Abbé Pierre : Tribune de membres d'Agir pour notre Église

Nous sommes en colère, écœurés, mais pas résignés

Voilà les sentiments qui nous envahissent après la révélation de nouveaux témoignages sur les abus perpétrés par l’abbé Pierre pendant plusieurs dizaines d’années. Une fois de plus, nous apprenons que des victimes n’ont pas eu la force de dénoncer leur agresseur : un homme que sa popularité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église catholique a rendu intouchable, et donc impuni.

Quant à celles qui ont pu parler, elles ont vécu le calvaire de ne pas être écoutées. À ces victimes, nous, membres du collectif « Agir pour notre Église », exprimons toute notre compassion et toute notre solidarité.

Étouffer la voix des victimes

Nous voulons aussi dire notre colère de catholiques pratiquants, attachés à leur foi, à l’Évangile, au Christ et à son Église. C’est précisément en tant que catholiques que nous sommes écœurés par toutes les fois où la hiérarchie de notre Église a choisi, en toute conscience, d’étouffer la voix des victimes.

Colère face à la trahison de toutes ces femmes victimes, instrumentalisées et réduites au statut d’objet jetable tant par ces actes odieux que par le silence imposé pendant des décennies. Écœurement devant la trahison du sacerdoce par un homme couvert par une hiérarchie ecclésiale qui minimisait les faits pour ne pas avoir à les gérer. Encore une fois.

Exaspération face à la trahison de l’œuvre qu’il avait fondée et qu’il portait, mais qu’il détournait pour profiter de la vulnérabilité de ces personnes en situation de détresse, trahissant ainsi le travail mené quotidiennement par tous les membres des associations Emmaüs… Il s’agit bel et bien d’un triple abus de confiance : celui des agissements de l’abbé Pierre est indissociable du silence d’Emmaüs et du silence de l’Église catholique.

La soif de justice

La mort de l’abbé Pierre empêche la tenue d’un procès, mais elle n’éteint pas la soif de justice. Et le poids immense de ce silence rend à nos yeux nécessaire une reconnaissance de leur statut aux victimes. La responsabilité de ceux qui ont vu mais ont détourné le regard, ont su mais n’ont rien fait, ont entendu mais n’ont pas écouté, doit être assumée, et leur complicité, active ou passive, doit être jugée. L’option préférentielle pour la bonne réputation aux yeux du monde, que tant de personnes alertées ont choisie au détriment de la justice, doit être dénoncée pour ce qu’elle est aussi : un scandale devant Dieu.

Si la notoriété de l’auteur de ces faits est, en l’espèce, exceptionnelle, elle n’efface pas l’impression tenace de déjà-vu : la personnalité charismatique érigée en icône, les complicités de tous ordres au sein de l’institution, le déni de justice imposé aux victimes par une conspiration du silence, tout cela a déjà été dénoncé à de multiples reprises à l’occasion des affaires révélées ces dernières années.

Des trajectoires criminelles et systémiques

Comment ne pas en être lassés ? usés ? D’autant que la gravité des faits est désormais difficile à ignorer, pour qui veut bien voir ce qu’il y a à voir : une fois encore apparaît en pleine lumière le caractère systémique des facteurs qui, dans le fonctionnement de l’institution-Église, comme dans sa parole, rendent possibles ces trajectoires criminelles et ces existences brisées, facteurs que la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) analysait dans son rapport remis en octobre 2021.

Faudra-t-il désormais soupçonner d’insincérité toute prise de parole institutionnelle, qui nous assure (tout à la fois ébranlée et résolue) que leur surprise et leur effroi sont immenses, que le nécessaire est fait, que des mesures sont prises ? La dévalorisation avancée de la parole institutionnelle en vient à décrédibiliser la Parole fondamentale, celle de l’Évangile. C’est dramatique, et il est urgent de passer aux actes. Le chantier est immense, tant la prise de conscience est encore lacunaire, le parcours de prise en charge des victimes encore amateur et illisible, et balbutiante la clarté de la gouvernance et de la justice de l’Église.