Abbé Pierre : publication du second rapport d'Egaé
- https://emmaus-france.org/presses/emmaus-rend-public-de-nouveaux-faits-graves-commis-par-labbe-pierre/
- https://www.la-croix.com/religion/l-abbe-pierre-vise-par-17-nouvelles-accusations-de-violences-sexuelles-20240906
- https://eglise.catholique.fr/espace-presse/communiques-de-presse/554773-communique-de-la-cef-a-la-suite-des-nouvelles-revelations-concernant-labbe-pierre/
- https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/invitee-rtl-l-abbe-pierre-accuse-d-agressions-sexuelles-veronique-margron-se-dit-dans-l-effroi-7900415341
- https://www.europe1.fr/societe/abbe-pierre-la-presidente-des-congregations-souhaite-une-instance-de-reparation-4266176
Le second rapport d’Egaé
Cette synthèse présente 17 témoignages concernant des violences commises par l’abbé Pierre. Ces 17 récits s’ajoutent aux 7 déjà publiés lors du premier travail mené à l’initiative du Mouvement Emmaüs. Le groupe Egaé souligne que ces témoignages ne permettent absolument pas de dresser un état des lieux exhaustif des comportements de l’abbé Pierre.
Le groupe Egaé détaille ici 17 témoignages (12 directs et 5 indirects) concernant des violences sexuelles commises par l’abbé Pierre sur des femmes mineures et majeures. Ces témoignages s’ajoutent aux 7 rendus publics en juillet 2024
Rappel des définitions légales
Fait | Définition | Exemple | Source |
---|---|---|---|
Harcèlement sexuel (1) | Propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à la dignité ou créent une situation offensante. | Des propos répétés sur la sexualité | Article 222-33 du Code pénal |
Harcèlement sexuel (2) | Mettre la pression à quelqu’un·e dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle. | Une proposition sexuelle en échange d’un logement | Article 222-33 du code pénal |
Agression sexuelle (« attentat à la pudeur » avant 1994) | Contact physique avec une partie sexuelle (fesses, sexe, seins, bouche, entre les cuisses) commispar violence, contrainte, menace ou surprise. | Main aux fesses, baiser forcé, contact du sexe | Article 222-22 du Code pénal |
Viol | Tout acte de pénétration sexuelle ou acte bucco-génital commis par violence, contrainte, menace ou surprise. | Fellation forcée, pénétration forcée, cunnilingus forcé. | Article 222-23 du Code pénal |
Ce qui est reproché à l’Abbé Pierre dans ces nouveaux témoignages
- Majoritairement des contacts non sollicités sur les seins ou de baisers forcés
- Et également
- des contacts sexuels répétés sur une personne vulnérable (témoignage M)
- viols : des actes répétés de pénétration sexuelle sur une personne de plus de 18 ans ainsi que des propos à caractère sexuel (témoignage J)
- baisers forcés et autres contacts sexuels sur une enfant (témoignage X).
Les faits décrits se sont déroulés des années 50 aux années 2000, la plupart du temps en France et parfois à l’étranger
L’abbé Pierre, un manipulateur
Utilisation de situation de vulnérabilité
M. cherchait un logement. Elle a écrit à l’abbé Pierre qui l’a hébergée quelques jours dans un lieu où il résidait et l’a aidée dans ses démarches. M. a eu une dizaine d’entretiens avec l’abbé Pierre lors de ce séjour. Elle a subi à chaque fois des baisers forcés et des contacts sur sa poitrine. L’abbé Pierre mettait la main sur son sexe à travers le pantalon. Elle avait une vingtaine d’années.
Conseils pour éviter des accusations
Egaé publie une lettre de l’abbé Pierre adressée à un homme mis en cause pour son comportement avec deux jeunes filles mineures, dans laquelle il lui donne des conseils pour éviter des accusations.
Enfin, les familles de deux jeunes filles avec lesquelles tu t’es lié et sur qui ton influence semble bien pernicieuse, et qui si je suis bien informé, sont des jeunes filles mineures, pourraient très vite en venir à porter contre toi des accusations.
Tout cela n’est pas catastrophique, mais à une condition et il n’y en a pas plusieurs, c’est que l’on puisse montrer que toutes ces bêtises proviennent de ton mauvais état de santé nerveuse. J’ai pris contact avec le Dr xxxxxxxx, le Patron de la clinique où le xxxxxxxx son adjoint, t’a déjà soigné.
Le Dr xxxxxxxx te donne rendez-vous vendredi 12 mai à 11 h30 à la polyclinique.
Il est plein d’amitié et fera tout pour te sortir de cette impasse. Je suis certain qu’il n’y a pour toi aucune autre solution. Ne la néglige pas. Sois au rendez-vous de vendredi.
J’avertis l’Archiprêtre de la cathédrale. Si tu as, d’ici vendredi, quelque inquiétude, vois avec lui à te faire héberger quelque part. Peut-être chez les amis de Solignac. Mais surtout, ne manque pas le rendez-vous de vendredi matin.
Inversion de culpabilité
Lundi 28 mars 2005 - Lundi de Pâques
Madame,
Ce dont [ANONYMISE] me parle, croyez que je n’ai aucun souvenir. A 93 ans, il n’est pas facile de se souvenir de tant d’années avec leurs difficultés, si un jour il m’est arrivé quoi que ce soit qui ait pu vous faire un mal, je vous demande de le pardonner, vous souvenant de ses (illisible) du « Notre Père » « Pardonnez nous comme nous pardonnons ».
Dieu vous comble de Paix.
Abbé Pierre
- « si un jour il m’est arrivé » : on se demande qui est la victime…
- « je vous demande de le pardonner » : ordre, accompagné de « le » au lieu de « me »… on se demande qui est l’auteur
Des victimes qui ont parlé… mais qui n’ont pas été entendues
En plus des alertes déjà connues et remontées à la hiérarchie catholique depuis les années 50 (voir article de Libération), de nombreux autres témoignages sont mentionnés dans ce second rapport d’Egaé.
Une personne a écrit pour parler de comportements à connotation sexuelle non sollicités à l’Assemblée nationale lorsque l’abbé Pierre était député (témoignage N).
Je suis allée en parler à mes référents qui ont rigolé, en disant que c’était monnaie courante avec l’abbé Pierre.
Plusieurs personnes ont confié que des membres de l’entourage proche de l’abbé Pierre auraient vraisemblablement été informés de certains de ces agissements.
L. est journaliste. Elle a interviewé l’abbé Pierre à Genève en 1988 pour le journal Choisir. Elle a témoigné en 2007 dans le journal Caretas.
V. était élève infirmière. Elle a subi deux contacts non sollicités sur ses seins de la part de l’abbé Pierre à la fin des années 90, alors qu’il était hospitalisé. V. témoigne en avoir parlé avec ses référents qui lui ont dit que c’était courant avec l’abbé Pierre.
Qui savait ?
« Il y a forcément des personnes qui savaient » ce que faisait l’abbé Pierre. « Comment penser que quelqu’un peut agresser sexuellement au minimum 30 personnes, peut-être bien plus, en France et ailleurs, alors qu’il est extrêmement connu, entouré, voire surveillé ? », interroge la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France.
« Il ne faut pas soupçonner a priori, mais arrêtons certains comportements irresponsables, notamment dans l’Église, qui consistent à magnifier des gens, tout en se disant : ‘Pourvu qu’on n’apprenne rien…’ ».
Le mouvement Emmaüs a pris plusieurs décisions qui seront mises en œuvre dans les plus brefs délais
Après avoir réuni l’ensemble des membres des bureaux des trois organisations pour une prise de décision collective, le Mouvement a pris plusieurs décisions qui seront mises en œuvre dans les plus brefs délais. Elles concernent l’héritage de l’abbé Pierre, sa place au sein des organisations et la pérennité des missions du Mouvement :
- La Fondation Abbé Pierre a décidé de changer de dénomination et a initié les démarches prévues à cet effet.
- Le conseil d’administration d’Emmaüs France a décidé de proposer le retrait de la mention « fondateur abbé Pierre » du logo d’Emmaüs France à l’occasion d’une Assemblée générale extraordinaire, qui se réunira au mois de décembre prochain.
- Le lieu de mémoire dédié à l’Abbé-Pierre à Esteville restera définitivement fermé, et l’avenir du centre fera l’objet d’un travail collectif entre ses différentes organisations membres au cours des prochaines semaines.
- Sous la conduite d’Emmaüs International, une commission d’expert.e.s indépendant.e.s sera constituée, afin notamment de comprendre et d’expliquer les dysfonctionnements qui ont permis à l’abbé Pierre d’agir comme il l’a fait pendant plus de 50 ans.
Le Mouvement Emmaüs combat toutes les formes de violences. Sa place est donc celle de dénoncer tous les actes intolérables, quels qu’en soient les auteurs
Vers une instance de réparation ?
Véronique Margron, la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), a plaidé samedi dans le Parisien pour une instance de réparation après les nouvelles accusations de violences sexuelles visant l’Abbé Pierre. « Il faudra instaurer un processus de justice, de reconnaissance, de réparation, comme nous l’avons fait après le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) », a-t-elle déclaré, en disant son « effroi », sa « colère » et son « dégoût » après la révélation, vendredi, de 17 nouveaux témoignages accusant l’Abbé Pierre de violences sexuelles qui auraient été commises entre les années 50 et les années 2000.
« Ce n’est pas une simple rencontre dont les victimes ont besoin, mais qu’une institution reconnaisse sa responsabilité. Ici, c’est sans doute ce qui échoit au mouvement Emmaüs car l’abbé Pierre, jusqu’à la fin, en a été l’image et le fondateur. Il est mort, mais les responsabilités sont toujours là. Il faut que tout le monde assume les pages sombres, sordides et cruelles d’un récit », justifie la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France.
— Le Point
Quelle place pour la justice de la République ?
L’abbé Pierre est décédé. Il n’est donc plus possible de le poursuivre. Mais cela n’empêche pas à la justice de se saisir pour chercher à comprendre les raison d’une si longue omerta, et demander des comptes aux diocèses et aux responsables qui, par leur inaction et éventuellement leur actions, ont entravé la manifestation de la vérité et permis que les délits et crimes se poursuivent durant une si longue période.
C’est en particulier le combat de l’association Mouv’Enfants : « L’association exige que la justice poursuive le diocèse de Grenoble-Vienne pour non-dénonciation de crimes et délits commis par l’abbé Pierre. Le diocèse savait mais n’a rien fait. » 🡵
Réaction de la CEF
Ce vendredi 6 septembre, Emmaüs a rendu publics de nouveaux témoignages extrêmement graves mettant en cause l’abbé Pierre, faisant état en particulier d’agressions sexuelles sur des jeunes filles mineures.
La CEF tient à dire son effroi face à ces nouvelles révélations et surtout sa profonde compassion envers toutes les personnes victimes de ces agissements.
Emmaüs ayant annoncé la mise en place d’une Commission d’expertes et experts indépendants, la CEF garantit à celle-ci son entière coopération dans les travaux qu’elle va engager. Elle encourage les instances responsables des archives de l’Église (i.e. : conseil scientifique) à répondre favorablement aux demandes de consultation que présentera cette Commission.
De la même façon, la CEF redit sa disponibilité et celle de l’ensemble des diocèses de l’Église en France, à mettre leurs archives et les moyens nécessaires à disposition de la Justice.
La CEF, par ailleurs, comprend les décisions prises par les trois organisations d’Emmaüs concernant la référence à l’abbé Pierre.
— CEF
D’après ce communiqué, la CEF n’engagera aucun travail pour comprendre la part de responsabilité des évêques qui étaient au courant des agissements de l’abbé Pierre.
Rappel
J’exprime ma honte, mon effroi, ma détermination à agir avec elles pour que le refus de voir, le refus d’entendre, la volonté de cacher ou de masquer les faits, la réticence à les dénoncer publiquement disparaissent des attitudes des autorités ecclésiales, des prêtres et des acteurs pastoraux, de tous les fidèles. Croyez que je suis le porte-parole des évêques.
[…]
Nous, évêques, voulons assurer ceux et celles qui parleront un jour, quel qu’il soit, qu’ils seront entendus, écoutés, pris au sérieux et que leur parole ne restera pas sans effet. L’écart entre nos constats de ces dernières années, à travers les récits entendus ou lus, et les chiffres établis désormais par la CIASE nous persuade que le travail de purification nécessaire doit être poursuivi sans relâche.
— Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le 5 octobre 2021, à l’occasion de la réception du rapport de la CIASE