Frères de saint Jean. Un nom qui en dit long

« Frères de Saint Jean ». L’expression aurait pu, aurait dû sans doute faire froncer le sourcil, en particulier des spécialistes de la gnose. Et le texte voté en 2001 par le chapitre de la CSJ les faire sauter au plafond. Tout était sous nos yeux.

Un 🧵explicatif👇.

En vingt siècles de christianisme, c’est extrêmement rare qu’un apôtre ait servi de prétexte à la fondation d’une congrégation. Pour une excellente raison: les ordres se réclament d’une spiritualité fondatrice, or dans le cas des apôtres on n’en a aucune idée. Que des fantasmes.

Petite exception avec les Sœurs de Saint Paul dont le charisme, lors de leur fondation au XIXe siècle, consistait à répandre l’évangile de par le monde via notamment la presse - l’analogie avec ce graphomane de Paul tient la route.

Les Sœurs de Saint-André (notez le tiret), ce sont des ignatiennes ainsi nommées non pas parce qu’elles suivent les traces du frère de Pierre mais parce qu’elle viennent de l’hôpital Saint-André de Tournai. Bref, on n’a pas dans l’Église de frères de Saint Thomas, ni de frères de Saint Jude, ni de Saint Barthélémy, etc.

Et c’est heureux.

Pourquoi ?

A cause des traditions apocryphes.

Thomas, le « jumeau du Seigneur » est censé être le dépositaire de secrets révélés à lui seul.

Son patronage sera donc immédiatement récupéré par les gnostiques (dès le IIe siècle) qui lui attribuent un apocryphe, lisible ici si vous souffrez d’insomnie (ou que comme moi votre paraphilie inavouable c’est les textes gnostiques chiants).

https://www.jepense.org/evangile-thomas-texte/

Donc vous imaginez bien que si des gugusses débarquent à Rome en disant « coucou on veut fonder une congrégation des frères de Saint Thomas », Rome, si elle fait bien son job, va d’abord regarder si lesdits gugusses n’ont pas des affinités particulières avec les chrétiens d’Orient qui pourraient expliquer plausiblement un tel choix, puis peut-être leur suggérer un nom moins connoté je sais pas moi Saint Ansegisèle est libre vous le voulez pas ?

Avec Saint Jean, on a le même problème qu’avec Thomas, mais multiplié par mille.

Saint Jean, le malheureux, est véritablement le chouchou des gnostiques. Leur saint patron, si j’ose dire. Et en continu depuis deux mille ans. Pour plein de raisons.

1️⃣ Évidemment d’abord pour ÇA.

Jean 13,23-25: « Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table tout contre Jésus[…] et se penchant sur la poitrine de Jésus… »

Hop ni une ni deux, les occultistes de tout poil:

« Si Jean était contre le cœur de Jésus, c’est parce qu’il avait accès à un secret d’amour auquel les autres disciples n’avaient pas accès ».

Une gnose, en somme.

Ajoutez à cela la position extrêmement intime (l’iconographie les représente assis à l’occidentale, il est probable qu’ils mangeaient allongés à l’orientale donc qu’ils étaient flanc contre flanc) et vous avez de quoi enflammer durablement les esprits.

L’idée d’une voie mystique particulière mêlant connaissance de secrets divins et génitalité a trouvé son hérault.

2️⃣ La présence de Jean au pied de la Croix. C’est à lui que Jésus confie sa mère. Cela a renforcé le prestige du chouchou de Jésus : il avait accès, si j’ose dire, à une nouvelle connaissance intime du Christ via sa mère. C’est assez amusant d’ailleurs de voir que Saint Irénée, l’anti-gnostiques par excellence, se prévaut de l’héritage réel de Jean contre les gnostiques:

« Je puis dire l’endroit où s’asseyait le bienheureux Polycarpe pour parler, ses allées et venues, son caractère et son aspect physique, comment il racontait ses liens avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, comment il rappelait leurs paroles et ce qu’il leur avait entendu dire au sujet du Seigneur, de ses miracles, de son enseignement, comment Polycarpe, après avoir reçu tout cela des témoins oculaires du Verbe de vie, le rapportait en conformité avec les Ecritures. J’écoutais cela attentivement (…) et je le notais non sur du papier, mais dans mon cœur. » (Eusèbe, HE, V.20,6)

On voit à quel point l’enjeu autour de Jean, de son lien particulier au Christ et de ce qu’il a pu transmettre oralement est un enjeu crucial entre gnostiques et anti-gnostiques dès le début.

Cela tourne rapidement à la concurrence entre Église pétrinienne, officielle, incomplète, et Église johannique, gnostique, dépositaire du « vrai christianisme ».

3️⃣ J’irai rapidement sur ce point car je suis loin d’être spécialiste, mais Jean est l’auteur (supposé du moins) de l’évangile de Jean. Or c’est un évangile qui traîne, à tort, une réputation de gnose.

Pourquoi la traîne-t-il ? À cause de son style. Et de certains passages qui peuvent éventuellement rappeler les obsessions gnostiques (Nicodème par exemple). Mais ça ne résiste pas à un examen plus approfondi. En fait, le 4ème évangile est même, c’était la thèse notamment de Dufourcq et de quelques-uns après lui, un évangile anti-gnostique. Ce n’est pas parce que certains passages sont sybillins (je préfère « compréhensibles en deux temps ») que c’est de la gnose. Quand vous lisez des apocryphes gnostiques, Jésus n’a aucune chair. C’est en général des successions de paroles. Pas d’espace temps, pas de chair. L’évangile de Jean en revanche est géographiquement le plus précis, s’inscrit dans un calendrier très rythmé, et c’est de loin celui des quatre où Jésus se montre le plus humain. Qui n’a pas chialé au discours d’adieu de Jésus, chapitres 13 à 17 ? (vous êtes des insensibles). Pour le Jésus pur esprit des gnostiques, on repassera.

Mais rien à faire. Depuis deux mille ans, les gnostiques se paluchent sur l’évangile de Jean.

Et en ont fait un symbole.

Trois exemples.

👉Traditionnellement (il y a des variantes modernes mais au départ c’est ça) la Bible ouverte au prologue de l’évangile de Jean est une des Trois Grandes Lumières de la loge maçonnique, avec l’équerre et le compas agencés de façon à former le Sceau de Salomon.

Jean est donc considéré comme celui qui indique la lumière initiatique (je vais vite) et les outils comme les moyens symboliques. Sans ces trois lumières, pas d’ouverture de tenue (réunion) possible.

👉Prenons une autre gnose qui semble aux antipodes. Lorsque Pierre Marchesseau sort en 1970 ce qui deviendra la Bible des naturopathes, prétendant percer les secrets de la nature, il mettra quoi en couverture ?

👉 Dernier exemple, tout récent. Dans les écrits de la pseudo-mystique italienne Luisa Piccarreta dont je suis en train de me tanquer les œuvres complètes (10.000 putain de pages rien que pour le Livre du Ciel, merci de prier pour moi) pas un mot sur l’Église de Pierre, la seule qui vaille pour un catholique. En revanche, ce passage dans le tome 15. Gnosis red flag maximal.

Bref. Pour en revenir à notre communauté Saint Jean, quand on lit ces extraits des chapitres de 1997 puis de 2001, on frémit.

On a tout, là. Tout le programme. Comment ça a pu passer. COMMENT. /FIN

Addendum 1: dans cette perspective, il est évident que les violences sexuelles doivent bien sûr être regardées comme telles mais doivent aussi être analysées dans un système gnostique d’initiation. Ce qui était premier dans ce système, et Cavalin le démontre bien, ce n’est pas l’assouvissement de pulsions sexuelles. Ce sont des gestes d’initiation qui comprennent parfois du sexe parfois non. Je suis frappée dans les récits des victimes de la famille philippienne par ces similitudes qui reviennent sans cesse: ainsi, au pensionnat d’Autrey (filiation Thomas Philippe👉 Éphraïm) il y a ce geste initiatique johannique (qui est bien une violence aussi) : le prêtre abuseur qui tient les victimes contre lui en leur caressant longuement la tête, comme dans les représentations de Jésus et de Jean (ajoutez à cela que Jean est toujours un très jeune homme imberbe) Ou le fait de se mettre au lit allongés ensemble sans aller plus loin Etc

On NAGE dans la gnose