Abbé Pierre : réaction à la tribune de Mgr Eric de Moulins-Beaufort dans "Le Monde"

Quelques remarques

Qui était responsable de l’abbé Pierre ?

L’abbé Pierre a presque toujours vécu à distance de tout cadre proprement ecclésial. Mettre en cause l’Église et le célibat sacerdotal n’est pas à la hauteur de ce que les agressions sexuelles commises par l’abbé Pierre nous obligent encore à voir.

Pour Mgr Eric de Moulins-Beaufort, comme l’abbé Pierre était un électron libre, ce n’est pas la faute de l’Église. Il semble que les évêques ne soient les responsables hiérarchiques que des prêtres parfaits, soumis, rentrant dans le cadre. Pour les autres, c’est pas leur job !

L’Église a l’éternité devant elle… contrairement aux victimes…

En juillet 2022, un historien qui avait travaillé pour la CIASE m’a écrit pour m’avertir que la CIASE avait recueilli trois témoignages de femmes agressées par l’abbé Pierre. Il avait été fixé entre la CIASE et les évêques et les religieux et religieuses que celle-ci ne nous donnerait pas d’éléments sur les témoignages reçus, mais encouragerait les personnes à nous parler. Il a fallu attendre trois ans. Le temps des personnes victimes doit être respecté. Surtout, il faut créer un climat commun qui leur donne confiance. Je leur exprime ici ma proximité et les assure de ma détermination à ce que leur parole produise un effet.

En juillet 2022, Mgr Eric de Moulins-Beaufort sait qu’il y a trois témoignages qui sont remontés à la CIASE au sujet de l’abbé Pierre. On peut supposer qu’il consulte les archives et connaît le bien fondé de ces témoignages.

Alors il fait quoi ? Il laisse perdurer le mythe Abbé Pierre.
Et attend 3 ans que les victimes parlent.
ça évite d’avoir à annoncer la vérité sur l’abbé Pierre.
ça évite de devoir gérer les autres victimes paralysées par la honte, se croyant être les seules.

Il prend donc le cas de ces trois victimes pour justifier son inaction pour aider et soutenir toutes les autres victimes, en sachant pertinemment que compte tenu des statistiques, il reste encore beaucoup de victimes qui se taisent par honte et culpabilité, comme c’est le cas dans des affaires similaires.

Les biographes qui ont mal cherché ou tu la vérité, voilà les coupables !

Or, des biographies nombreuses et fouillées ont été écrites sur l’abbé Pierre et des films ont été réalisés à son propos, de son vivant et après sa mort. Aucune de ces études, aucun de ces films ne laisse apercevoir qu’il se livrait à des agressions sexuelles. Cela doit être interrogé.

Ce qui doit être interrogé pour Mgr Eric de Moulins-Beaufort, c’est le rôle des biographes.

Au lieu de cela, j’interrogerais bien le rôle des évêques qui savaient et ont caché, menti par omission pour construire un mythe. ça aurait simplifié le travail des biographes !

Tout le monde porte sa part de responsabilité, de manière équivalente

On a pu lire que l’Église avait « starifié » l’abbé Pierre. Mais de qui parle-t-on quand on dit ainsi : « l’Église » ? Des hommes, des femmes, évêques ou non, ont su ou n’ont pas su, ont vu ou n’ont pas vu, ont agi ou n’ont pas agi, ont parlé ou se sont tus. Des journaux, des magazines, des cercles variés, y compris politiques, ont érigé l’abbé Pierre en figure sociale et construit pour lui, à partir des années 1990, une nouvelle stature de « personnalité préférée des Français ». Aucun de ces organismes-là ne semble se demander pourquoi aucune personne victime n’était alors venue lui parler.

En mettant tout le monde à équivalence sur le plan de la responsabilité (ce qui est, il faut le saluer, une preuve de synodalité rare !), Mgr Eric de Moulins-Beaufort semble oublier que les évêques ont reçu de très nombreuses alertes et ont sciemment caché la vérité. Contrairement à la dame caté. Contrairement au curé du fond de la Creuse…

Une conclusion qui passe mal venant de Mgr Eric de Moulins-Beaufort

Assurément, les sordides faits dévoilés désormais obligent l’Église, c’est-à-dire les évêques, les diocèses, les paroisses, les fidèles laïcs, les prêtres, à y veiller davantage. Mais c’est toute la société qui doit s’interroger sur ce qu’elle montre de la sexualité aux jeunes générations, sur ce qu’elle prépare et comment elle les prépare à vivre des relations qui les rendent toujours mieux humains. Chercher des coupables est une chose. Comprendre comment un homme a été laissé à ses pulsions mauvaises est un travail nécessaire. Réfléchir à ce qu’est la sexualité et à la manière d’en vivre au mieux est un défi à relever à l’échelle de la société entière.

La conclusion eut été très juste, si elle avait été dite par n’importe qui d’autre. Mais sous la plume de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, cela sonne comme « c’est partout pareil » et « faut voir plus largement et surtout ailleurs ».

Mais le hors norme des affaires de l’Église doit interroger.

Et l’aspect systémique ?

Cette tribune fait l’impasse sur l’aspect systémique. A lire Mgr Eric de Moulins-Beaufort, on a une brebis galeuse, une inconscience plus ou moins collective, et des responsabilités plus ou moins claires.

C’est faire l’impasse sur les mécanismes de gestion interne que la CEF a appliqué de la même manière avec les frères Philippe, par exemple. Cela donne l’impression que depuis la CIASE, on n’a pas progressé tant que ça, incapables de remettre en cause des pratiques d’un autre âge telles que la non publication des sanctions canoniques, par exemple.

Réaction de @Matsu__Basho

J’ai préféré attendre un jour avant de réagir sur La Tribune du président de la CEF paru dans Le Monde hier. On pourra lire le texte complet là:

https://eglise.catholique.fr/espace-presse/communiques-de-presse/555058-abbe-pierre-tribune-de-mgr-eric-de-moulins-beaufort-dans-le-journal-du-monde/

Il y a beaucoup à dire mais je ne parlerai que de ces dernières lignes. 🧶

Mais c’est toute la société qui doit s’interroger sur ce qu’elle montre de la sexualité aux jeunes générations, sur ce qu’elle prépare et comment elle les prépare à vivre des relations qui les rendent toujours mieux humains. Chercher des coupables est une chose. Comprendre comment un homme a été laissé à ses pulsions mauvaises est un travail nécessaire. Réfléchir à ce qu’est la sexualité et à la manière d’en vivre au mieux est un défi à relever à l’échelle de la société entière.

À lire la tribune, on a l’impression que pour @Mgr_EMB c’est la faute des autres, pas de l’Église. Et dans ces dernières lignes, il se place en surplomb en sommant la société de réfléchir sur sa vision de la sexualité, sous entendu c’est la faute de la société si @Mgr_EMB l’abbé Pierre était un agresseur sexuel en série. En parlant de « mauvaises pulsions », il fait allusion au trope classique dans le catholicisme du libéralisme sexuel qui est censé être caractéristique de notre époque où on laisse libre cours à nos pulsions au lieu de suivre la morale catholique sur la sexualité.

Or il y a plusieurs soucis dans ce qu’il avance. Tout d’abord, la CIASE avait bien pointé dans son rapport parmi les facteurs de la crise des abus, la doctrine catholique sur la sexualité et avait recommandé à une réflexion théologique notamment la recommandation n°11.

Recommandation no 11 :

  • passer au crible :
    • ce que l’excès paradoxal de fixation de la morale catholique sur les questions sexuelles peut avoir de contre-productif en matière de lutte contre les abus sexuels,
    • le choix d’englober l’ensemble de la sexualité humaine dans le seul sixième commandement du Décalogue ;
  • favoriser la réflexion doctrinale visant à ce que la doctrine sur la sexualité ne soit pas séparée des exigences de la doctrine sociale de l’Église et de l’égale dignité de toute personne humaine.

@Mgr_EMB et ses pairs ont lu le rapport, ont promis de relayer les recommandations relevant des Saint-Siège comme justement la recommandation n°11. On a d’ailleurs eu aucune nouvelle. Et sa tribune semble suggérer que la véritable réception du Saint-Siège et de l’épiscopat à cette recommandation est «cause toujours».

Par ailleurs, j’espérais qu’avec la crise des abus, l’Église serait plus humble dans son rapport avec la société et dans sa manière de parler de la morale. Hélas, je retrouve cette arrogance que j’espérais abandonnée dans la tribune de @Mgr_EMB. Il tance la société sur son rapport à la sexualité, comme s’il n’y avait aucune réflexion dans la société. Or il y a beaucoup de réflexion depuis des années sur la sexualité, notamment le consentement notion sur laquelle on trouve de plus en plus de travaux philosophiques, psychologiques ou juridiques. Et c’est grâce à ce changement de sensibilité sur le consentement, le pouvoir dans une relation etc que la société est devenue moins tolérante aux abus même s’il y reste beaucoup de chemin à faire. Personnellement, c’est grâce aux féministes que j’avais été sensibilisé sur le consentement il y a quinze ans de là.

Côté Église, c’est plutôt le narcissisme doctrinal et spirituel qui est la règle. Les catholiques adorent traiter notre société d’adolescente mais je vois surtout l’Église catholique romaine se mirer dans la glace et s’émerveiller de la beauté de sa doctrine catholique sur la sexualité alors que comme le conte de l’empereur nu, elle ne voit pas sa cruelle nudité. La réflexion catholique sur la sexualité n’a pas évolué d’un iota depuis les années 50. Elle ne fait qu’enchaîner les solutions « pastorales » comme des pansements sur une jambe en bois.

La tribune de @Mgr_EMB montre que la hiérarchie catholique, en dépit de ses beaux discours (« l’accueil avec gratitude », « maison aussi sûre que possible ») n’a toujours pas compris le caractère systémique des abus dont la doctrine catholique sur la sexualité est un des facteurs. Elle préfère continuer à nous donner des leçons.

Autres réactions

@1_Vero_2

Franchement la fin de cette tribune c’est « mais si tout le monde appliquait la doctrine sexuelle de l’Église il n’y aurait aucun problème. » « La société » doit réfléchir à sa vision de la sexualité, mais le ton laisse entendre que l’Église n’en a pas besoin.

@2SGChevalier

Souvenir de Marie-Jo #Thiel à une réunion publique à La Procure disant : " Dans la doctrine sexuelle de l’Église, il faut tout revoir" devant l’évêque d’alors de Strasbourg muet comme une carpe (Luc #Ravel). @Mgr_EMB On attend… @Eglisecatho