Révélation sur l'Abbé Pierre 30 ans après les premiers signalements

Ce qui est repproché à l’Abbé Pierre

A ce jour, on parle de sept témoignages initiaux (rapport d’Egaé, commandé par Emmaüs), et d’un huitième publié trois jours plus tard. Mais il semble probable que d’autres témoignages émergent dans les jours à venir.

Courant jusqu’en 2005 (soit deux ans avant la mort de l’Abbé Pierre, à l’âge de 94 ans), les sept témoignages présentent de troublantes similitudes. Il s’agit toujours de femmes, au contact quotidien ou fréquent du prêtre, salariées ou volontaires au sein d’Emmaüs. Elles déplorent des propositions indécentes, des contacts non sollicités sur des zones sexuelles et en particulier sur les seins : des actes qui pourraient être qualifiés d’agressions sexuelles et de harcèlement sexuel.

La Vie

Selon la tribune publiée dans le Monde, ces femmes accusent le religieux d’avoir, dans les années 80-90, apposé ses mains sur leurs seins, embrassé de force, et même pour l’une d’entre elles qui se trouvait alors «dans une difficile situation personnelle», de l’avoir «utilisée» pour des «relations sexuelles, masturbation devant elle, fellation, flagellation, proposition de triolisme avec une autre femme». Les chercheurs de la Ciase disent que ces récits correspondent à trois témoignages compris dans le rapport Emmaüs. Au passage, ils ajoutent que d’après «les archives de l’Église», «on lui connaît un cas d’emprise» sur une femme.

Libération

Trois jours après la publication du rapport, un nouveau témoignage émerge

En 2006, l’infirmière travaille dans un hôpital militaire francilien. C’est dans son service que l’abbé Pierre, 93 ans, est pris en charge. Elle révèle que c’est en accompagnant le religieux à sa toilette qu’elle a été agressée. « Il s’est levé, il a marché. Et il m’a agrippé les deux seins. Je l’ai giflé, raconte cette quadragénaire. Il m’a dit qu’il était vieux, qu’il était fatigué, qu’il avait besoin de se tenir. »

En rapportant les faits à sa cadre et à ses collègues, l’infirmière constate que l’abbé Pierre « était coutumier du fait ». Mais elle n’ébruite rien. « La retenue tient du fait que je suis soignante. J’ai été militaire et je n’ai pas à rendre public ces choses-là. » Elle assure que le fait de n’avoir rien dit « tenait de ce fait là », mais pas « à son aura ». « L’aura, il n’y en avait plus. »

En giflant le religieux, elle se dit qu’elle s’est « défendue » et qu’elle avait fait ce qu’elle avait à faire. « En fait, je me rends compte que ce n’est pas réglé. Il y a quelque chose en moi qui souffre de ça. »

France Info

Alertes et « sanctions » successives de la part des évêques

Les victimes de l’abbé Pierre n’ont pas mis 30 ans à parler. Nous avons mis 30 ans à les entendre : « Le scandale, c’est que durant 35 ans, il ait pu commettre ces méfaits en toute impunité » Soeur Véronique Margron

Un problème connu des évêques dès 1954-1955

A partir de 1954-1955, des informations reviennent aux oreilles épiscopales sur son comportement.

En profitant de ses réels problèmes de santé, les évêques informés lui imposent une cure médicale, puis psychiatrique en Suisse (1957-1958). Les prêtres déviants sont habituellement pris en charge en France par le Secours sacerdotal, la délocalisation laisse donc croire combien l’affaire est prise au sérieux. Quant à sa retraite spirituelle à Béni Abbès (1961), elle suit la logique de réforme comportementale appliquée par l’Église aux prêtres déviants et agresseurs sexuels.

Le Monde

Toute une génération [celle du début] savait que l’abbé Pierre dérapait

Une personne entendue dans le cadre de l’enquête, qui connaît bien le Mouvement a dit : « Toute une génération [celle du début] savait que l’abbé Pierre dérapait ». La personne a ajouté : « Ce n’était pas un épiphénomène ».

En 1992, B. raconte avoir informé des dirigeants de l’époque des comportements de l’abbé Pierre. « Je leur en ai parlé. C’était dans le bureau où l’abbé Pierre avait essayé de me bloquer. Ils m’ont dit « On pensait qu’il s’était calmé ». Ils m’ont dit que je n’étais pas la seule dans les secrétaires d’Emmaüs International. »

En 1995, D. a dit avoir alerté les responsables d’une communauté.

En 2001, plusieurs personnes d’un groupe Emmaüs ont été destinataires du témoignage de G.

Une des personnes entendues a été destinataire de témoignages après la mort de l’abbé Pierre, en 2007, de la part de secrétaires d’Emmaüs International. Il dit « Je les ai crues, je n’ai pas de raison de pas les croire. C’est déstabilisant d’entendre des choses comme ça. Je n’en n’ai pas parlé. »

Une des personnes entendues dit : « J’ai entendu très tardivement qu’on prévenait les secrétaires de faire attention à l’abbé Pierre ». Il raconte également qu’une personne proche de l’abbé Pierre lui a précisé au sujet de l’abbé Pierre que « vieillissant, il avait du mal à réfréner ses instincts. Il ne pouvait pas s’empêcher de toucher les seins des femmes »

Une salariée de l’époque a indiqué que la consigne était donnée à ses collègues féminines de ne pas aller voir l’abbé Pierre seules. Elle dit être toujours allée le voir en étant accompagnée au moins d’une autre collègue et précise qu’il ne s’est jamais rien passé.

Rapport d’Egaé, p8

Des témoignages reccueillis dans le cadre de la CIASE

Parmi les quelque 1 200 témoignages traités par notre équipe, trois mettaient en cause l’abbé Pierre. Selon le premier, vers 1980, l’abbé Pierre saisit le sein d’une femme travaillant à Emmaüs et pose sa tête sur son épaule. Une quinzaine d’années plus tard, il tente de recommencer. Selon le deuxième témoignage, en février 1981, une jeune femme, après une conférence de l’abbé Pierre à Namur (Belgique), se trouve la dernière à pouvoir obtenir une dédicace de l’abbé Pierre. Alors qu’elle lit la dédicace, il se jette sur elle, lui saisit un sein, lui embrasse la bouche à pleine langue et s’enfuit.

Selon le troisième témoignage, en 1989-1990, une femme dans une difficile situation personnelle sollicite l’aide de l’abbé Pierre à l’abbaye de Saint-Wandrille (Seine-Maritime). Il l’aide matériellement, puis l’utilise : relations sexuelles, masturbation devant elle, fellation, flagellation, proposition de triolisme avec une autre femme.

Le Monde

Selon la CIASE, les évêques informés et les responsables d’Emmaüs ont étouffé les affaires

Malgré ces paroles, «les évêques informés et les responsables d’Emmaüs ont étouffé les affaires», écrivent les membres de la commission indépendante. «Les témoignages de la Ciase ont conduit l’un d’entre nous à interroger le diocèse de Grenoble, dont dépendait l’abbé Pierre. Il a reconnu disposer de données, sans les avoir communiquées», précisent-ils. Pas mieux concernent «les dirigeants d’Emmaüs», qui se sont «contentés de mettre en garde de manière officieuse et elliptique des femmes» travaillant pour l’association, soulignent les auteurs de la tribune. Ils n’expliquent toutefois pas pourquoi eux-mêmes n’ont pas dévoilé ces informations.

Libération

Juillet 2024, la conférence des évêques de France « apprend avec douleur les témoignages recueillis »

La #CEF apprend avec douleur les témoignages recueillis rapportant des faits d’agressions sexuelles commis par l’#abbéPierre à l’encontre de femmes venues travailler à Emmaüs.

@Eglisecatho

Appel à témoignages

Si vous avez été la cible ou témoin de comportements que vous avez identifiés comme inappropriés, de comportements qui vous ont choqué ou de comportements violents de la part de l’abbé Pierre, vous pouvez envoyer un courriel à emmaus@groupe-egae.fr ou laisser un message au 01 89 96 01 53. Vous serez recontacté·e rapidement pour vous proposer un entretien. Vous pouvez également choisir de simplement nous envoyer votre témoignage. Les messages seront lus par le groupe Egaé*, structure experte qui accompagne de nombreuses associations et ONG à prévenir les violences sexistes et sexuelles.

Communiqué Emmaüs France

Le Mouvement Emmaüs rend publics des faits qui peuvent s’apparenter à des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel, commis par l’abbé Pierre, entre la fin des années 1970 et 2005. Ces faits ont concerné des salariées, des volontaires et bénévoles de certaines de nos organisations membres, ou des jeunes femmes dans l’entourage personnel de l’abbé Pierre. Le Mouvement a mandaté un cabinet expert de la prévention des violences, le groupe Egaé, pour mener un travail d’écoute et d’analyse. Ce travail a permis de recueillir les témoignages de sept femmes. L’une d’entre elles était mineure au moment des premiers faits. D’après les informations recueillies, plusieurs autres femmes ont subi des faits comparables, mais n’ont pas pu être entendues. Un dispositif de recueil de témoignages et d’accompagnement, strictement confidentiel, s’adressant aux personnes ayant été victime ou témoin de comportements inacceptables de la part de l’abbé Pierre, a été mis en place.

Il y a un an, Emmaüs France a été destinataire d’un témoignage faisant état d’une agression sexuelle commise par l’abbé Pierre sur une femme. Une délégation du Mouvement Emmaüs a rencontré la victime et recueilli son témoignage.

À la suite de cette rencontre, un travail d’écoute a été lancé en interne par Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre pour établir si d’autres faits similaires avaient pu se produire. Mené par Caroline De Haas, du groupe Egaé, ce travail a permis de recueillir les témoignages de sept femmes qui font état de comportements pouvant s’apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel commis par l’abbé Pierre entre la fin des années 1970 et 2005. L’une d’entre elles était mineure (16-17 ans) au moment des premiers faits. Selon le groupe Egaé, il est raisonnable de penser qu’il y a d’autres personnes concernées, dans des proportions difficiles à estimer.

Nos organisations saluent le courage des personnes qui ont témoigné et permis, par leur parole, de mettre au jour ces réalités. Nous les croyons, nous savons que ces actes intolérables ont laissé des traces et nous nous tenons à leurs côtés.

Ces révélations bouleversent nos structures, au sein desquelles la figure de l’abbé Pierre occupe une place majeure. Chacun d’entre nous connaît son histoire et son message. Ces agissements changent profondément le regard que nous portons sur un homme connu avant tout pour son combat contre la pauvreté, la misère et l’exclusion.

À l’heure où l’urgence sociale et la nécessité de défendre les personnes les plus précaires se font ressentir avec une particulière acuité, les missions exercées au quotidien par l’ensemble des salariés, des compagnes, compagnons et bénévoles du Mouvement Emmaüs, demeurent indispensables. La solidarité, l’entraide et l’accueil inconditionnel des plus démunis constituent notre raison d’être.

Le Mouvement Emmaüs combat toutes formes de violences et entend dénoncer les actes inacceptables commis par une personne qui a joué un grand rôle dans son histoire. Nous le devons aux victimes. Nous le devons aussi à toutes celles et ceux qui, depuis plus de 70 ans, portent au quotidien les actions du Mouvement. Nous partageons leur peine et leur colère, mais également leur détermination à continuer d’œuvrer, chaque jour, pour construire un monde plus juste et plus solidaire.

Dès aujourd’hui, le Mouvement Emmaüs met en place un dispositif de recueil de témoignages, strictement confidentiel, s’adressant aux personnes ayant été victime ou témoin de comportements inacceptables de la part de l’abbé Pierre. Géré par le groupe Egaé, ce dispositif permettra aux personnes qui y auront recours d’être entendues, de manière anonyme si elles le souhaitent, orientées et accompagnées.

Communiqué Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre

Remarques en vrac

Pourquoi avoir recours à un cabinet externe, alors que l’Église pourrait enquêter elle-même ?

Si on veut être juste, il faut de la compétence et de l’indépendance. On doit s’en remettre à qui de droit, notamment à la justice civile chaque fois que c’est possible, et cesser de vouloir tout résoudre dans notre petit coin, même avec la meilleure volonté du monde.

Soeur Véronique Margron

Le vécu des victimes

Une des personnes entendues en entretien a confié au groupe Egaé : « J’ai l’habitude de me défendre. Mais là, c’était Dieu. Comment vous faites quand c’est Dieu qui vous fait ça ? »

Toutes parlent d’une forme de sidération lors des faits. Elles disent : « Est-ce que cela se passe réellement ? », « Est-ce qu’il se rend compte ? », « C’est l’abbé Pierre, je ne peux rien faire ». Le groupe Egaé a perçu dans certains des récits une forme d’emprise alimentée par la différence d’âge, le statut de l’abbé Pierre et une forme d’idolâtrie, ou la situation de subordination entre lui et les personnes (proximité familiale, travail).

Rapport d’Egaé, p7

Vous imaginez le courage qu’il a fallu aux victimes pour oser dénoncer cette figure ? C’est presque comme toucher au sacré. Il était considéré comme tel par tant de personnes dans la société. Nous avons un vrai problème avec les personnalités charismatiques. Soit parce qu’elles emportent les foules, soit parce que, comme l’abbé Pierre, elles ont réalisé des actions très importantes. D’un seul coup, face à ces hommes, il n’y a plus aucun esprit critique. Ce que cela dit de l’Église catholique, c’est que, décidément, nous manquons de la vigilance la plus élémentaire sur les comportements des hommes, d’autant plus lorsqu’ils sont célèbres. Et je pense que ça, c’est extrêmement grave et c’est une tragédie.

Soeur Véronique Margron

A propos de victimes qui ne seraient inéressées que par l’agent

Sinon, le montant moyen d’indemnisation en matière d’agression sexuelle est de 5000€ Comme c’est 1moyenne, cela prend en compte les faits les+graves et les+faibles. Les seins est dans la partie basse. Avec du bol, cela donne 1000€ (avec des frais de justice à payer)

Donc 1000€ moins ses frais Mais par contre, se payer des mois voire des années de procédure, les auditions, le procès, le regard et les cons sur les RS qui insultent.. surtout quand on touche à une icône

AH MAIS BIEN SÛR QUE C’EST POUR LES GROS SOUS TOUT CELA

@palais_au

Pourquoi enquêter, alors que l’Abbé Pierre est mort ?

En réalité, personne n’emporte rien dans la tombe, comme on dit parfois. Quand une personne « meurt avec ses secrets », cela signifie en général que d’autres personnes, elles, continuent de vivre avec. Dans le silence et l’indifférence.

(…)

La parole des victimes qui émerge aujourd’hui doit être accueillie. Sinon, à leur égard, il y aurait une violence supplémentaire à laisser un seul visage « glorieux » continuer à être reconnu en public, en dissonance totale avec leur propre expérience, comme une négation persistante de ce qu’elles ont vécu.

(…)

Reconnaître le mal commis, explorer la part d’ombre d’un homme, au-delà de son aura peut-être aveuglante, c’est rendre aux victimes un peu de cette lumière qui leur a été arrachée. Ni plus ni moins, avoir pour elles ces mots un jour lancés par l’Abbé lui-même : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime. »

Aymeric Christensen