Matthieu Jasseron, ex-curé star de TikTok, annonce se « retirer » de la prêtrise

Ce qu’il dit avoir subi au cours des treize derniers mois

Sûrement que tous les prêtres et tous les évêques ne sont pas comme les mafieux et les traîtres que je vais vous décrire et qu’au fond la plupart des chrétiens ne feront jamais le millième de ce que je vais vous partager que j’ai subi de malsain. Sans être exhaustif, juste pour vous donner une idée, ce n’est pas ni par ordre chronologique, ni par ordre d’importance de ce qui a pu m’abîmer. Voilà grosso modo ce qu’en un an j’ai pu constater et éprouver.

  • Je me suis fait molester et agresser physiquement par un évêque.
  • J’ai subi la pression des services secrets, des renseignements territoriaux, pour me voir interdire de me rendre à un rassemblement d’Église juste parce que ma présence suscitait une certaine peur auprès de certains prélats que je risque de dévoiler quelques scandales. Avec bien entendu la promesse que si je m’y rendais, je me ferai embarquer.
  • Je me suis fait révéler dans la presse un secret équivalent à un secret de confession que j’avais confié à un archevêque.
  • Pareil avec l’une des plus haut placées de la conférence des évêques de France qui a aussi révélé à un des journaux chrétiens les plus lus en France des choses qu’elle m’avait assuré garder strictement confidentielles.
  • On a usurpé deux fois mon identité sur les réseaux sociaux et pendant plus de six mois. La première fois, c’était par une des filiales d’un des plus grands groupes financiers catho. Et l’autre par l’un des plus gros diocèses, c’est-à-dire l’association Église dans chaque département.
  • J’ai été diffamé par plusieurs journaux chrétiens qui savaient qu’ils écrivaient radicalement l’inverse de ce que je cherchais à exprimer. C’était pour satisfaire leur audience et bien entendu aucun droit de réponse possible.
  • On a mis la pression sur la responsable d’une communauté religieuse en lui faisant comprendre que ce serait toute sa communauté qui paierait des pots cassés au prétexte que c’était mon accompagnatrice spirituelle, c’est-à-dire ma confidente régulière. Si donc elle ne trouvait pas les moyens pour me faire taire.
  • On m’a envoyé au tribunal ecclésiastique pour me faire en théorie, condamner par le chanoine pénitencier. Dieu merci, j’ai pu être relaxé.
  • J’ai l’un de mes confesseurs, l’un des prêtres que j’ai longtemps estimé le plus, que je croyais être un véritable ami, qui au prétexte de notre amitié et de ce qu’il croyait juste, a révélé des choses dans un des quotidiens français les plus lus, qui aurait dû normalement rester pour toujours de l’ordre de la confidence entre lui et moi. Et il m’a dit que s’il l’avait fait sans me prévenir, c’est parce qu’il savait que j’allais refuser qu’il le fasse.
  • Un évêque a saboté un projet que nous avions préparé avec un groupe de fidèles où on était sur le point de lever deux millions d’euros de dons. Tout ce qu’on avait mis en place a été sabordé en à peine quelques semaines. Rien n’a pu se réaliser. Par contre, ça a fait perdre 117000 euros à ma paroisse et bien entendu un montant qu’on ne pourra jamais retrouver.
  • J’ai subi l’intimidation de prêtres intégristes qui sont venus faire des sittings pendant des messes que je célébrais.
  • Je me suis retrouvé au milieu d’une réunion de prêtres où j’avais été élu pour y être présent, à me faire juger, pour ne pas dire condamner par les confrères, sur ordre d’un évêque. Un véritable tribunal inquisitoire auquel je me suis plié pendant plus de deux heures pour ensuite que ce même évêque qui avait demandé que ça se passe ainsi, refuse de venir à la réunion au prétexte que j’y étais encore. Âge mental, je vous demande.
  • J’ai aussi subi des pressions juridiques venant du cabinet d’avocats d’un des plus grands financiers de l’Église de France aujourd’hui, pour me faire extorquer ou plutôt ne pas recevoir plusieurs dizaines de milliers d’euros qui me revenaient.
  • La hiérarchie, le Vatican, au courant d’un certain nombre de ces abus, s’est contenté de déplacer l’évêque qui m’avait le plus abîmé et a permis à deux autres qui m’avaient trahi et même fait subir des pressions pour m’intimider d’être les présidents de commissions d’écoute des victimes face à certains abus dans des communautés chrétiennes.
  • C’est fou comme malgré toutes les révélations de ces dernières années, les choses semblent avoir tant de mal à évoluer. On m’a refusé par trois fois des entretiens pour parler de mon avenir. Des entretiens qui d’ailleurs n’avaient pas été sollicités par moi, mais qui étaient des injonctions auxquelles je devais me plier, auxquels je devais me rendre sous peine de sanctions et qui ont tout simplement été annulés sans explication aucune et sans être reportés, bien sûr.
  • Depuis décembre, de l’année dernière, tous les confrères qui me sont territorialement et hiérarchiquement les plus proches, les mêmes en fait, qui m’ont donné envie d’être prêtre et qui m’ont formé, m’ont tout simplement blacklisté, ne me répondent plus. Ou parce qu’on leur a intimé d’au dessus ou parce qu’ils ont compris que s’ils rentraient en contact avec moi, ils devraient en répondre face à une certaine hiérarchie.
  • On a fait passer mon départ de la paroisse pour un choix volontaire. Là où en fait, on arrivait simplement au terme de ma lettre de mission et où personne dans la hiérarchie n’avait pris le temps depuis des mois de me recevoir pour pouvoir parler de l’avenir et où en fait une prescription médicale m’avait été faite de prendre un temps de retrait.
  • Etc. Etc etc.

Voici quelques-uns des faits inattendus, surprenants et particulièrement difficiles à digérer que j’ai eu à supporter ces treize derniers mois. Sûrement que j’en oublie. Incontestablement, il y en a eu pas mal d’autres, aussi moins importants. Je ne parle pas de ces formes de harcèlement subi par des groupes de haters militants pour une certaine idée particulièrement politisée de l’Église. Ou encore des incivilités qu’il y a eu sur ma voiture ou sur la bâtisse du presbytère où je résidais. Ou bien même de ces fois où on m’a craché dessus dans la rue. Ou encore toutes ces paroles abjectes que certains ont eu besoin de me vomir dessus en direct et en public.

Vidéo de Matthieu Jasseron, à partir de 15:56

Sa critique de l’Église en tant qu’institution

Depuis le temps, je commence à avoir pas mal analysé, à m’être scrupuleusement documenté et à avoir vraiment étudié cette question : ce qui, au fond, organiquement parlant, crée ces failles dans l’Église. Peut-être que ça doit faire l’objet d’un prochain livre, qui sait ! Je commence à avoir déjà tellement écrit dessus et aujourd’hui où est-ce qu’on trouve ces informations ? Où est-ce qu’on a une analyse concrète, un petit peu objective de ce qui dans la structure même, ne va pas ? Parce qu’en fait il est bien là, le problème : c’est super de prendre soin des victimes, de leur offrir écoute, réparation et tout ce qu’il faut. C’est encore mieux de condamner, voire lorsque c’est encore possible, de soigner ceux qui les ont abusé. Mais à quel moment on s’attache réellement à combattre la racine du mal ?

L’Église, au fond, elle ne recrute pas pour devenir ses officiels, des abuseurs en puissance. Elle est juste dans sa façon de se vivre, un terreau fertile capable de transformer n’importe quel enfant de cœur en abject, inquisiteur. Et parfois même en vrai prédateur.

  • Honnêtement est-ce que vous connaissez d’autres lieux dans la société où un même homme est à la fois le manager et le psy d’une autre personne ? Parce que c’est exactement ce qu’est un prêtre pour ses bénévoles. Dans une paroisse, c’est aussi bien celui qui les dirige que celui qui les confesse.
  • Est-ce que vous connaissez d’autres endroits dans la société où les trois pouvoirs - législatif, exécutif et judiciaire - sont tenus par une même figure, l’évêque en l’occurrence, ou ses lieutenants les prêtres ? A priori, à part dans les dictatures, c’est plus trop censé exister, sauf dans l’Église.
  • Est-ce que vous connaissez d’autres lieux dans notre temps où l’identité, l’état de vie intrinsèque d’une personne se confond totalement avec sa fonction ? Un homme marié, au fond, il peut avoir n’importe quelle profession. Un prêtre, lui, il est prêtre dans toutes les dimensions de sa vie. Comme si, au final, il ne se définissait que par son être, son agir de prêtre. Seulement, c’est une perversité folle, parce que ça veut dire qu’on ne remet pas en cause les actions de ces hommes au prétexte que ça dénaturerait ce qu’ils représentent intrinsèquement. Parce que c’est bien ça, ce qui se passe. Et c’est pour ça qu’on a tant de mal à dénoncer les abus et encore plus les abuseurs.
  • Connaissez-vous d’autres endroits dans notre monde actuel où l’organisation soit aussi féodale, telle les seigneurs du Moyen Âge ? Même dans l’armée, il y a des organismes d’écoute, d’accompagnement des contre-pouvoirs, des tribunaux en interne pour permettre d’arrêter les comportements déviants, malveillants et destituer ceux qui ne sont plus dignes d’honorer correctement les missions qui leur ont été confiées. Dans l’Église, rien de tout ça : l’évêque, le prêtre, ils restent encore les rois, des intouchables, même si sûrement la plupart d’entre nous auront du mal à le reconnaître publiquement. Et pourtant, ce sont bien eux qui font dans l’Église, la pluie et le beau temps, qui définissent comment les choses doivent fonctionner, qui brident les uns, qui promeuvent d’autres, qui enseignent ce sur quoi on a le droit de croire et ce qu’il ne faut surtout pas croire, quitte à ce que ça change un petit peu tous les siècles, parce que vous comprendrez bien mes braves gens, il faut quand même se mettre un peu au goût du jour. Je ne dis pas pour autant que la vie de prêtre ou d’évêque est facile, loin de là. Que peut-être justement qu’à cause de système c’est particulièrement éprouvant. On attend tant de ces figures, on les met tellement sur un piédestal. Comment au fond ne pas crouler sous la charge des responsabilités et de tant d’autorité à devoir supporter? Et c’est bien ça le problème. Si vous saviez les mêmes choses dont la plupart des prêtres se plaignent. Toutes ces difficultés qu’ils ont à traverser, ces lourdes charges à porter. Ce sont les mêmes, en fait, qu’ils n’arrivent pas à confier, à délaisser, à déléguer ou à sous traiter.

Et après donc, perdu dans un système à la structure si fragile et si peu démocratique, on en vient forcément à créer le contexte parfait pour laisser se développer bien des formes d’abus. Certes, c’est pas parce qu’on vole un œuf qu’on volera un jour un bœuf. Par contre, j’en suis très convaincu, tous ceux qui ont volé un bœuf ont déjà commencé par voler un œuf. Et je dois vous confesser que c’est moi même ce que j’ai commencé à ressentir pendant ces premières années. Les gens, en fait, ils ne cessent jamais de nous excuser : « vous comprendrez, il a tant à faire, Monsieur le curé, il porte tant de responsabilités ». Et donc, à force d’entendre ça, avec tout ce qu’on attend de nous, on en vient à être un peu plus irascible, à moins demander pardon, à devenir quelque peu autoritaire, à ne pas trop se soucier des conséquences, à trop souvent relativiser. Après tout, on le fait pour la gloire de Dieu. Et donc parfois on s’énerve plus facilement, plus souvent, beaucoup plus souvent. Ou encore on ne ment pas forcément, mais on ne dit pas non plus toute la vérité, parce que vous comprendrez, tout le monde n’est pas prêt à l’accepter. Et en fait, je crois que ainsi, petit à petit, on rentre dans une façon d’être où on légitime de petits abus, mais qui auront en fait tout pour nous mener à des plus grands si nous n’en sommes pas conscients. L’exemple dont on a entendu particulièrement parler cet été, celui de l’abbé Pierre, en est plus que flagrant. C’est un homme qui a été capable de faire des trucs, excusez mes mots, honnêtement mais merveilleux, géniaux pour les plus pauvres, les plus démunis, mais qui a aussi indéniablement insufflé quelque chose dans la société tout entière. Et en même temps, alors qu’il a été capable de faire un vrai bien et à un grand nombre de gens, il a aussi fait subir des horreurs, des choses abjectes et innommables à quelques uns. Et son cas, en fait, est loin d’être isolé dans l’Église. Certainement pas du fait qu’il y ait dans cette institution plus qu’ailleurs de potentiels prédateurs, mais juste parce qu’en fait nous portons tous en nous à la fois l’étincelle du meilleur, la capacité, le réel super pouvoir de donner la vie, la révéler, la susciter, créer et donner à voir aux autres autant que pour nous même, le bonheur, le vrai. Autant que nous portons chacun aussi en nous, la possibilité du pire, de faire des choses dont nous ne nous serions jamais cru capable, de véritables atrocités, sous l’effet d’une émotion non maîtrisée, d’un contexte particulier, de l’effet de groupe, d’un excès de folie ou, pour bien d’autres raisons encore. « Not all men » entendons-nous beaucoup en ce moment. Mais en fait, je sais pas, je crois plutôt que c’est « all men » et « all women ». Tous nous portons la possibilité en nous de faire autant l’ange que la bête. Et en fait, si on n’en est pas conscient, la vie risque, par delà les accidents et les événements, de nous conduire objectivement à réaliser le pire. Et si c’est le cas pour chacun et chacune d’entre nous, ou en tout cas, que ça a la possibilité de l’être, ô combien ça l’est plus pour ces hommes à qui on offre déjà une auréole de sainteté dans un système dans lequel tous nous leur sommes totalement inféodé.

Oui, un jour, je pense que je publierai là-dessus pour à la fois essayer de mieux dévoiler tout ça avec la plus grande clarté possible et les éléments que la science et les diverses études nous ont offert depuis quelques années pour réussir à penser tout ça à nouveaux frais. Pas tant pour dénoncer que pour proposer des solutions, parce que bien sûr, il y en a au-delà de tout ce qui, à première vue, ne va pas. Et il n’est pas pour autant question de faire la révolution, mais peut être juste de mettre un peu plus d’esprit d’équipe, de démocratie, de synodalité, comme on dit dans l’église, de se doter de structures d’accompagnement, de pare-feu, de contre pouvoir aussi, et permettre que ce ne soit peut-être pas que les prêtres qui enseignent et qui managent, eux qui en plus ne sont que trop peu, voire mal ou même pas du tout formés pour cela. Peut être juste au fond, aider ceux qui le font déjà tant et si bien à réussir à trouver les moyens pour soigner, réparer et donc aussi consolider, renforcer et permettre de nouveau de briller à ce magnifique édifice que représente l’Église, les chrétiens et leur superbe communauté.

Vidéo de Matthieu Jasseron, à partir de 31:23

Message de Mgr Pascal Wintzer

Message aux acteurs pastoraux et aux diocésains de l’Yonne

J’ai appris que le prêtre Matthieu Jasseron, ordonné pour le diocèse de Sens-Auxerre en 2019, a pris la décision de quitter l’exercice du ministère presbytéral.

Au service du diocèse depuis le 6 octobre dernier, je ne connais pas encore Matthieu Jasseron ni sa situation ; je le rencontrerai dans les prochains jours.

Chaque histoire est personnelle et il faut se garder d’en tirer des conclusions générales. Cependant, un tel événement n’est pas sans interroger notre Église dans l’Yonne, le ministère de prêtre, la formation.

Je pense à Matthieu Jasseron et prie pour lui, pour ceux qui lui sont proches, pour la paroisse Saint Jean-Baptiste de Joigny au service de laquelle il était jusqu’en juin dernier.

J’exprime mon soutien et ma fraternité aux prêtres du diocèse.

+ Pascal Wintzer
Archevêque de Sens-Auxerre

Mgr Pascal Wintzer

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