 Ordination sacerdotale. Selon La Croix, les responsables du séminaire d’Orléans où il fut formé avaient alerté son évêque, à l’époque Mgr Hervé Giraud, sur un profil psychologique inadéquat pour le ministère sacerdotal 🡵. Dans un premier avis, « une prolongation de son diaconat avait même été demandée pour permettre une étude psychologique approfondie » 🡵.
- Août 2021 Il provoque la polémique en affirmant que «l’homosexualité n’est pas un péché». En réponse, il se prend dans la figure un violent communiqué de l’épiscopat, qui «désapprouve certaines de ces vidéos qui dénaturent le message de l’Église» 🡵 🡵.
- Février 2023 Lancement de la plateforme en ligne Theostream, pour répondre aux questions que se posent fréquemment les 15-35 ans sur la religion 🡵
- Septembre 2023 Publication de son livre les Histoires de cœur d’un jeune curé (Flammarion). A cause de ce qu’il a écrit, il est accusé de violation indirecte du secret de la confession. 🡵. Et il ne s’était pas rendu aux convocations du diocèse pour en répondre 🡵 à quatre reprises 🡵.
- Octobre 2023 Il souhaitait lancer une campagne de dons afin de lever des fonds pour rénover l’église Saint-Vincent-de-Paul de sa paroisse de Joigny, des travaux estimés à 2 millions d’euros. Son évêque lui avait refusé l’organisation d’une conférence de presse. « C’était prématuré par rapport à un dossier qui n’avait pas été instruit et engageait des sommes conséquentes », explique Mgr Giraud 🡵.
- Décembre 2023 Départ de TikTok, « Je crois que cette position médiatique flatte un peu parfois en moi un orgueil qui n’est pas toujours très ajusté ». Il s’inquiète même de cette médiatisation excessive, qui « révèle peut-être même une dimension gourou, dont il semble qu’il faudrait se méfier ». 🡵.
- Mars 2024 Matthieu Jasseron avait sollicité à de multiples reprises Mgr Giraud, son évêque, à tel point que ce dernier, se sentant « intimidé » par le prêtre a fini par déposer une main courante contre lui 🡵.
- Mars 2024 Quelques jours après l’annonce de la nomination de Mgr Giraud dans le diocèse de Viviers, à la fin du même mois, les tensions ont été telles qu’une présence policière a été déployée dans la cathédrale de Sens durant la messe d’adieu de l’ancien archevêque, ce dernier redoutant une prise à partie publique de Matthieu Jasseron 🡵.
- Octobre 2024 Par une vidéo, il annonce se « retirer » de la prêtrise 🡵. Quelques jours plus tard, il fait une longue interview diffusée sur Youtube durant laquelle il reprend les thématiques de la vidéo précédente.