Abbé Pierre : qui savait quoi ?

Les versions se sont opposées par tribunes interposées. D’abord, dans les colonnes du Monde, le 20 juillet, où quatre chercheurs de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) apportaient de nouveaux éléments à charge sur les violences sexuelles qu’aurait commises Henri Grouès, plus connu sous le nom de l’abbé Pierre (1912-2007). L’accusation était sans appel : « Les évêques informés et les responsables d’Emmaüs ont étouffé les affaires. »

Dans Le Figaro, le 26 juillet, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), se défendait : « Tous les évêques, à travers le temps, n’ont pas tout su de l’abbé Pierre, loin de là. En revanche, je peux dire de manière certaine que tous les évêques d’aujourd’hui sont (…) engagés dans le travail nécessaire pour que la vérité se fasse. » Quelques jours plus tôt, dans La Croix, Martin Hirsch, président d’Emmaüs France de 2002 à 2007, évoquait un « secret d’Emmaüs » autour de l’abbé Pierre, décrivant des « pulsions » et une « maladie » pour laquelle le prêtre aurait suivi « un traitement ». — Le Monde

Au moins deux autres évêques français ont connaissance, eux aussi, du comportement extrêmement problématique d’Henri Grouès (le nom à l’état civil de l’abbé Pierre) : André Fougerat, alors évêque de Grenoble, le diocèse dont dépend le fondateur d’Emmaüs et Alexandre Renard, l’évêque de Versailles qui a, sous sa juridiction épiscopale, plusieurs communautés du mouvement.

Libération

Des voyages catastrophiques à l’étranger

Voyage de mai 1955 aux Etats-Unis, avec Jacques Maritain

Vers les 6 et 7 mai, toujours d’après les carnets inédits [de Jacques Maritain], le voyage prend mauvaise tournure. Accompagné par Marshall, un étudiant du philosophe français, Grouès est à Chicago. Maritain est prévenu que deux femmes de New York se plaignent du comportement de l’abbé Pierre à leur égard. Selon Fourcade, le cardinal Spelmann et son homologue à Chicago, le cardinal Samuel Stritch, auraient également été alertés.

Pour éviter le scandale, l’urgence est d’écourter le séjour et d’exfiltrer l’abbé Pierre. Dans ses carnets, Maritain note, le 12 mai, que lors d’un échange téléphonique avec Marshall, il suggère «un vol directement de Chicago à Paris». D’autres incidents concernant les relations de l’abbé Pierre avec des femmes ont lieu à Chicago et à Washington. Apparemment, l’abbé Pierre résiste à l’exfiltration, repasse à New York, sous condition d’aucune intervention publique. Que s’est-il passé ? Aucune information précise n’est disponible sur les plaintes des femmes aux Etats-Unis. Mais l’affaire paraît grave au regard des conseils prodigués par un jésuite américain à Maritain, tel qu’il les rapporte dans ses carnets. Celui-ci lui avise de rencontrer le cardinal Spellman afin de l’assurer que l’archevêque de Paris sera prévenu et que l’abbé Pierre ne remettra pas les pieds aux Etats-Unis.

Libération

Voyage de 1963 au Québec

L’abbé Pierre aurait suscité d’autres scandales à l’étranger, notamment au Québec, tel que le rapporte dans ses mémoires (Paysan de la rive droite, ed. du Cerf) le théologien André Paul. Ce qu’il a confirmé à Libération : «En 1964, lors d’un dîner à Rome, un prêtre canadien nous a raconté que l’abbé Pierre avait été exfiltré, l’année précédente, après un accord entre la police et les autorités ecclésiales à cause de sa conduite avec les femmes.»

Libération