Père Benoît Moulay : autopsie d'un naufrage
Autopsie d’un naufrage
— Agir pour notre Église (@AgirNotreEglise) March 4, 2024
Ayant eu accès à certains éléments de la chronologie du dossier de « Marie » (cf. https://t.co/QUhlgxHq9N), ici désignée par « Mme Z », @AgirNotreEglise propose cet arbre des causes : pic.twitter.com/3Tk2NweteE
Autopsie d’un naufrage
Ayant eu accès à certains éléments de la chronologie du dossier de « Marie » (cf. ), ici désignée par « Mme Z », @AgirNotreEglise propose cet arbre des causes :
La démarche d’un arbre des causes s’inspire de ce qui se fait en accidentologie : la vue synthétique du schéma permet d’appréhender certains aspects systémiques d’une affaire, qui ont concouru au désastre, et que l’on retrouve bien souvent ailleurs.
Les noms exacts des personnes et des lieux importent peu ici, ce que l’on souhaite analyser c’est combien aux multiples alertes et signalements d’abus sur 20 ans ont été opposées inertie de la structure et dilution des responsabilités.
Le conflit d’intérêt est permanent autour de B. membre de la Communauté en service dans des paroisses de divers diocèses, il se retrouve très rapidement sous Mgr S, à la fois évêque et membre de la Communauté, où il a été chargé du suivi des prêtres, donc juge et partie pour B.
À diverses étapes du parcours de B., on note l’absence de communication entre diocèses et Communauté (alors que certains acteurs sont présents des deux côtés), jusqu’à une concertation, tardive, entre les 2 diocèses et la communauté (2021).
Le cloisonnement de l’information c’est aussi la non-publicité des mesures prises contre B., dont les parties n’ont connaissance que par des canaux officieux, internes à la communauté. Une mesure non-publique est nulle en pratique, si personne ne peut en vérifier l’application.
Dès le début du parcours de B., c’est la Communauté qui a fait pression pour passer outre les avis unanimement négatifs des lieux de formation de B. quant à son ordination, sans recours possible. ()
https://twitter.com/ntrouiller/status/1746824026540888565
Une autre dimension importante est la gestion RH hésitante dès lors que B. est mis à pied : on l’éloigne à P. où la supervision fait défaut malgré les mesures, ou bien à W., puis on le rappelle à chaque fois en paroisse et on le déplace dans une autre, malgré les alertes.
Enfin, non-maîtrise inquiétante de la procédure canonique : les parties ne sont pas informées des options et de la marche à suivre, elles doivent insister pour relancer les choses, leurs témoins ne sont pas auditionnés, on utilise de moyens de pression (enregistrement clandestin)
Ce relatif amateurisme se dispense de surcroît de la plus élémentaire politesse ou considération envers les victimes : pas de prise de nouvelles, ni de vérification qu’elles sont bien accompagnées, sur les plans psychologique, judiciaire, et spirituel.
D’autres éléments ne figurent pas dans cet arbre des causes, mais pourraient l’éclairer : le fait que la Communauté n’ait pas ouvert ses archives à la Ciase et qu’elle ne participe pas aux instances d’écoute et de réparation nationales, comme si elle était en-dehors de tout cela.
Ces remarques sur ce dossier rappellent avec acuité certains points soulignés par le rapport de la Ciase, notamment dans ses recommandations 1, 16, 36, et 41 :
https://agirpournotreeglise.fr/comprendre/recommandations/
Malheureusement, les communautés sont souvent en-deçà des attentes dans leur gestion des plaintes pour abus commis en leur sein, comme nous le relevions dans ce florilège de communiqués :
https://twitter.com/agirnotreeglise/status/1748405705248248204
Conclusion : mauvaises pratiques bien identifiées, il est terrible que les derniers développements de ce dossier, dans les années 2021-2023, se soient produits post-Ciase alors que les points d’attention dans la gestion des affaires étaient supposément connus de tous.
Informations complémentaires
Au sujet de Benoît Moulay
Le contexte pour comprendre
Si ce n’est pas déjà fait, je vous invite à consulter :
- les threads twitter de @ntrouiller (premier thread, second thread) qui expliquent le parcours du combattant des victimes ;
- ce thread passionnant de @AgirNotreEglise analyse l’enchaînement des causes ;
- cet article de Libération Violences sexuelles dans le diocèse du Mans : l’incompréhensible indulgence de l’évêque Yves Le Saux par Bernadette Sauvaget.
Chronologie rapide des faits
- 1997 le conseil du séminaire avait recommandé par deux fois de ne pas l’ordonner. À l’unanimité. Pour l’ordination diaconale, puis presbytérale. « Importante immaturité psycho affective. » Benoît « n’a ni la liberté intérieure, ni l’intention droite, ni les aptitudes requises par la tradition et les lois de l’Église pour exercer le ministère de prêtre diocésain, et probablement de prêtre dans quelque contexte que ce soit. » 🡵
- 1997 Jacques Benoit-Gonnin, alors responsable des clercs (prêtres et diacres) et des séminaristes de la communauté de l’Emmanuel fait pression pour que Benoît Moulay soit ordonné 🡵
- 28 juin 1998 Benoît Moulay est ordonné prêtre par Mgr Jacques Faivre, nouvellement arrivé au Mans 🡵
- 2002 Yves Le Saux succède à Jacques Benoit-Gonnin et devient le nouveau responsable des clercs (prêtres et diacres) et des séminaristes de la communauté de l’Emmanuel 🡵. Il reçoit à ce titre de multiples alertes qui n’ont pas tardé à remonter dès l’ordination du père Benoît Moulay. 🡵
- 21 novembre 2008 Yves Le Saux est nommé évêque au Mans 🡵. Il devient donc l’évêque du père Benoît Moulay
- 2017 Pour des raisons floues, Benoît Moulay est déplacé à Rennes en 2017. Son nouveau diocèse d’affectation n’est pas prévenu de son passé problématique (ce qui a été officiellement confirmé à Libération). 🡵
- Fin 2019 Deux plaintes sont déposées contre le Benoît Moulay🡵. En garde à vue il reconnaît les viols sur les deux femmes.🡵
- Décembre 2019 Benoît Moulay avait été suspendu en décembre 2019 par Mgr Yves Le Saux, alors évêque du diocèse du Mans. Une première victime avait effectué un signalement dans le diocèse de Rennes suivi d’un second dans la Sarthe.🡵
- Janvier 2020 Une enquête canonique est ouverte🡵. Mgr Yves Le Saux est donc à la fois l’évêque de la victime et l’évêque du père Benoît Moulay
- 27 Juillet 2020 Les plaintes sont classées sans suite. Interrogé par Le Maine Libre le 21 juillet 2023 sur une éventuelle procédure, le procureur Philippe Astruc confirme qu’une enquête avait « été diligentée du chef de viol » après des relations intimes dénoncées par deux femmes majeures. Il précise que « les faits de nature sexuelle ont été reconnus par l’intéressé, toutefois la procédure a été classée sans suite le 27 juillet 2020, la contrainte n’apparaissant pas suffisamment caractérisée ». 🡵
- Automne 2020 Yves Le Saux prend une mesure disciplinaire contre Moulay qui est assigné à résidence pour trois ans à l’abbaye de Saint-Wandrille (Seine-Maritime) 🡵
- Décembre 2020 D’après le témoignage de l’abbé de Saint-Wandrille, les négociations entre Le Saux et Moulay auraient, en fait, commencé dès décembre 2020 pour qu’il quitte l’abbaye et reprenne une mission. 🡵
- 10 novembre 2021 Les deux victimes apprennent le possible départ de Moulay de saint Wandrille. Devant la détermination des deux femmes, Le Saux repousse sa décision. Quand Moulay l’apprend, il quitte définitivement l’abbaye, désobéissant à l’Église catholique. Et contraignant son évêque à rouvrir la procédure canonique le 10 novembre 2021. 🡵 🡵
- 27 juin 2022 Mgr Le Saux est nommé au diocèse d’Annecy. 🡵
- Septembre 2022 Après le départ de Le Saux, Mgr Grégoire Cador, aujourd’hui évêque du diocèse de Coutances, alors administrateur général du diocèse du Mans après en avoir été le vicaire général « retrouve » les rapports du séminaire du père M dans les archives diocésaines, alors que Mgr Le Saux avait assuré aux victimes qu’il n’y avait rien dans les archives du Mans ni celles de la Domus, et qui les fait verser in extremis au procès. 🡵
- 1er décembre 2022 Michel-Bernard de Vregille rencontre la seconde victime, qui souhaite lui faire part de tous les dysfonctionnements qu’elle et la première victime ont eu à affronter depuis quatre ans. Michel-Bernard de Vregille enregistre l’entretien à l’insu de la victime, qui découvre la situation quand Michel-Bernard de Vregille fait tomber son téléphone. 🡵
- 4 juillet 2023 Benoît Moulay est renvoyé de l’état clérical 🡵. Les juges de l’officialité interdiocésaine de Rennes ont considéré qu’il y avait un risque de «récidives» à cause de «son attitude ambiguë envers les femmes», mais aussi de «sa personnalité immature, manipulatrice, autoritaire». 🡵
- La sentence du procès pénal canonique reconnaît la responsabilité de la Communauté de l’Emmanuel. Le tribunal a en outre décidé qu’il reviendra à la Communauté de l’Emmanuel (Association publique internationale de fidèles de droit pontifical) de discerner comment l’accompagner dans les trois prochaines années, y compris financièrement. 🡵. Et pour les victimes : rien.
- Avril 2024 Classement sans suite de la plainte contre Michel-Bernard de Vregille pour abus de confiance suite à l’enregistrement d’un entretien avec une victime, à son insu. Le procureur reconnaît donc qu’il y a eu infraction pénale. Il choisit de ne pas poursuivre. Mais il dit explicitement que Michel-Bernard de Vregille a enfreint la loi. 🡵
- 22 juillet 2024 Deux victimes de l’ex-père Moulay assignent la communauté de l’Emmanuel en justice. 🡵
- Octobre 2024 Après cinq longues années de combat, deux femmes victimes de violences sexuelles de la part de l’ex-prêtre Benoît Moulay, membre de la communauté de l’Emmanuel, ont obtenu des réparations financières au titre des dommages qu’elles ont subis grâce à la pugnacité de leur avocat, Aymeric de Bézenac. Conformément à l’accord signé, les parties sont tenues à la plus stricte confidentialité. Toutefois, ce protocole prévoyant le versement de réparations financières constitue, selon plusieurs spécialistes, une démarche inédite en France. 🡵. Voir également le communiqué de la communauté de l’Emmanuel.